Journaliste, chroniqueur, éditeur et politologue… Le CV de Guy Birenbaum, invité de la troisième masterclass de la saison, est aussi long qu’impressionnant. Le Bondy Blog a eu le plaisir de le recevoir dans ses locaux samedi 14 octobre. Compte-rendu.

« Je n’aurais pas dû être là. Ma mère est restée deux ans cachée dans un grenier du 209 rue Saint-Maur, un immeuble où beaucoup de gens ont été raflés ». Guy Birenbaum démarre sa masterclass sur son histoire familiale, qui est selon lui à l’origine de son parcours. Petit-fils de quatre immigrés polonais, il descend d’une grand-mère qui a fait la Révolution russe et d’un père qui entre dans la Résistance à l’âge de 16 ans, le lendemain de la rafle du Vél d’Hiv. Un père engagé, qui en 68, porte le jeune Guy sur ses épaules à la Sorbonne devant les barricades.

Le bac en poche avant 17 ans, direction la fac de droit de Paris I, suivant la volonté de ses parents. « Les parents juifs, c’est très simple, un fils médecin et un fils avocat. Mon frère est médecin ». Guy Birenbaum nous déroule son parcours universitaire. Une licence de droit option science politique puis une maîtrise. Jacques Legroye, un de ses professeurs, le pousse à continuer. En 1985, il est l’un des premiers à travailler sur le Front national. Alors en DEA, il applique la méthode sociologique de l’observation participante : cheveux ras du crâne et blouson en cuir pour rencontrer les dirigeants du FN. C’est à cette période qu’il commence à croiser des journalistes. Après sa soutenance de thèse en 1992, il est nommé maître de conférences mais n’obtient pas de poste. Il se retrouve rue Solférino et sans être militant socialiste, collabore à Vendredi-Idées, une publication « politico-intello au cœur du parti ». Puis il retourne à la fac, cette fois pour enseigner, à Montpellier I.

« Mon apprentissage de l’écriture journalistique s’est fait comme ça, tardivement, dans la trentaine »

Son travail sur le FN intéresse les journalistes mais sa médiatisation ennuie le monde universitaire encore très protocolaire. Tant pis. Il est interviewé par Catherine Nay d’Europe 1, par Libération…. Georges-Marc Benamou l’approche pour Globe Hebdo : « Tu viens travailler avec nous. Tu écris ce que tu veux ». Il rejoint Miller, Bergé et BHL dans ce canard intellectuel de gauche. « Mon apprentissage de l’écriture journalistique s’est fait comme ça, tardivement, dans la trentaine. Ces journalistes m’ont expliqué comme ça marche, comment faire une interview ».

Alors qu’il donne toujours des cours à la fac, il arrive à la télé grâce à Jean-Luc Mano, patron de la rédaction de France 2, qui en 1995 lui dit : « Viens t’occuper des émissions avec moi ». Il apprend la télé pendant la campagne présidentielle, avant d’amorcer sa carrière d’éditeur, aux éditions Denoël, où on lui demande de faire des essais politiques. Il quitte la fac faute de temps et devient éditeur du juge Éric Halphen, d’Arnaud Montebourg, de Santoni et Rossi, deux nationalistes corses assassinés l’un après l’autre. Ou encore de Samira Bellil (Dans l’enfer des tournantes).

« Pour avoir des infos, il vaut mieux dîner avec un journaliste plutôt que de lire ses articles »

Nous sommes en 2002, la campagne présidentielle insupporte Guy Birenbaum. Le journaliste ne croit pas une seule seconde que Jean-Marie Le Pen sera président, et ne va d’ailleurs pas voter au second tour. C’est hors de lui qu’il écrit Nos délits d’initiés, mes soupçons de citoyen, sur la connivence entre politiques et journalistes, pour dénoncer le mensonge sur lequel la vie politique est fondée. Il balance tout. Le livre est d’après lui mal compris. Mais il est invité partout car « le gars qui jette des cailloux, on adore. Après, on lui en jette« .

Le cocktail universitaire + grande gueule continue d’attirer les grands noms des médias. En 2003, Christophe Hondelatte vient le chercher pour l’émission On refait le monde sur RTL. C’est parti pour quelques années à donner son avis à la radio. Il passe ensuite chez Morandini sur Europe 1pour taper sur tout ce qui bouge”. Entre temps, il perd sa maison d’édition, après l’affaire Laurent de Villiers, fils de l’homme politique Philippe de Villiers, qui a déposé plainte pour viol contre son frère aîné. Guy Birenbaum se retrouve alors à témoigner devant la brigade des mineurs. Nous sommes alors en 2007, en pleine campagne présidentielle. Philippe de Villiers est candidat. Birenbaum ne veut pas que l’ouvrage sorte pendant la campagne. Sauf qu’après, Michel Lafon, qui est lié à la maison d’édition de Birenbaum par un accord de coédition, “ne le sent plus”, ni le livre, ni lui, et met fin à leur collaboration. « J’ai compris longtemps après qu’il y a dû y avoir de belles interventions politiques pour que le livre ne sorte pas« , assure l’homme de 56 ans.

L’ère du blog : « Je suis chez moi et j’écris ce que je veux »

En 2006, « un grand moment important » : “Daniel Schneidermann me dit ‘tu devrais bloguer’. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Me voilà sur le site de 20 Minutes. Ça explose avec mes billets de blog violents et fumeux. On a même inventé le live-tweet avec les commentaires sous mes articles », dit-il de cette époque où plus de 235 000 internautes visitent son blog chaque mois. Débauché par Bruno Patino pour Le Monde, il devient blogueur sur Le Post qui deviendra Le Huffington Post, rétribué cette fois-ci, pour jouer avec l’info : « Du gaming the news, il y a avait de quoi faire sous Sarkozy« .

Dès 2011, Guy Birenbaum fait des réseaux sociaux sa matière première. « On a monté ‘Des clics et des claques’, une bande de potes qui traite l’actu par le prisme des réseaux sociaux. Là, j’aurais mieux fait de passer à côté, regrette-t-il. Les réseaux sociaux brutaux ne font que me renvoyer ma propre brutalité. J’avais un avis sur tout. Et je pensais que mon avis était important« .

Quand tout s’arrête soudainement

En 2014, Guy Birenbaum quitte malgré lui Europe 1, avec la valse des changements d’équipes. C’est l’année noire. Celle de sa dépression qu’il raconte dans son livre Vous m’avez manqué. Le corps et la tête ont dit stop à son addiction aux réseaux sociaux et à l’info en continu. Les « sale juif » quotidiens balancés sur les réseaux sociaux ont eu raison de lui, il est rattrapé par son histoire familiale lourde.

La psychanalyse porte alors ses fruits. « Ça m’a radicalement modifié. Tout ce qui avait de l’importance n’en a plus. Je pense que mon avis n’est pas plus intéressant qu’un autre. C’est horrible la fabrication du buzz, l’entretien de la machine, le carburant c’était moi. J’ai été débordé, envahi ». Aujourd’hui, Guy Birenbaum a changé ses pratiques, ne fait même plus de selfies. Et s’inquiète pour ses proches dès les prémisses d’une surexposition en ligne, qui cache selon lui un mal-être sous-jacent.

Guy Birenbaum 2.0 : « Be a rebel, be kind »

Son copain Laurent Guimier devient patron de France info et lui dit « Tu viens avec moi », alors qu’il était « sous terre ». Quatre émissions d’info s’ensuivent dont L’autre info, où il déniche des « trucs sous les radars » et T’as vu l’info ? : « J’arrive le matin, je ne sais pas ce que je vais faire, je lis les journaux, j’ai deux heures. Je veux amuser et faire réfléchir ». Il revient d’ailleurs sur la vidéo buzz de Christophe Castaner : voilà le porte-parole du gouvernement qui rend compte du conseil des ministres en Vélib’, pour répondre à la moquerie du chroniqueur de France info, quand l’homme politique a fait le précédent debriefing dans une voiture.

La bienveillance tranche avec son passif d’acharné de la réaction en ligne. « Je ne suis plus méchant. J’ai blessé trop de gens. On peut dire la même chose sans blesser. Je crois que la vraie transgression c’est la bienveillance », nous confie le journaliste. Dans Mise à jour, une interview quotidienne de 10 minutes, il n’invite d’ailleurs dorénavant que des gens pour qui il a de l’empathie : « Maintenant, je suis un passeur. Je n’ai pas envie de faire venir des gens pour me fighter avec eux« .

Quand on l’interroge sur sa consommation des médias, Guy Birenbaum avoue qu’il ne regarde pas la télé, hormis The Voice, qu’il adore. On apprend aussi qu’il est un inconditionnel du Masque et la Plume sur France Inter. Et qu’il écoute l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut en passant l’aspirateur : « Ça m’énerve tellement que j’aspire super bien ! »

« Mon beau-père dans l’Aveyron, il ne sait pas de quoi on parle »

Dans la deuxième partie de la masterclass, Guy Birenbaum répond à nos interrogations. Sur la connivence politiques/journalistes, impossible de ne pas évoquer le cas Bruno Roger-Petit, alias BRP, journaliste devenu porte-parole de la présidence de la République Française. « Ça ne m’étonne pas, ça s’est tellement vu pendant la campagne. Je lui ai même dit sur Twitter, ‘Bruno, pourquoi t’y vas pas, engage-toi’. Mais tous ceux qui lui crachaient à la gueule doivent maintenant lui manger dans la main. Ce qui m’ennuie, c’est ce que l’on ne sait pas : il peut exister des gens qui conseillent les personnes qu’ils interviewent ». L’invité enchaîne sur la consanguinité présente dans ces milieux très poreux en soulignant qu’on parle peu de ces relations dans d’autres rubriques, comme la culture ou encore le sport.

« Mais, vous savez, les gens s’en foutent de cette histoire avec BRP, ils ne savent pas qui c’est. On a un peu oublié que le vrai sujet ce n’est pas de se regarder le nombril », finit par trancher Guy Birenbaum. Avant de conclure sur les réseaux sociaux : « On est passé du ‘c’est formidable’ à ‘les usages sont catastrophiques’. Ça permet de rencontrer des gens extraordinaires, tout en haut comme tout en bas, l’horizontalité existe. C’est super parce qu’on sort plein de gens de l’isolement, ajoute-t-il, citant notamment l’histoire d’un homme qu’ils ont sauvé du suicide grâce à Twitter. Mais je préfèrerai que les gens se parlent dans la rue ».

Rouguyata SALL

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