Sous le choc. Moins d’une semaine après, Roger, Mireille et David Pinto ne sont pas encore remis de la violente agression dont ils ont été victimes. Vendredi matin, dans leur propre maison de Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis, ils ont été séquestrés et violemment molestés par trois individus. Selon leurs témoignages que nous avons recueillis, leur calvaire a duré près de deux heures. « Nous sommes brisés », lâche Roger Pinto, la voix très affaiblie.

Le caractère antisémite de l’agression ne fait aucun doute pour cette famille juive, puisque, à plusieurs reprises, les malfrats ont fait référence à leur religion. « Ils n’arrêtaient pas de dire ‘Vous êtes des juifs donc vous avez de l’argent’. Ils ont pris les bijoux de mon épouse, de l’argent liquide, nos cartes avec nos codes. Ils nous ont menacés de mort si on ne s’exécutait pas », poursuit-il. Le butin s’élève, selon les estimations de la famille, à « plus de 150 000 euros de bijoux et 500 euros en liquide ».

Roués de coups, ligotés et menacés

Ce vendredi 8 septembre, il est encore tôt lorsque David, le fils, se réveille le premier. Le quadragénaire, qui vit chez ses parents pour des raisons de santé, se rend dans la cuisine et s’aperçoit qu’il n’y a plus d’électricité. À peine descendu dans la cave pour vérifier que les plombs n’ont pas sauté, deux hommes se jettent sur lui. Un troisième le ligotera avec de la ficelle. Le piège se referme sur lui.

Deux d’entre eux ont le visage masqué alors que le troisième, « le chef » selon les témoignages des victimes, est à découvert. Ces derniers s’en prendront, à peine quelques minutes plus tard, à Mireille, 72 ans, l’épouse de Roger Pinto, quand elle descendra à son tour dans la cuisine, sans se douter de ce qui est en train de se produire. Les trois hommes la mettent à terre avant de lui asséner plusieurs coups. Ce sont ses cris qui réveilleront Roger, 84 ans. « Quand je suis entré dans la cuisine, je me suis pris un coup à la tête. Je suis tombé, ils se sont acharnés sur moi en me mettant des coups de pied, relate-t-il. Ils n’ont pas arrêté de taper jusqu’au moment où j’ai perdu connaissance. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait ».

Nous savons que les Juifs ont beaucoup d’argent. Si vous ne nous donnez pas ce qu’on demande, on vous tue

Mais le calvaire de la famille ne s’arrête pas là. Les trois victimes sont ligotées et enfermées dans une chambre. « Ils nous ont menacés de nous tuer avec leur couteau et leur tournevis si on tentait quoi que ce soit. Ils étaient persuadés qu’on avait un coffre caché alors ils ont retourné la maison », se remémore avec douleur Roger. Les trois hommes fouillent méticuleusement chaque pièce : les tiroirs sont vidés, les étagères déplacées, les tableaux soulevés à la recherche du fameux coffre.

« Mais comme il n’y en avait pas, ils ont continué à frapper, ils ne les croyaient pas », rapporte Me Marc Bensihmon, avocat de la famille et du « Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme » (BNVCA), un mouvement très décrié par plusieurs associations comme la Ligue des Droits de l’Homme ou encore l’Union juive française pour la paix.

Seul « le chef », celui qui donnait les ordres, s’exprime, en tutoyant ses victimes : « Où caches-tu tes bijoux, ton argent ? » demande-t-il à Mireille Pinto. « Nous savons que les Juifs ont beaucoup d’argent. Si vous ne nous donnez pas ce qu’on demande, on vous tue« . Avant de partir, les agresseurs menacent la famille de représailles s’ils osent parler. Mireille contactera les pompiers et la police après leur départ.

Il y a un traumatisme psychologique important

L’attaque était parfaitement planifiée, selon le couple. « Ils ont découpé l’un des barreaux de la fenêtre du garage puis ils ont coupé le courant. C’était un piège, estime Roger. En plus, nous étions absents deux mois, nous ne sommes revenus de nos vacances à Cannes que mercredi soir et comme par hasard nous sommes agressés deux jours plus tard ». Il poursuit : « Qu’on ne me dise pas que ce sont des déséquilibrés ! Les fous, hein, ça suffit ! Ceux-là étaient parfaitement intelligents et organisés, ils portaient des gants et avaient apporté un grand sac contenant les ficelles, la scie, un tournevis et un couteau. On se demande même s’ils n’avaient pas fait des repérages avant. Ils ne se sont jamais interpellés, pour que l’on ne se souvienne pas de leurs prénoms », explique Roger. Nous ne pourrons plus supporter que des barbares commettent de telles exactions. Il faut que ça cesse. Je suis en rage, ça ne vous étonnera pas ».

« Il y a un traumatisme psychologique important, poursuit Me Bensimhon. Un tel déchaînement de violence, qui plus est chez eux, ne s’oublie pas d’un claquement de doigts ».

La famille Pinto habite dans un quartier résidentiel très calme de Livry-Gargan.

Roger Pinto est un militant associatif connu et reconnu, ce qui explique peut-être le vif émoi suscité dans la communauté, selon l’avocat. « Ce qui est arrivé à la famille Pinto a entraîné un traumatisme phénoménal au sein de la communauté juive. D’abord parce que les faits sont graves : une agression musclée contre un homme qui a 84 ans, sa femme et leur fils. L’autre facteur qui a marqué, c’est cet antisémitisme de bas étage : parce que vous êtes juif, vous avez de l’argent ! Enfin, le dernier élément, c’est la personnalité de Roger Pinto : c’est une figure connue : ancien vice-président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives, ndlr), ancien vice-président du consistoire central, président de l’association de défense du peuple juif et de l’État d’Israël, Siona, Président du comité international pour la défense des communautés juives en péril. Cette agression a décuplé le sentiment d’insécurité qui existe déjà au sein de la communauté juive, parce que c’est arrivé aux Pinto ».

C’est la première agression à caractère antisémite avec une telle violence à Livry-Gargan

Le couple de retraités envisage de quitter Livry-Gargan, après plus de 35 ans de vie dans leur pavillon situé dans une zone résidentielle du sud de la commune. « Nous pensons nous installer à Paris », précise Roger Pinto. Au regret du maire (LR) de la ville, Pierre-Yves Martin, qui « condamne avec vigueur l’agression profondément ignoble et intolérable » dont ont été victimes les Pinto : « J’ai eu l’occasion de rencontrer la famille pour leur apporter tout mon soutien, et également leur témoigner de la solidarité qui est la mienne. C’est la première fois qu’une agression à caractère antisémite se produit à Livry-Gargan, avec une telle violence, explique l’élu. Livry-Gargan fait partie des villes où le taux de cambriolages est élevé car les quartiers résidentiels peuvent attirer des malfrats ».

L’enquête est toujours en cours. La sûreté territoriale recherche les trois hommes pour des chefs de vol aggravé par plusieurs circonstances, extorsion aggravée et séquestration. Le motif antisémite de l’agression a été confirmé par le ministre de l’Intérieur dans un communiqué publié dimanche. Les trois agresseurs en fuite risquent dix ans d’emprisonnement.

Leïla KHOUIEL

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