Le Bondy Blog : Si tu devais te présenter…

Chilla : J’ai 23 ans, je suis rappeuse-chanteuse. J’ai grandi dans le Pays de Gex, au nord de l’Ain. J’ai fait mes études à Annecy et à Lyon. J’ai commencé à rapper à mes 17 ans, je me suis vraiment lancée lorsque j’étais à Lyon. Désormais, je vis à Paris et je sors mon premier projet.

Le Bondy Blog : Tu es issue du milieu classique, tu as pratiqué le violon pendant 12 ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à aller vers le rap ?

Chilla : J’ai commencé le violon à 6 ans mais j’ai eu la chance d’avoir une belle culture musicale grâce à mes parents et aux gens que je fréquentais. J’ai eu plusieurs phases comme tout le monde : le rock, le r’n’b… J’ai rencontré le rap lorsque j’avais entre 10 et 12 ans. C’est mon frère qui me l’a fait découvrir à travers Nortorious Big, Bone Thugs, N-Harmony. Il écoutait également beaucoup de Kery James à l’époque. Puis, il y a eu l’éclosion de Diam’s, c’était plus facile d’accéder à des artistes tels que Sinik ou Youssoupha que j’écoutais beaucoup. Il y a eu aussi la phase reggae-dancehall avec toujours du hip-hop en fond parce que j’écoutais beaucoup de rap américain. Mais je suis de nouveau retombée dans une grosse envie d’écouter du rap et d’en faire du coup.

Le Bondy Blog : Tu as commencé à te faire connaître grâce à ton duo avec Lino, Petit dealer. Comment on en vient à collaborer avec l’une des figures de proue du rap français ?

Chilla : C’est un artiste qui est signé chez Tefa et j’enregistrais la chanson. J’ai tout simplement demandé à Tefa s’il pouvait faire écouter la chanson à Lino et s’il y avait possibilité de faire un feat. Lino m’a tout de suite dit oui. On est reparti travailler ensemble au studio, c’était un peu culotté mais aujourd’hui j’ai un feat avec Lino (rires) !

Le Bondy Blog : T’attendais-tu à une éclosion si rapide ?

Chilla : J’avoue que c’est arrivé vite, j’ai fait beaucoup de vues et j’ai eu rapidement des commentaires. Mais, paradoxalement, je ne suis pas pressée. J’ai envie de construire une carrière et pas seulement un buzz. Je suis très étonnée qu’en seulement un an et demi, on en soit arrivé à plein de petits projets qui ont donné cet EP, qui est en quelque sorte ma première carte d’identité. Ça fait plaisir.

Le Bondy Blog : Nous avons pu également te voir en première partie de Kery James au Zénith l’an passé. Sacrée expérience !

Chilla : Oui, carrément ! Kery est également un artiste signé chez Tefa. Lorsque Tefa m’a repérée sur Internet, il était avec Kery au même moment. Il lui avait fait écouter quelques-uns de mes titres. Un jour, Kery est venu au studio où on a échangé et j’ai chanté devant lui. Plus tard, Tefa m’appelle et me demande : « T’es prête ? Dans une semaine tu fais le Zénith de Kery ! » C’est à cette occasion que j’ai écrit Lettre au Président en hommage à son morceau Lettre à la République. Je voulais marquer le coup. J’ai écrit le morceau deux jours avant, je suis montée sur scène avec ma feuille. Je savais que j’allais être face à un public qui était venu écouter un artiste engagé. Même si je n’avais pas de textes comme les siens, je pense que ma « Lettre au Président » sonnait bien pour une première fois.

Le Bondy Blog : Dans cette lettre adressée au président de la République de l’époque, François Hollande, tu évoques notamment la stigmatisation des quartiers et de l’islam, la loi « El Konnerie » ou la mort d’Adama Traoré.

Chilla : Je suis sensible aux histoires qui touchent les minorités en général et l’injustice. Je parle des femmes qui subissent le harcèlement dans la rue et je pense que c’est la même galère pour des personnes issues des quartiers. Le simple fait d’être harcelé par des policiers, de ne pas avoir les moyens de montrer des preuves, qu’on remette en doute des faits qui sont graves. L’histoire d’Adama est folle. Je suis aussi impactée de même par l’histoire de Théo ou pour l’histoire avec Weinstein. On est face à des situations qui existent depuis des années, sur lesquelles on ne mettait pas de mots ou qu’on essayait d’étouffer afin d’éviter que cette réalité soit évoquée devant le grand public. C’est horrible que ça explose dans ces conditions, il y a besoin qu’un jeune se fasse agresser par un policier avec une matraque pour que ce soit estimé assez grave et pour en parler. Mais ça n’a pas empêché que beaucoup de gens remettent en doute la parole de Théo. Moi, je comprends le combat de ces familles, je suis sensible à toute ces injustices. Je suis franco-malgache, je suis une femme et je vais m’estimer autant en galère que mon frère arabe qu’on va contrôler sans cesse. Encore ce matin, j’étais avec mon DJ et à ton avis qui s’est fait contrôler ? Il y a un moment il faut dire stop. Il faut que la société se réveille. Je commence à avoir de l’exposition, des gens commencent à m’écouter donc c’est important pour moi de parler de tout ça.

Le Bondy Blog : À travers cet EP, tu racontes les galères par lesquelles tu es passée avant d’en arriver là.

Chilla : Dans cet EP, il y a cette notion de montagne à gravir et de route à traverser. Cet EP marque le passage de l’enfance et l’adolescence à l’âge adulte et toutes les entraves qu’il y a sur le chemin que tu dois écarter pour réussir. Je n’avais pas véritablement d’objectif, j’ai commencé à vivre des choses un peu compliquées mais je n’ai pas la prétention de dire que j’ai un vécu dramatique : j’ai eu une très belle enfance, j’ai une mère qui m’aime et qui me soutient, je suis très bien entourée, et aujourd’hui j’habite à Paris. Quand on te demande ce que tu veux faire après le bac, c’est assez compliqué de savoir mais j’ai essayé. J’ai bossé chez Zara, au Mcdo, j’ai été nounou, j’ai fait une semaine en licence de lettres modernes, une semaine en musicologie, une semaine en école privée de musique, deux ans en conservatoire en chant-jazz et après tout ça, je me suis dit que même la rigueur qu’on va me demander pour des études de musique ne conviendra pas. J’avais besoin de liberté, on a qu’une putain de vie.

Le Bondy Blog : À quel moment tu t’es persuadé de vivre de ta musique ?

Chilla : Depuis gamine, j’ai toujours voulu faire de la musique, puis le milieu scolaire m’a fait penser que c’était inaccessible parce qu’on te dit qu’être musicien, ce n’est pas un métier. Je suis allée dans un lycée en option musique pour me professionnaliser, j’ai passé un bac musical et à côté de ça j’ai passé des années au conservatoire. Finalement je me suis mise à écrire du rap en guise de thérapie. Un jour, je me suis filmée pour un challenge sur Facebook. Les gens m’ont alors encouragée à continuer ce que je faisais.

Le Bondy Blog : On te compare souvent à Diam’s.

Chilla : Les gens adorent faire des raccourcis. Parfois on m’appelle Chilla « la rappeuse-féministe ». Je n’ai pas la prétention d’avoir le niveau de Diam’s ni de faire la carrière qu’elle a faite. Je pense qu’on a pas le même univers, après on est toutes les deux des « gonz », on est toutes les deux sensibles à l’humain. Forcéement, les gens ont tendance à faire des raccourcis, c’est le cas avec Vald et Eminem par exemple. Pour moi, Diam’s c’est celle qui a tout niqué parce que c’est celle qui a réussi à se faire entendre du grand public. Mais des grandes rappeuses, il y en a : Casey, Keny Arkana, Ladéa, Sianna… Il y a une place vacante pour celle qui parlera au plus grand nombre… Je pense que Diam’s avait la recette parce qu’elle était émouvante, parce qu’elle a touché les gens avec son histoire, qu’elle a touché les gens avec ses mots. C’est compliqué de rendre sa musique accessible aujourd’hui. Maintenant je ne sais pas si je la remplacerai, ce serait cool et je travaille très dur pour, mais j’espère qu’il va y avoir de plus en plus de petites miss qui vont sortir de leur chambre et qui vont venir faire leurs preuves. Pourquoi il y aurait 600 mecs qui font du rap tandis que de l’autre côté il n’y a que 10 nanas ? Réveillez-vous les filles !

Le Bondy Blog : Qu’est-ce qui manque au rap féminin pour pouvoir rivaliser avec les pointures du rap actuel ?

Chilla : Une nana qui fait du rap, tu sais déjà que 50 % du public ne va pas écouter juste parce que c’est une meuf qui fait du rap. Si tu as le malheur d’être trop viril et qu’on est dans un système qui attribue des valeurs au genre, on t’éjecte ! Si tu as le malheur d’être trop sexy, et qu’on est dans un pays assez prude qui se prétend laïc mais avec un bon passé catho (rires), on t’éjecte ! Je pense que c’est l’ouverture d’esprit aussi qui manque.

Le Bondy Blog : Pourquoi avoir appelé ton EP « Karma » ?

Chilla : Le terme « Karma », je le prends dans le sens de revanche. « Karma » ça signifie cela : à un moment, je ne voyais pas le bout du chemin et le fait de concrétiser un premier projet signifie une issue à ce chemin.

Le Bondy Blog : Tu l’as dit, on te colle régulièrement l’étiquette de « rappeuse-féministe » notamment pour tes titres « Sale chienne » et « Si j’étais un homme ». Est-ce que c’est un statut que tu assumes ?

Chilla : Je n’aime pas les étiquettes. Je suis féministe mais plus globalement je suis une humaniste. Je parle de la condition des femmes parce que forcément je suis une nana. Je n’ai pas réfléchi à tout ça, j’ai écrit spontanément. Quand j’ai commencé à être exposée, j’ai reçu des commentaires qui m’ont profondément touchée, auxquels j’ai répondu aux commentaires avec « Sale chienne ». J’ai aussi pris conscience que pour certaines filles, sortir de chez elles à 23 heures en portant une jupe était presque une prise de risques, au point parfois de vouloir finalement rentrer chez elles. De la même manière, ce n’est pas normal de fermer sa gueule lorsqu’on t’accoste dans la rue par peur des conséquences, ou d’écouter ta copine te raconter que son mec a levé la main sur elle. J’ai donc écrit « Si j’étais un homme » quand j’ai réalisé l’oppression subie au quotidien en tant que femme, dans une société qui nous habitue à ce que la femme soit douce. Jusque-là, cette oppression m’avait toujours semblé « normale ».

Le Bondy Blog : Il n’y a pas un problème avec le regard porté sur le féminisme aujourd’hui en France ?

Chilla : Je pense qu’il y a un problème avec les étiquettes en général dans la société. Les gens aiment bien le raccourci : par exemple dans la tête des gens, le féminisme c’est les Femen. Alors que le féminisme, c’est désirer l’égalité entre les hommes et les femmes. Je veux les mêmes droits pour tout le monde, homosexuels, handicapés, Noirs, Blancs ou Jaunes… enfin tous ceux qui subissent une oppression.

Le Bondy Blog : As-tu subi des discriminations dans le milieu du rap ?

Chilla : Non pas plus qu’ailleurs. C’est davantage des remarques et des commentaires sous mes clips, mais c’est parce que je suis exposée. Il y a un certain public dans le rap qui estime que cette musique appartient aux hommes donc forcément je suis exposée à la critique, donc forcément je prends cher mais j’ai pris du recul là-dessus.

Le Bondy Blog : Cet EP sera-t-il suivi d’un album ?

Chilla : Inchallah ! (Rires). J’attends déjà les retours concernant « Karma ». Il y aura un album ou un nouvel EP d’ici quelques mois, j’espère moins d’un an mais on va voir, je ne suis pas pressée. J’ai envie de donner des titres de qualité et des projets cohérents qui me ressemblent le plus.

Felix MBENGA

Crédit photos : Elsa GOUDENEGE

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