En politique, il y a les paroles, les actes… et les symboles. En décidant de supprimer la vice-présidence à la politique de la ville, Valérie Pécresse a envoyé un nouveau signal négatif aux acteurs des quartiers populaires. Ce n’est pourtant pas la place qui manque dans l’exécutif annoncé mardi soir en séance par la présidente de la région Île-de-France : 15 vice-présidents et 17 « délégués spéciaux ».

Parmi eux, certains dédiés à l’Exposition universelle, à la Cité de la gastronomie ou aux Campus des métiers. Mais pas de mention de la politique de la ville : le portefeuille de Geoffrey Didier, en charge jusque-là du logement et de la dite politique, associe désormais au logement, la rénovation urbaine et l’attractivité (de qui ? de quoi ?). Une disparition qui a étonné, parmi d’autres décisions comme la relégation de l’écologie de la deuxième à l’avant-dernière vice-présidence ou une autre disparition, celle de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

« C’est scandaleux et inacceptable, tonne Mohamed Mechmache, conseiller régional EELV et militant associatif de Clichy-sous-Bois. Depuis cette mandature, les quartiers populaires ne sont pas considérés mais là, c’est le summum ». Corinne Bord, élue PS, ne dit pas autre chose : « Cette décision, je ne la partage pas mais elle est tout à fait révélatrice quant à l’engagement de l’équipe de Valérie Pécresse concernant les quartiers populaires. C’est tout simplement la révélation d’un abandon total de la politique de la ville ». « La symbolique politique est lourde, embraye Mounir Satouri, président des élus écologistes. C’est un vrai scandale ».

Lundi à Grigny, mercredi dans le VIIe…

Parce qu’en politique, tout a un sens, difficile de ne pas s’interroger par ailleurs sur le timing de cette décision. Ce lundi, à Grigny, 150 maires de villes populaires s’étaient en effet réunis en « États généraux de la politique de la ville », réclamant notamment au gouvernement un « sursaut » sur la question. Valérie Pécresse s’y était alors rendue, prenant la parole avec des accents de Martin Luther King : « J’ai un message pour vous. Les régions de France veulent vous dire qu’elles ne vous feront pas défaut. La variable d’ajustement ne sera pas la politique de la ville ». Le tout précédé d’un tweet clamant à nouveau haut et fort cet engagement sans faille de la région en faveur des quartiers.

« Pousser la démagogie à Grigny puis annoncer la suppression de la vice-présidence deux jours après, c’est quand même gonflé, souffle Corinne Bord. Moi, ça me fait hurler ». Son collègue Mounir Satouri regrette « une vraie différence entre les discours et les actes chez Mme Pécresse. Lundi, elle ouvre grand les bras aux acteurs des quartiers. Le surlendemain, elle annonce son nouvel exécutif en ne leur accordant aucune place. Il y a un mensonge de sa part ».

Tout cela pourrait effectivement être anecdotique si ce n’était pas le nouvel épisode d’une succession de signaux de désengagement envoyés par la Région à ses quartiers les plus populaires. À titre d’exemple, les crédits alloués à la politique de la ville ont ainsi baissé de 60% depuis 2015. « Ce sont 3 millions d’euros en moins pour les associations, une division par quatre des crédits programmés pour la rénovation urbaine de nos quartiers et plus de 30 millions d’euros perdus pour la construction de logements », écrivaient des élus PS d’Île-de-France dans une lettre ouverte publiée par le JDD en janvier dernier.

« La première victime de Pécresse, c’est la politique de la ville »

Dans le viseur également des acteurs de terrain et des élus d’opposition, la suppression des emplois-tremplin ou les baisses de subventions aux associations. « Les emplois-tremplin aidaient les associations à se structurer et permettaient à des jeunes de travailler. Elle a tout flingué sur une mesure purement idéologique, regrette Corinne Bord. Qu’on les aime ou pas, ces emplois mettaient le pied de beaucoup de jeunes à l’étrier, ça créait du lien social. En les supprimant, on porte un coup à la fraternité. Et en mettant à mal de la politique de la ville, on frappe l’égalité. Manque plus que la liberté ! »

« L’action de Valérie Pécresse engendre un recul sur toutes les politiques sociales, tacle Mounir Satouri. Mais sa première victime, c’est la politique de la ville. La politique de Mme Pécresse, c’est une politique de désintérêt et d’ignorance. On rabote tous les financements et si quelqu’un ne peut pas s’en sortir, tant pis pour lui ». Son collègue Mohamed Mechmache va encore plus loin. « Pour moi, Valérie Pécresse méprise les quartiers populaires. En tant que présidente de région, c’est très grave. Il y a les emplois-tremplin mais il y a aussi la culture, les associations sportives… Partout où on peut creuser les inégalités et les injustices, on le fait ».

« Face à un gouvernement qui lâche les quartiers populaires, ils comptaient encore sur le soutien de la Région. Jusqu’où allons-nous aller dans le déni ? »

Corinne Bord embraye. « C’est presque la lutte des classes à la région. Tout ce qui peut aider les couches les plus populaires est supprimé, sur le logement, les transports, la discrimination positive… Il n’y a pas de volonté de rééquilibrer en faveur de ceux qui en ont le plus besoin ». Avec des conséquences potentiellement désastreuses pour les associations, les lycées et les acteurs sociaux de nos territoires. « Ça va continuer à creuser le fossé, craint Mohamed Mechmache. Sur le terrain, nombreux sont ceux qui se battent pour le bien commun. Mais face à un gouvernement qui lâche les quartiers populaires, ils comptaient encore sur le soutien de la Région. Jusqu’où allons-nous aller dans le déni ? »

« Le lien social va vivre moins bien, conclut Corinne Bord. Tout cela peut créer du repli sur soi, de la crispation, moins d’accompagnement. Dans la vraie vie, qui va faire de l’accompagnement scolaire, animer le club de foot, aider les parents dans leurs démarches ? ». En tout, ce sont un million et demi d’habitants qui vivent dans les quartiers populaires en région parisienne, avec des difficultés bien spécifiques mais sans réponse spécifique de la part de la Région.

Du côté de la majorité, on balaie d’un revers de la main les critiques. « La politique de la ville ne disparait pas. Les intitulés changent, c’est un choix que nous avons fait. On ne fait pas la politique avec des titres mais avec des actes », rétorque Othman Nasrou, président du groupe Les Républicains au Conseil régional d’Île-de-France qui tient à rappeler qu’il est élu à Trappes, dans les Yvelines. Ce qui compte c’est qu’aujourd’hui la politique de la ville soit doublement portée : par Geoffroy Didier et son portefeuille de la rénovation urbaine et par Patrick Karam avec la citoyenneté ». A ceux qui y voient une manière de diluer l’action en direction des quartiers et de rendre moins transparentes les lignes budgétaires, le vice-président rappelle les actions mises en place par la majorité de droite : « le fonds d’investissement de 7 millions d’euros pour les entrepreneurs des quartiers, un investissement à hauteur de 2 milliards d’euros pour le logement et la rénovation urbaine en politique de la ville. On peut mettre des titres en gras, en italique, ce n’est pas là l’essentiel. La majorité précédente était forte sur les mots, pas très efficace sur le concret ». Avant d’affirmer : « S’il y a des associations, des personnalités qui ont des inquiétudes, je serai très heureux de les recevoir personnellement ». Peut-être aurait-il fallu le faire avant ?

Ilyes RAMDANI

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