Dans le petit bureau de Réseau Universités Sans Frontières (RUSF) de Paris 8, à Saint Denis, Aboalgasim Salih et Habib Ullah nous attendent, impatients de raconter leur histoire. Aboalgasim parle sans cesse, dans un français encore hésitant ; Habib, timide, lui, économise les mots qu’il manie difficilement. Aboalgasim paraît immense, il mesure presque 2 mètres, et costaud, a acquis une assurance qu’Habib, plus petit et plus mince, ne possède pas encore.

Réfugiés, Aboalgasim vient du Soudan, Habib, du Pakistan. Ils ont tous les deux l’espoir de reprendre des études supérieures abandonnées quand ils ont fuit leur pays. Ils partagent quatre points communs : un parcours chaotique de ceux qui veulent échapper à la guerre ou à la misère ; leur jour de naissance – le 1er janvier 1990 pour le premier, 1993, pour le second – l’année de leur arrivée en France, 2015 et les études à Paris 8. Les deux jeunes hommes sont étudiants en diplôme universitaire de « Français langue étrangère ».

Cette formation, mise en place en mars 2016, destinée aux réfugiés exclusivement, vise à leur proposer gratuitement une maitrise de la langue française pour une meilleure insertion et dans l’espoir d’une éventuelle reprise de leurs études interrompues dans leurs pays d’origine. Ce programme de 15 heures par semaine est une initiative saluée par beaucoup, citée dans la presse aussi. Reste que, malgré ce programme, les difficultés persistent pour ces étudiants réfugiés.

« En période de guerre, on pense à sauver sa vie, pas ses papiers »

Cadet d’une famille de dix enfants, Aboalgasim Salih, 27 ans, comme beaucoup de Soudanais, a fui les affrontements entre le Nord et le Sud, en passant par la Libye. Il est arrivé en France il y a deux ans. Depuis, il garde l’espoir de reprendre ses études en psychologie, entamées à l’université de Neelain à Khartoum, dans ce pays où le soleil semble ne jamais vouloir s’arrêter de brûler la terre. « Quand je suis arrivé en Seine Saint Denis, j’ai rencontré des amis soudanais qui étaient déjà étudiants à Paris 8. C’est eux qui m’ont suggéré de venir m’inscrire« . Venant d’un pays anglophone, Aboalgasim s’est d’abord servi de l’anglais pour communiquer. « Je ne connaissais pas un seul mot en français ! Quand j’étais dans les transports et que les gens se parlaient, je me demandais s’ils parlaient de moi« , dit-il, amusé aujourd’hui par cette peur quotidienne qui habite en permanence celui qui ne comprend pas.

Malgré les efforts, le rêve de reprendre ses études en psychologie n’a pas abouti

C’est par le diplôme de FLE, Français Langue Étrangère réservé aux réfugiés et demandeurs d’asile qu’il s’est inscrit à l’université en 2015. « Je voulais vite apprendre la langue, je ne voulais pas traîner. Je travaille beaucoup. Le diplôme m’a donné de la motivation et je me suis dit que j’allais pouvoir m’inscrire en psychologie ». Mais, l’année suivante, en 2016-2017, son rêve de reprendre ses études en psychologie n’a pas abouti. Il rencontre trop de difficultés. Malgré la diversité des nationalités présentes sur le campus et la volonté d’accueillir des étudiants venus d’ailleurs, tout le monde ne peut pas s’inscrire où il le souhaite. Son choix n’a pas été entendu, sans qu’il comprenne le pourquoi du refus. « Je suis réfugié, et j’ai obtenu mon statut de demandeur d’asile. Mais, ici, à l’université, l’administration est très compliquée. J’ai fui la guerre alors comment peut-on penser que je vais pouvoir récupérer mes diplômes. En période de guerre, on pense à sauver sa vie, et pas aux papiers », clame t-il. « On me demande l’argent que je n’ai pas pour m’inscrire et on m’oriente vers les études de langues étrangères ? »

Aboalgasim Salih, 27 ans, a fui la guerre au Soudan. Il est désormais étudiant à l’université Paris 8 à Saint-Denis et rêve de reprendre ses études en psychologie

« Les étudiants étrangers se retrouvent mis à l’écart. Au moment des pauses, je me sens seul. C’est difficile »

Aboalgasim ne cesser les allers-retours : entre le bureau des inscriptions, la maison des étudiants, les associations, des collectifs d’étudiants… sans parvenir à faire bouger les choses. Les portes, les unes après les autres se ferment. Le département de psychologie étant inaccessible, il s’est inscrit en Langues étrangères où il suit des cours d’anglais et d’arabe. « Je suis en licence, mais je n’aime pas ça. Ça ne répond pas à mes vœux ». Finalement, en septembre, il a décidé de suivre des études de littérature française mais, il garde toujours l’espoir de reprendre sa formation de psychologie en Master .« C’est ce que je veux, c’est ça qui m’intéresse ». Au delà des difficultés liées au choix de sa formation, Aboalgasim Salih évoque la solitude. « Ici, les étudiants ne se parlent pas entre eux. Les étudiants étrangers se retrouvent mis à l’écart. Au moment des pauses, je me sens seul. C’est difficile ». C’est justement pour parler avec d’autres qu’il a rejoint les locaux de l’association RUSF.

Du Pakistan à Paris 8, sept pays traversés

Habib Ullah, le visage amaigri et les yeux enfoncés, a écouté patiemment et attentivement le récit d’Aboalgasim avant de prendre la parole. Aîné d’une famille de huit enfants, il a traversé sept pays pour arriver enfin en France : l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne. Il foule le sol français le 7 septembre 2015. Cette date il ne l’oubliera pas. « Je n »ai jamais voulu quitter mon pays, le Pakistan. J’aime mon pays. Je l’aime pour toujours mais je n’ai pas eu le choix. Il fallait partir ». Étudiant en génie civil, Habib raconte son histoire dans un français forcément encore hésitant. « J’ai choisi de séjourner en France après avoir rencontré un ami, Niamat Ali, en Turquie. Je lui ai expliqué ma situation et il ma suggéré de venir en France. J’avais envie de continuer aussi mes études de génie civil et il m’a rassuré en me disant qu’il pourrait m’héberger ». Avec beaucoup d’espoir, il a pris le numéro de téléphone de son ami et a repris son chemin pour traverser l’Europe. Une fois sur place, en septembre 2015, Habib a multiplié les appels mais Niamat n’a jamais répondu. « Je tombais sans cesse sur son répondeur« , se remémore-t-il d’une voix désespérée.

Habib Ullah, Pakistanais de 24 ans, a lui aussi suivi la formation de Français langue étrangère à Paris 8. Il souhaite faire de l’informatique, en vain. 

« J’ai dormi deux mois à la Gare de l’Est. Il faisait très froid.

Habib s’est retrouvé seul dans ce pays, ne sachant même pas où dormir. « J’ai dormi deux mois à la Gare de l’Est. Il faisait très froid. Vraiment c’était difficile ». Le récit est sobre, on sent que Habib ne souhaite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Ne parlant ni le français ni l’anglais, il ne manie que l’ourdou et la pachtou et finit par rencontrer d’autres réfugiés venus du Pakistan. « J’ai créé une amitié avec deux autres personnes. Nous sommes allés à la Croix-Rouge. Ils nous ont aidé pendant six mois. C’est là-bas que j’ai pris des cours de français. Ils nous ont donné des habits aussi« . Grâce à l’association, Habib commence à parler un français de base et commence au bout de six mois les démarches pour constituer un dossier de demandeur d’asile. Quelque temps après, il obtient un rendez-vous au près de l’OFPRA pour être entendu sur les raisons de sa demande. En sortant de son rendez-vous, Habib rejoint la Place de la République pour y retrouver les migrants campés là depuis quelque temps. Mais, à sa grande surprise, il découvre que ses derniers ont été embarqués par les policiers.

Là-bas, il rencontre une fille à qui il explique sa situation. « Elle m’a trouvé assis sur un banc. Elle m’a offert un « kebab », elle me demandait si j’étais avec quelqu’un et d’où je venais ». Avec franchise, Habib lui répond « je suis seul ». Elle lui vient en aide. « Elle m’a logé dans un studio où j’ai vécu seul pendant un mois, elle m’a mis en lien avec des professeurs qui donnent bénévolement des cours aux réfugiés. Ils m’ont beaucoup servi« . Il se sentait enfin plongé dans les études supérieures mais face à la réalité de l’administration, son assistante sociale chargée de l’orienter et de le conseiller lui explique qu’il ne peut pas continuer ses études ni travailler tant qu’il n’a pas son statut de réfugié.

 

« C’est ma deuxième année à Paris 8 et je n’ai pas eu ma carte d’étudiant »

Il arrive à Paris 8 en 2016 par le biais d’un ami rencontré durant les fameux cours de français. Comme Aboalgasim et beaucoup d’autres réfugiés, il s’inscrit en FLE. À l’occasion de cette rentrée scolaire, il obtient son diplôme, une fierté. Mais un an après, sa situation est toujours aussi difficile. « Ici à la fac, ils m’ont baladé plusieurs fois. Cette année, c’est ma deuxième année et je n’ai pas eu ma carte d’étudiant. Je veux m’inscrire en informatique mais ils me disent toujours qu’il faut attendre. Attendre quoi ? Je ne comprends rien. Je suis à la fac de 9h jusqu’à 16h chaque jour du lundi au vendredi! ». Habib exprime son amertume sur l’administration. Personne, selon lui, ne veut prendre la responsabilité de l’inscrire.

La différence entre les autres et Habib, c’est qu’il n’a pas encore obtenu son statut de réfugié et désespère de l’obtenir. Il y a deux semaines, il a reçu une réponse défavorable. Perdu et pessimiste, il ne sait plus quoi faire et se repose sur le soutien de RUSF et le syndicat solidaire de Paris 8 qui l’aident pour faire un recours contre la décision. « En attendant, je continue à suivre les cours de FLE pour améliorer mon niveau de français ». 

Kab NIANG

Crédit photo : Mohammed BENSABER

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