Les fans de football français ont appris à le connaître ces derniers mois, au gré de ses exploits en Ligue 1, en Ligue des champions ou en équipe de France. Les autres, ceux qui n’ont sur le ballon rond qu’un oeil distrait voire indifférent, n’ont entendu parler de lui que ces jours-ci, en apprenant qu’il était devenu le joueur français le plus cher de l’histoire. Mais ici, à Bondy, cela fait des années que Kylian Mbappé est une star. Ou plutôt, le chouchou d’une ville qui a suivi son ascension, ses promesses et ses exploits avec un amour constant et unanime.

À seulement 18 ans, Mbappé est déjà entré dans l’histoire du football français en quittant Monaco, champion de France en titre, pour le Paris Saint-Germain et son projet pharaonique, moyennant un chèque qui devrait atteindre les 180 millions d’euros. Star précoce, en France comme à l’étranger, Mbappé est pourtant lié de façon viscérale à Bondy. Il ne se passe pas un jour sans qu’on ne mentionne, dans la presse, à la télévision ou sur les réseaux sociaux les origines bondynoises de Kylian Mbappé.

C’est peut-être un détail pour vous mais, ici, cela veut dire beaucoup. Rares sont les joueurs à entretenir un tel lien avec leur ville, pas même les icônes Paul Pogba avec Roissy-en-Brie ou Karim Benzema avec Bron. En attendant de vêtir celui du PSG, Mbappé n’a porté que deux maillots dans sa vie : celui de l’AS Bondy et celui de l’AS Monaco. A l’heure où les jeunes footballeurs franciliens galopent souvent de club amateur en club amateur, lui n’a eu qu’une maison ici. La sienne.

Déjà footballeur à l’ASB à 5 ou 6 ans !

« Le stade Léo-Lagrange, c’est chez lui, sourit Jean-François Suner, le directeur technique de l’AS Bondy. À 3 ou 4 ans, il venait avec Papa et Maman au stade ; à 5 ans et demi, il a commencé à jouer dans nos catégories de jeunes« . Il faut dire que tout le prédisposait à défendre les couleurs vertes du club bondynois. La filiation, d’abord. Un papa, Wilfried, ancien joueur amateur devenu éducateur puis directeur sportif du club local ; une maman, Fayza, ancienne handballeuse de haut-niveau et figure du tissu associatif local.

Ajoutez à cela que la famille, anciennement installée à Bondy-Nord, s’est installée alors à quelques encablures du stade Léo-Lagrange… L’été dernier, le papa nous racontait : « Déjà, à 2 ou 3 ans, il me suppliait de l’emmener avec moi au foot, de l’inscrire. Moi, j’avais du mal, j’avais peur de ne pas avoir suffisamment de recul pour l’entraîner. Puis j’ai craqué, lorsqu’il a eu 5 ou 6 ans ». Et, visiblement, il n’est pas le seul à avoir craqué pour le talent du petit Kylian.

Tout frêle, le garçon fait tourner la balle, la tête des défenseurs adverses, celle de ses éducateurs et, très vite, des recruteurs qui viennent observer ses rencontres. “On ne va pas se mentir, on voyait bien qu’il avait quelque chose, se rappelle “Fanfan”, le directeur technique. Il n’a fait que quatre mois en débutants, il a toujours été surclassé ensuite.” Une habitude de jouer avec les plus grands qui ne l’a pas quittée : à l’INF Clairefontaine, à l’AS Monaco puis en équipe de France, le petit Mbappé a toujours franchi les étapes plus vite que les autres.

Des séances supplémentaires à Bondy pendant ses vacances

Est-ce de là qu’il a tiré son étonnante maturité ? Car c’est un autre trait de caractère qui revient souvent quand on parle du “petit” Kylian. « Il sait ce qu’il veut, nous expliquait son père. Clairefontaine, les clubs pros, l’équipe de France… Tout ça, il nous en avait parlés avant que ça arrive ». Et il semblerait que l’intéressé se donne les moyens d’y arriver. Guillaume Leveau est arrivé l’été dernier à Bondy pour y prendre en charge les moins de quinze ans (U15), l’ancienne équipe de Kylian.

Il raconte sa toute première séance à Léo-Lagrange avec les jeunes de l’ASB : « Ce jour-là, je vois, au loin, son père arriver. Et Kylian avec lui. Là, ils se mettent dans un coin du terrain, sortent du matériel et le fils a le droit à une séance spécifique de gammes techniques et de motricité ». Fanfan confirme : « Oui, c’est arrivé souvent, à chaque fois que Kylian était en ‘vacances’. C’est un énorme bosseur, prêt à sacrifier ses vacances pour courir et travailler. Il ne s’appuie pas seulement sur son talent ». Un journaliste de L’Équipe avait par exemple révélé, en mai dernier, que Mbappé avait refusé de sortir fêter le titre de champion de France du club avec ses coéquipiers… pour aller récupérer et préparer les échéances suivantes. « Il n’y a que le foot qui compte pour lui, raconte Fanfan, ami de trente ans de la famille. C’est un passionné ultime ».

Et c’est probablement à cette aune qu’il faut comprendre son choix de rejoindre le Paris Saint-Germain cet été. Silencieux dans les médias, les Mbappé père et fils ont parfois été critiqués. Ingrats, cupides, partis pour l’argent… Selon ce que l’on sait du fol été de la pépite, c’est pourtant bien de football dont il était question. Ce qui a fait mordre Mbappé au projet du PSG, c’est la perspective de jouer avec Neymar, de gagner la Ligue des champions, de devenir un des meilleurs joueurs du monde…

Lui le fan absolu de football, qui a dû disputer des centaines de parties avec Neymar sur sa console et se rêver de longues nuits à soulever la Ligue des champions, les arguments ont eu du poids. Sans compter que le PSG a mis les petits plats dans les grands : Nasser Al-Khelaïfi, son président, a appelé le joueur en personne, Unai Emery, l’entraîneur parisien, s’est déplacé à Bondy au domicile de la famille.

L’histoire ne dit pas si le technicien espagnol a été pris par les bouchons de la Nationale 3, s’il a facilement réussi à se garer dans le quartier des Coquetiers où habite désormais la famille… À moins qu’il ait pris le RER et que Kylian soit allé le chercher à la gare, lointaine de quelques centaines de mètres ? Ces rues, le nouveau joueur du PSG les a empruntées, souvent un ballon sous le bras (ou au pied, et on pouvait lui faire confiance pour ne pas la perdre). Celle menant à l’école Pasteur, au stade Léo-Lagrange ou au petit terrain où il a fait ses premières victimes lui sont probablement encore familières. Pourtant, Kylian Mbappé est parti assez tôt de Bondy. À douze ans à peine, il intégrait l’INF Clairefontaine, où il dormait jusqu’au vendredi soir, et, à quinze ans, il rejoignait le centre de formation de l’AS Monaco.

« Il est encore très attaché à sa ville »

Mais le boomerang Kylian a toujours fini par rentrer au bercail. « Je l’ai déjà vu taper le ballon avec les petits, et avec un grand sourire… L’année dernière, il est même venu aider à organiser le tournoi d’enfants qu’organisait le club », raconte Guillaume Leveau. Fanfan embraye : « Il est encore très attaché à sa ville. Il vient à chaque fois qu’on lui demande, il nous ramène des maillots, il prend des photos, il discute avec les jeunes… Pour les joueurs du club, c’est en même temps quelqu’un d’accessible, presque un pote, et une vraie star ».

Il a porté le même maillot qu’eux, s’est changé dans les mêmes vestiaires, a eu les mêmes billes de gomme synthétique qui s’amoncelaient dans ses chaussures…. À Bondy, Kylian a tout connu, des U9 aux U17. Les chaudes ambiances des derbies, les tournois qui sentaient la merguez, les terrains rouges un peu miteux… Anthony Lienel se souvient l’avoir croisé un samedi après-midi lorsqu’il entraînait les U15 d’Aubervilliers, pas loin d’ici. « Il était numéro 10 et capitaine, détaille-t-il. Il nous avait fait beaucoup de mal… Il n’était pas exceptionnel physiquement mais il savait tout faire, donnait l’impression d’être toujours bien placé ». À la clé, victoire 3-0 de Bondy qui finira champion de la poule (merci Kylian).

Déjà, à l’époque, les recruteurs de l’Europe entière se succèdent pour voir jouer le phénomène. Malgré des propositions et des chèques alléchants venus de l’étranger, la famille choisit l’AS Monaco. Un choix déjà dicté par des exigences sportives prioritaires à leurs yeux. « Ce qu’on veut, c’est qu’il joue, qu’il progresse », nous disait son père il y a un an. Ce sont les parents qui font office d’agents ; une manière d’être sûr qu’aucun intérêt extérieur ne vient entraver la progression linéaire de leur enfant. Comme si lui devait absolument être préservé dans sa bulle, avec ses fous rires, ses potes de Bondy et d’ailleurs et son amour du ballon rond.

Conséquence, Wilfried et Fayza mettent un soin fou à veiller de près à sa carrière. Depuis sa signature en Principauté en 2013, ils ont tous les deux, tour à tour, pris des années sabbatiques pour aller vivre à ses côtés sur le Rocher. Maintenant qu’il est passé dans une autre dimension, c’est toute la famille qui devrait déménager dans les Yvelines, plus près du centre d’entraînement du PSG à Saint-Germain-en-Laye. Le papa, Wilfried, a d’ailleurs quitté en fin de saison dernière son poste de directeur sportif de l’AS Bondy. Mais pas question, pour autant, de tourner le dos à Bondy. En privé, la maman essaie de convaincre le PSG de faire un geste en faveur de l’AS Bondy. Pourquoi pas le financement d’un deuxième terrain synthétique ? « Ce serait superbe pour nous, se plaît à imaginer Fanfan. Les choses vont se mettre en place d’elles-mêmes, mais on aimerait pouvoir emmener des jeunes au Parc des Princes, par exemple ».

En attendant, c’est Nike, le sponsor du jeune homme, qui met la main à la poche. L’équipementier a organisé un grand tournoi à Bondy, va installer de grandes bâches en l’honneur de Kylian dans la ville et a même refait de A à Z le city-stade de l’école Pasteur, celui sur lequel l’enfant d’alors a placé ses premiers passements de jambes. Et l’ASB croule sous les demandes d’inscriptions, à en croire son directeur sportif qui en sourit : « Nos téléphones n’arrêtent pas de sonner, on est overbookés ! » Bondy a apporté beaucoup à Kylian Mbappé ces dix-huit dernières années. Désormais, le jeune phénomène a l’air bien décidé à lui rendre la pareille.

Ilyes RAMDANI

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