« Le problème dans les quartiers vient d’une absence de connexions entre les gens ». C’est le constat qui pousse Hadj Khelil à fonder en 2007 l’association Connex’Cités. L’idée ? Créer du lien entre jeunes talents des banlieues et chefs d’entreprise ou étudiants de grandes écoles. « On identifie les excellences respectives, les capacités, les connaissances de chacun et on se débrouille pour qu’ils échangent”, avance l’entrepreneur implanté à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis et passé par l’université britannique d’Oxford.

Depuis, Connex’Cités propose à des étudiants de grandes écoles et des patrons de transmettre leur savoir par le biais de cours de mathématiques, de français, d’économie à destination de jeunes des quartiers. Le moteur étant l’échange commun, ces derniers doivent, à leur tour, communiquer leur savoir quel qu’il soit. « Tout le monde a quelque chose à apporter à son voisin. C’est grâce à des mini actions que l’on fait la différence”, ajoute le président de l’association. Les possibilités d’enrichissement réciproque sont larges : des cours de danse, de cuisine, des stages, des contacts, des conférences… Environ 150 personnes y participent par an.

Échange cours de boxe contre cours de maths

L’aventure commence à Aulnay-sous-Bois, dans la cité des 3 000, plus précisément dans la salle de boxe Marcel Cerdan où s’entraîne celui qui fut trader à la City. « J’ai proposé aux jeunes de donner des cours de boxe à d’autres jeunes de Sciences Po Paris et j’ai dit à ces derniers : ‘vous leur apprenez à faire une dissertation, et eux, ils vous apprendront à vous battre’. Ça a super bien marché : au bout de six mois, les étudiants de la rue Saint-Guillaume faisaient de la boxe, et plutôt bien, et des petits de la cité se présentaient au concours de la prestigieuse école parisienne. Quand on a compris que tout le monde ne voulait pas forcément boxer ou entrer à Sciences Po Paris, on a développé le même concept mais dans un système beaucoup plus large ».

Mettre fin au déterminisme social

À l’absence de réseau, s’ajoutent, entre autres, le poids de l’origine sociale sur les résultats des élèves (une particularité française révélée dans la dernière enquête PISA parue en 2015), un nombre de décrocheurs scolaires encore trop important, environ 100 000 chaque année, souvent issus de milieux sociaux défavorisés, et un manque de connaissance du système scolaire. « Avoir un parcours linéaire et réussi en France suppose de mettre en place un certain nombre de stratégies : scolariser son enfant dans le bon établissement quitte à tricher avec la carte scolaire ou à le mettre dans le privé si on n’a pas la chance d’habiter le bon quartier, avance Myriam Serdouh, vice-présidente de l’association Connex’Cités. Ensuite vient le choix des options : un bac scientifique ou STMG n’offre pas les mêmes débouchés. Encore faut-il le savoir à 15 ans lors du 3ème trimestre de seconde quand les élèves doivent faire leurs choix d’orientation »?

La trentenaire originaire de Lille revient à ce propos sur sa propre expérience. « Lorsque j’étais collégienne, j’ai dit à ma conseillère d’orientation que je souhaitais devenir médecin. Sans même regarder mes notes, elle m’a conseillé de devenir sage-femme ou infirmière car compte-tenu de la profession de mon père, soudeur, je n’aurais certainement pas les moyens de faire des études longues. Cette histoire n’est malheureusement pas qu’une anecdote, beaucoup de personnes venant des quartiers ont vécu cette mésaventure ». La jeune femme est aujourd’hui manager marketing intelligence dans une entreprise spécialisée dans le transport, après avoir suivi un cursus en hypokhâgne/khâgne et décroché un Master en droit des affaires et un master Stratégie et intelligence économique.

Voir des gens qui te ressemblent et qui y arrivent, et se dire que c’est possible, ça change tout

Mohamed Meftah est passé par là lui aussi. « Les grandes écoles, on connaissait mais on ne savait pas comment y entrer, quel parcours il fallait suivre, raconte cet ancien bon élève du lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois. On n’avait pas d’exemples dans notre entourage. J’aurais peut-être fini ingénieur mais je me serais sûrement dirigé vers la fac ». Il croise alors le chemin d’Hadj Khelil. C’est le déclic. « Voir des gens qui te ressemblent et qui y arrivent, et se dire que c’est possible, ça change tout ». Le jeune homme rejoint Connex’Cités en 2010. Chaque samedi, il investit avec une dizaine d’autres lycéens les locaux de la fondation Deloitte à Neuilly-sur-Seine, partenaire de l’association. Au programme : cours, suivi personnalisé, conférences, sorties culturelles… « On rencontre des gens d’un autre milieu, on apprend à avoir l’état d’esprit, les codes demandés », retrace l’Aulnaysien de 24 ans. « Connex’Cités se donne pour mission de lever l’autocensure qui est un véritable frein pour les élèves dans leur parcours scolaire et de les préparer à intégrer la filière de leur choix, assure Myriam Serdouh. Tous les bénévoles sont réellement investis et disponibles car souvent ils ont dû faire face aux mêmes difficultés que les élèves qu’ils accompagnent ».

Quatre ans après avoir bénéficié du dispositif, Mohamed Meftah est passé de l’autre côté de la barrière en devenant professeur bénévole au sein de l’association. « Ça a toujours été important pour moi de transmettre. J’ai deux petits frères. Il faut donner une chance aux jeunes », conclut le futur diplômé de la prestigieuse école d’ingénieur à Centrale Paris. Un cercle vertueux en somme ou comment mettre fin à « l’absence de connexions entre les gens ».

L’aventure se poursuit : pour la dixième année consécutive, Connex’Cités recherche « des lycéens de classes de seconde et de première en filière générale, motivés qui souhaitent être accompagnés tout au long de leur scolarité », précise Myriam Serdouh. Pour candidater, il suffit de contacter l’association via sa page Facebook ou sur le site internet. Rentrée prévue le 21 octobre.

Leïla KHOUIEL et Kozi PASTAKIA

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