« On a cherché mais ça n’existe pas dans les manuels pour apprendre à vivre après l’enfer« . C’est à bien à cela qu’Aristide Barraud a survécu : l’enfer. La soirée avait pourtant bien commencé. Les retrouvailles avec Alice, sa sœur, Bastien, Laura et Aïda, sa bande de potes ce vendredi 13 novembre 2015. Quelques jours de repos accordés par le club suite à la trêve hivernale. Tous les ingrédients étaient réunis pour passer une excellente soirée. Et là 1, 2, 3 coups de feu. Les rafales s’enchaînent. Premier réflexe d’Aristide : protéger sa sœur. « Je me souviens que je la tenais en faisant barrière de mon corps. Je sentais que d’autres balles allaient arriver », écrit-il dans son récit « Mais ne sombre pas » qui raconte son 13 Novembre et sa manière à lui de continuer à vivre malgré tout. Le corps lourd, impuissant, il tombe. Abasourdi, choqué, sous adrénaline. Trois balles de Kalachnikov atterrissent dans son corps. « Bastien et Aïda se pressent pour appuyer sur mes plaies, les bras en sang, pour me maintenir en vie sur le passage piéton ». Aristide lutte pour rester en vie, se bat tel un rugbyman en pleine mêlée pour renverser l’équipe adverse. Le diagnostic est lourd : « une soixantaine d’agrafes réparties sur tout le corps, la jambe droite et le bras gauche paralysés, des côtes explosées, une opération du cœur, des poumons, la cheville gauche en charpie et la cuisse entamée de l’extérieur ». Alice, sa sœur, a survécu. Elle a reçu une balle au bras lors de l’attaque. « Elle est plus forte que nous tous réunis« , écrit Aristide.

« J’aimais ma vie d’avant mais elle n’existe plus, il faut l’accepter ».

Ce n’est qu’après plusieurs long mois de soin et de rééducation que les médecins acceptent un retour d’Aristide, chez lui, en douceur. Meurtri physiquement, il ne pourra plus jamais fouler à nouveau la pelouse du stade de France, ni même d’un stade tout court. C’est pourtant cette persévérance à croire qu’il pourra à nouveau rejouer qui lui a si longtemps fait tenir le coup. « Je dois revenir sur un terrain, ne serait-ce qu’une minute. C’est mon honneur qui est en jeu… Abandonner n’a jamais été envisagé ». Le 13 novembre est un fait, il l’accepte. « J’aimais ma vie d’avant mais elle n’existe plus, il faut l’accepter ». Sa rééducation durera de longs mois, de longs mois à réapprendre. « C’est dur, c’est rageant, mais c’est comme ça, je suis prêt ». Réapprendre comment vivre, comment exister, pour ne pas sombrer.

D’une enfance en banlieue, « la France à la dure », au Stade Français

Aristide Barraud est un pur banlieusard. Né à Saint Cloud en 1989, dans les Hauts de Seine, il a, jusqu’à ses 8 ans, vécu dans la cité HLM des Vaux Germains, à Châtenay-Malabry, non loin de « la fameuse butte rouge d’où est originaire le célèbre footballeur Hatem Ben Arfa « . A 9 ans, sa famille s’installe à Massy, dans l’Essonne, où le père a acheté un pavillon. Dans son récit, Aristide Barraud rappelle combien la banlieue, « la France à la dure » comme il aime l’appeler, lui a inculqué des valeurs fondamentales telles que la tolérance et le respect d’autrui.

C’est d’ailleurs au Rugby Club de Massy, qu’il débutera sa première saison de rugby en 1999. Il avait 10 ans. Il y restera huit années, où il « se sentait bien accompagné ».  A 18 ans, le voici qui s’engage au Stade Français pour une durée de quatre ans. Ses trois premières années sont remarquables : un sacre au tournoi des 6 nations des moins de 20 ans en 2009 et une cinquième place aux championnats du monde Junior de 2009. Mais la dernière saison passée au sein du club de la capitale est un désastre pour le jeune demi d’ouverture : quelques soucis personnels et des tensions au sein du club l’obligent à plier bagage. C’est le retour aux sources, dans son club de formation massicois. Il portera ses couleurs pendant deux ans. « Un moment magique » se remémore-t-il, lors de la victoire en demi-finale de coupe contre Lille, « devant nos familles, nos frères de l’école de rugby, les anciens joueurs qui nous avaient fait rêver« . Une victoire du club de banlieue qui lui permet d’accéder à la D2.

La banlieue, raconte Aristide, l’a forgé, lu qui embrassera une carrière internationale en Italie avant que les attentats du 13 novembre ne brisent sa carrière sportive. Pour se relever d’une telle épreuve, il en faut un mental dur comme fer. A ce niveau-là, la banlieue ça aide bien. Toute « la misère sociale et les tragédies humaines » autour desquelles il a vécu l’ont endurci. La banlieue, ça forge aussi le respect, la tolérance. « La banlieue, ce n’est pas le meilleur endroit pour vivre. Si on habite là, c’est qu’on ne peut pas faire autrement », écrit-il. Pourtant, on s’habitue, on s’attache, on ne la quitte plus. « Mais si c’était à revivre, je ne voudrais d’aucune autre enfance« .

« La vengeance est un plat qui ne se mange pas »

De son 13 novembre, il n’éprouve aucune haine, il ne fonctionne pas à ça, il n’en ressent pas non plus le besoin. « La vengeance est un plat qui ne se mange pas », écrit Aristide Barraud. Pourtant, rien n’est pardonné. Tous ces massacres, un tel déchaînement d’antipathie et de violence, comment cautionner tout ça ? Non, il ne le peut pas. « Je n’excuserai jamais ceux qui ont choisi de tuer et les processus qui les ont engendrés« .

1 heure 54 minutes, c’est le temps qu’il m’a fallu pour lire, une par une, chacune des 170 pages du livre. Fait surprenant pour ma part, j’ai même lu l’épilogue. Faut dire qu’il s’en passe des choses dans une vie, cette vie. Mais c’est surtout cette façon de se relever d’un évènement pareil qui m’a le plus agréablement surpris. Tomber, se relever, se battre.

Nous sommes aujourd’hui lundi 13 novembre 2017. Hier, je t’ai vu à la télé Aristide. Tu passais sur le JT de 20h sur France 2. Un gros titre, 5 minutes pour retracer ton histoire, l’histoire d’un homme meurtri. Te voir m’a fait un effet bizarre, je ne m’attendais pas à ça. Je n’ai pas arrêté de voir ta tête sur la première de couverture durant tout ce temps. Dans ton récit, tu écris : « Si je peux, avec ces textes, rien qu’une seule fois, aider une seule personne à quoi que ce soit, je serai heureux ». Moi, je te dis, merci. Merci pour tout, merci pour ça. Ce n’était peut-être pas ton but premier mais ce que tu as écrit, ce que tu as dit hier dans ma télé, tout ça m’a inspiré. Il est 2 heures du matin et je suis encore en train d’écrire sur toi. Tu le mérites amplement.

Amine HABERT 

Aristide Barraud, « Mais ne sombre pas« , éditions du Seuil, octobre 2017

 

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