#PREMIEREPARTIE C’est un des visages de la France Insoumise à l’Assemblée nationale. Danièle Obono, proche de Jean-Luc Mélenchon, fait parler d’elle parfois à son corps défendant. Polémique, racisme institutionnel, convergence des luttes, entretien avec la députée de Paris.

Le Bondy Blog : Comment se passent vos premiers pas de députée à l’Assemblée nationale ?

Danièle Obono : Je crois que ça se passe plutôt bien ! En tout cas, on a essayé de faire au mieux durant la session extraordinaire, au mois de juillet, avec les 16 autres députés de la France Insoumise. C’est vrai qu’on a un peu débarqué du jour au lendemain. Je pense que personne n’imaginait être élu, même si on a tout fait pendant la campagne pour convaincre le maximum de gens. Et puis certains, comme Jean-Luc Mélenchon, dès le premier tour, étaient en tête. Je pense que pour une bonne partie d’entre nous, ça a été une bonne surprise. En tout cas pour moi. Tout de suite, on a été dans le bain. Il a fallu s’adapter assez vite et on a eu, heureusement aussi, avec nous, des militants, des collaborateurs et collaboratrices qui ont permis qu’on puisse s’installer très vite et se mettre tout de suite au travail, puisqu’on a été mis dans le bain avec le travail sur les ordonnances à propos de la nouvelle loi travail. Un jour après l’autre, on a dû réagir mais aussi prendre des initiatives, des appels à des rassemblements, pour expliquer aux citoyens et aux citoyennes ce qui se passait, essayer de leur raconter ce qu’on essayait de faire parce que pour nous, être député, ce n’est pas simplement faire le travail à l’Assemblée, qui est important. Il y a beaucoup de choses à faire. Mais aussi, et surtout, être auprès des citoyens dans la rue, dans les mobilisations, auprès des associations, pour expliquer et pour faire comprendre le fonctionnement d’une institution qui est un peu opaque. C’est vrai qu’il y a beaucoup de distance. On a l’impression que la politique se fait entre quatre murs, alors que pour nous, la politique se fait partout. Et c’est ce qu’on a essayé de faire, plus ou moins, et puis on reprend, là-aussi, sur les chapeaux de roue, avec une rentrée politique et sociale pleine de mobilisations et des raisons de se mobiliser. Mais c’est aux citoyens, aux habitants de juger.

Le Bondy Blog : Quels sont les échos que vous avez reçus de la part d’électeurs depuis votre élection ?

Danièle Obono : La grande majorité, celle qu’on reçoit au quotidien, dans la rue, dans la circonscription, et les messages qu’on reçoit, sont très encourageants parce que c’est d’abord exprimer la fierté d’avoir une députée de la France Insoumise à Paris. On n’a pas réussi à en avoir plus, même si tous nos candidats sur Paris et la région parisienne ont fait un travail extraordinaire, souvent en réussissant à remonter énormément en termes de rattrapage de voix. Mais du coup, il y a le fait d’être la seule députée parisienne qui fait qu’il y a cette fierté-là. Au-delà du fait même de la France Insoumise. Des gens qui sont assez contents de ce qu’ils ont pu voir et entendre depuis. Le fait qu’on parle pour eux. Ils ont l’impression qu’on les représente parce qu’ils entendent, pour la première fois à l’Assemblée nationale, des gens comme eux, qui disent les choses qu’ils pensent et qu’ils n’entendent jamais nulle part. Ces retours-là sont essentiels parce que ça nous permet de se rendre compte que ce qu’on fait est entendu parce que, des fois, on a l’impression qu’on rentre dans le fonctionnement institutionnel, parce qu’on a beaucoup de choses à faire, on peut être très vite noyé dans le quotidien des dossiers à suivre, des rendez-vous, des réunions et être un peu dans une bulle. C’est important d’avoir ces retours-là notamment sur les réseaux sociaux, puisqu’on essaie d’être présent sur cette plateforme. Des gens nous disent : « On n’avait jamais regardé La Chaîne Parlementaire. On ne savait même pas dans quel canal c’était avant. Du coup, on regarde et on diffuse« . Et ça, c’est important parce que c’est aussi une manière de rendre la démocratie réelle et montrer que ça peut être utile. Même si on n’a pas la majorité. On n’est que 17. Mais on se dit : « On a élu ces personnes-là. Elles défendent l’intérêt général« .

Le Bondy Blog : Il y a plus d’un an, Adama Traoré mourait après une interpellation par les gendarmes à Beaumont-sur-Oise. Quel est votre positionnement sur la dynamique de la relation entre les forces de l’ordre et la population des quartiers populaires ?

Danièle Obono : La mort d’Adama Traoré, et celles d’autres habitants des quartiers populaires aux mains des forces de l’ordre, comme Ali Ziri à Argenteuil, Lamine Dieng à Paris, dans le XXe, ont créé une méfiance, une peur, un sentiment d’insécurité chez beaucoup d’habitants des quartiers populaires puisque ce sont souvent, malheureusement, ces habitants qui sont ciblés par une forme de harcèlement policier qui prend la forme du contrôle au faciès systématique. Ça a été prouvé par des études menées par des sociologues, des chercheurs, etc. où une personne africaine ou d’apparence africaine, avec un habillement typé jeune des quartiers populaires, va être sept fois plus contrôlé qu’une personne blanche et habillée selon les codes, on va dire, jugés plus respectables. Ça remet en cause le principe qui est que la population a droit à la sûreté, c’est un droit fondamental, un droit humain, qui est qu’on a droit de vivre en sécurité et de ne pas être soumis à l’arbitraire de l’État, notamment de ses forces de police. C’est une situation très grave, qui a mené aux drames dont on a parlé, et qui ne permet pas de vivre dans une société où on a l’impression que la police est au service de la population. Pour trop de citoyens, d’habitants des quartiers populaires, la police est vue comme une menace et agit comme une force de répression au quotidien. Il y a aujourd’hui des mouvements, des collectifs qui se mobilisent depuis de nombreuses années sur ces questions.

Le Bondy Blog : Quel sera le travail de la France Insoumise à ce sujet ?

Danièle Obono : Je suis depuis longtemps, en tant que militante, ces mobilisations et en tant que députée, ce sont des questions que je porte puisque je fais partie de la commission des lois qui traite des questions de sécurité et de sûreté. Ça va revenir dans les débats parlementaires, où je défendrai la position de la France Insoumise qui est de se battre contre le contrôle au faciès, en proposant ce que proposent beaucoup d’associations à savoir la mise en place du récépissé. Mais plus largement, d’avoir une démarche vis-à-vis de la police pour permettre que la police républicaine fasse son travail, au service des citoyens, à travers le fait de revoir la formation, qu’elle soit plus longue. Aujourd’hui, les forces de l’ordre n’ont pas une formation suffisante et ne sont pas suffisamment instruits dans un certain nombre de questions de société, d’éthique, de droit, pour être en mesure de bien faire leur travail. Il y a très peu d’écoles de formation des policiers. Certaines ont été fermées. Il y a un discours politicien qui a tendance à répondre à toutes les questions par plus de police, en mettant plus de gens en uniforme dans la rue, mais sans leur donner les moyens de faire vraiment leur travail. Ce qui est un problème. Mettre aussi une structure qui puisse encadrer, veiller puis enquêter. On l’a vu avec l’affaire Adama Traoré mais aussi avec d’autres citoyens décédés à la suite d’arrestations, dans des commissariats, aux mains des forces de l’ordre. Il faut qu’il y ait une institution indépendante de la police qui puisse mener l’enquête car aujourd’hui, c’est l’inspection générale qui est saisie quand il y a un mort dans ce type de circonstances ou lors de violences policières. Elle est interne au ministère de l’Intérieur et à la police, il y a donc un problème de déontologie basique. Il faut créer une institution véritablement indépendante, qui ait les moyens de clarifier les situations et les responsabilités et faire en sorte que la justice puisse aussi faire son travail en sanctionnant comme il se doit les actes de manquement des forces police.

Le Bondy Blog : Et sortir de la logique sécuritaire ? 

Danièle Obono : Oui et il y a beaucoup de travail à faire en allant à contre-courant du discours politique dominant et instrumentalisé, notamment ce qu’on a appelé le sentiment d’insécurité qui est en réalité un sentiment beaucoup plus large que simplement la question des crimes et délits. L’insécurité est une insécurité sociale, générale, que ressent une majorité de la population face à la précarité, face à l’incertitude sur l’avenir et qui se traduit par une réaction d’autant plus vive dès qu’il y a des problèmes au quotidien qu’on va rencontrer. Et ça a été surtout focalisé sur la question des petits crimes, des petits délits, des incivilités, sans nier la réalité que connaissent les habitants des quartiers populaires sur la petite criminalité, sur les délits et pour lesquels il y a besoin d’une intervention de l’État et des forces de police. Je pense que c’est une réponse sociale et politique globale qu’il faut apporter. Il faut agir en expliquant et en mettant les choses en perspective, pour sortir de la logique sécuritaire qui a été celle de tous les gouvernements depuis 30-40 ans utilisant la réponse policière pour régler des problèmes fondamentalement sociaux, économiques, voire qui instrumentalisent ces questions-là à des fins électoralistes. C’est ce qu’on s’est donné comme mission dans notre programme et c’est ce qu’on va défendre maintenant, à l’Assemblée, puis aux côtés des citoyens et des collectifs, dans la rue, dans les mobilisations, et dans les actions concrètes d’auto-organisation.

« L’histoire de l’esclavage, de la colonisation structure des institutions et une vision du monde transmise du plus haut sommet de l’État jusqu’au bar PMU du coin »

Le Bondy Blog : Qu’est-ce qui fait que la gauche radicale n’arrive pas à convaincre les habitants des quartiers notamment chez les personnes issues de l’immigration ?

Danièle Obono : Il y a eu beaucoup de choses intéressantes écrites depuis longtemps sur « la gauche et les banlieues », ou le rapport entre les forces dites progressistes, qui défendent l’égalité des droits, plus de justice sociale et les populations qu’elles sont censées représenter et pour lesquelles elles sont censées mener ces batailles, qui restent trop souvent absentes. On a vu quand la dite gauche a été au pouvoir, elle l’a été à différents niveaux durant de nombreuses années, au niveau national ou au niveau local, elle a été incapable de répondre aux besoins économiques, sociaux, de l’ensemble de la population, et notamment, les populations des quartiers populaires, qui sont souvent les plus touchées par les questions de chômage, de précarité, et de racisme. Sous la présidence de François Hollande, et surtout de son ministre de l’Intérieur Manuel Valls, elle a été un facteur d’une politique ciblant les migrants et voire carrément raciste, avec les propos que l’on connaît. Il y a une histoire longue de la France, de ce qui a construit cet État sur l’histoire de l’esclavage, de la colonisation. Cela structure des institutions puis une vision du monde qui est transmise du plus haut sommet de l’État jusqu’au bar-PMU du coin. On vit dans cette société-là, où il y a ce que j’appelle un racisme structurel, comme il y a du sexisme, comme il y a un certain nombre de discriminations. On voit qu’on a des politiques menées qui sont, de notre point de vue, au service d’une minorité. Des politiques néo-libérales qui vont servir les intérêts du grand patronat, des multinationales. C’est un peu caricatural mais, en gros, on voit aussi la crise économique, le chômage, la précarité qui augmentent. Face à cette situation, parce que ces politiques-là sont menées en conscience par des gouvernements, aussi bien de droite que par ceux qui se disent de gauche, le racisme sert aussi à diviser et à faire en sorte que plutôt de regarder le patron voyou, on va regarder les sans-papiers et dire que c’est eux qui volent le pain des bons français « blancs » plutôt que la réalité, qui est celle de la situation économique et des choix politiques qui sont faits.

Le Bondy Blog : La gauche non plus ne brille pas dans sa capacité à représenter la diversité…

Danièle Obono : C’est vrai, au niveau des organisations de gauche, progressistes, traditionnelles, comme par rapport au sexisme, il y a des formes de privilèges, des formes de relégations. Autant, parmi les militants du quotidien, il peut y avoir des noirs, arabes, asiatiques mais dès qu’il s’agit de prendre des responsabilités, cela redevient dominé par une catégorie socioprofessionnelle, classe moyenne, CSP+, plutôt masculine, plutôt blanche. Ce n’est pas anodin parce que c’est aussi « qui parle, pour qui ? » Ça ne veut pas dire qu’on a plus raison, parce qu’on est noir, tout ce qu’on dit est juste en ce qui concerne les Noirs. Ça fait partie de la manière dont on voit les choses et de la capacité de représenter les gens et le sentiment d’être représenté par des personnes qui les ressemblent. Nous, on a assumé de dire qu’on n’est pas des professionnels de la politique, dans le sens où on n’a pas été élus depuis 30 ans. On est des militants politiques, mais des salariés, des fonctionnaires, des gens du peuple et on représente le peuple. Ce peuple est divers socioprofessionnellement, culturellement, en termes d’origine, d’où on vient, où on est né. Cette diversité-là est peu présente. Non seulement dans la classe politique en général, les institutions, mais aussi dans ces organisations-là. C’est la combinaison de toutes ces choses-là qui explique la méfiance, qui est généralisée. Quand on voit aujourd’hui le taux d’abstention, il est de plus en plus fort au niveau national et européen. Il est d’autant plus fort dans les quartiers populaires parce qu’il y a le sentiment que tous ces gens au pouvoir sont tous les mêmes, « tous pourris ». Du coup, les gens sont très fâchés. Peut-être pas fachos mais il y a cette tentation-là. Ou on s’abstient parce qu’on n’y croit plus. Et c’est d’autant plus fort dans les catégories de la population qui ne se voient pas littéralement nulle part, encore moins au niveau politique. Je pense que c’est aussi une question sur lesquelles il y a des batailles à mener au sein des organisations, en termes de revendications antiracistes, anti-discriminations, avec la même force et la même détermination que dans des combats économiques et sociaux plus classiques. Et le faire en respectant les organisations autonomes qui, par ailleurs, mènent ces combats-là, en étant dans une relation d’écoute. Pas simplement se substituer à celles et ceux qui mènent les combats, qui sont les premiers concernés mais en étant aussi une tribune et en défendant ces problématiques-là, en s’entraidant largement et en montrant qu’en notre sein, nous sommes des organisations. Nous devrions être, nous avons vocation à être des espaces où tout le monde peut se sentir représenté et partie prenante de la lutte.

« Il y a des fronts qu’on peut construire ensemble, qu’on a besoin de construire ensemble si on veut que les choses avancent. Il y a des alliances qui sont possibles et qui existent »

Le Bondy Blog : Est-ce que la gauche radicale et le mouvement antiraciste issu des quartiers populaires sont irréconciliables ou peuvent-ils encore s’allier ?

Danièle Obono : Il y a des points de désaccord qui peuvent exister sur différentes questions mais je pense qu’il y a, pour tous et toutes, l’essentiel, à savoir des citoyens indignés face aux violences policières. L’objectif est qu’on construise un rapport de force qui permette de mettre un terme à ces violences, d’arriver à l’objectif du récépissé. Ce n’est pas le point de départ mais il y a des ponts qui existent. Il y a des fronts qu’on peut construire ensemble, qu’on a besoin de construire ensemble si on veut que les choses avancent. Il y a des alliances qui sont possibles et qui existent, de fait. Il y a toujours eu, au sein des organisations et des mouvements sociaux, associatifs, politiques des quartiers populaires, des militants qui étaient noirs, arabes, asiatiques, qui menaient les batailles dans les deux champs. Il n’y a pas une complète extériorité des espaces. On a besoin les uns des autres pour gagner. Ça amène à pouvoir être capable de se mettre d’accord sur des mots d’ordre, sur des choses concrètes et ça permettra, peut-être, plus facilement ensuite, de pouvoir discuter sur d’autres choses dans lesquelles on n’est pas d’accord. En tout cas, nous, la démarche qu’on a porté dans la France Insoumise, et qui a fait pourquoi je m’y suis engagée, c’est de dire : « Voilà ce sur quoi on est d’accord, c’est le programme, l’Avenir en commun ». Il y a un certain nombre de questions qui ne sortent pas de nulle part. Elles viennent des mouvements, sociaux, démocratiques, on n’a rien inventé ! Mais au moins, on a mis ça noir sur blanc. Ce sont des bases suffisantes pour se battre ensemble au sein du même mouvement, puis avec d’autres, surtout. Et pour moi, c’est cette démarche-là que je vais continuer à mener en tant que députée, puis en tant que membre de la France Insoumise, avec celles et ceux qui, comme moi, veulent mettre un terme aux violences policières, veulent faire avancer la question de l’égalité, lutter contre les discriminations à tous les niveaux. On pose les bases. Elles peuvent être renforcées pour se battre ensemble et pour gagner, à terme, de vraies avancées. On ne va pas attendre le grand soir ou les petits matins d’une révolution qui tombe du ciel. Je pense que ça passe aussi par le fait qu’il faut qu’on gagne. Il y va aussi de la vie des gens. Il y a des gens qui sont morts. Il y a des comportements, un fonctionnement du système qui conduit à ça. Ce n’est pas théorique ou abstrait, se dire qu’on est antiraciste pour avoir un label. C’est pour répondre à des problèmes concrets, à des drames, à des choses qui ne devraient pas arriver.

Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN

Crédit photo : Rouguyata SALL

La seconde partie de cet entretien est à retrouver à 14 heures.

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