En trente ans de carrière, Oumou Geye fait grève pour la première fois. L’agent de nettoyage de 59 ans a quitté son domicile de Stains à 5 h ce matin. Mais cette fois-ci, elle n’ira pas travailler, comme les trois semaines qui viennent de s’écouler. Il est midi et là voilà qui rejoint ses collègues grévistes, à la gare de Saint-Denis, son lieu de travail, réunis pour un repas solidaire. Un moment de réconfort après trois semaines de grève. « J’ai 59 ans, je pourrais partir à la retraite dans deux ans si Dieu veut. Cette grève, je ne la fais pas pour moi mais pour tous les autres qui viennent d’intégrer l’entreprise », dit-elle d’un ton à la fois ferme et calme.

Oumou Geye, c’est un peu la mère des grévistes : elle a la patate à faire peur à la pile Alcaline » comme dirait le groupe Zebda !  Et ne s’arrête jamais : un mot de réconfort à une collègue qui flanche, un autre pour remonter le moral des troupes. « Moi ce que je veux au plus profond de moi, c’est que les conditions de travail s’améliorent, que l’on fasse preuve de respect à notre égard. Ni plus, ni moins ».

Oumou Geye, agent de nettoyage de 59 ans, est en grève pour la première fois de sa vie professionnelle

Depuis le 2 novembre, la quasi totalité des 107 agents de nettoyage travaillant sur les lignes des RER B, D et des lignes H et K du réseau nord parisien, ont cessé le travail. Ils ont engagé un bras de fer avec leur nouvel employeur, la société H. Reiner, filiale du groupe ONET, qui a remporté l’appel d’offres de la SNCF pour le nettoyage des 75 gares concernées. Auparavant, les agents travaillaient pour la société SMP dont les contrats ont été transférés au nouveau prestataire H. Reiner le 1er novembre.

Pour les épauler dans leur combat, Diadié Diakhité est également sur le pont. Ce Bezonnais, cheminot de la SNCF, responsable CFDT manutention ferroviaire, tente de faire preuve de pédagogie : expliquer aux voyageurs pourquoi les détritus s’amoncellent, informer sur les raisons de la grève des agents de nettoyage. « Pourquoi vous ne voulez pas reprendre le travail ? », demandent plusieurs voyageurs. Après quelques échanges, la grande majorité se dit solidaire du combat des salariés même si tous souhaitent retrouver une gare propre rapidement.

Diadié Diakhité, cheminot CFDT à la SNCF, accompagne les grévistes d’ONET dans leur mouvement social

« Nous avons rencontré la direction d’ONET le 1er novembre dès que le marché de nettoyage débutait afin de leur faire part des revendications des salariés. On souhaitait voir avec eux plusieurs points : le maintien du nombre de salariés, la reconduction des salariés en contrats CDD ou encore les paniers repas. Ils nous ont opposé clairement une fin de non-recevoir », rapporte Diadié Diakhité qui accompagne les agents de nettoyage dans leur mouvement social. « C’est un mouvement pour le respect et la dignité de ces travailleurs ».

Photo signée @InesLondonDream

Prime de panier-repas : passer d’un euro et 90 centimes à quatre euros

S’agissant du panier-repas, les salariés demandent sa revalorisation. « Nous avons un panier-repas de 1,90 euro par jour. Nous demandons à ce qu’il soit augmenté à 4 euros », affirme un des agents. Diadié Diakhité poursuit : « Les agents de nettoyage sont payés au SMIC, travaillent dans des conditions difficiles, précise le délégué CFDT, Diadié Diakhité. Ces jours de grève sont un sacrifice pour eux et leurs familles ». 

La présence d’une clause de mobilité aurait également mis le feu au poudre. Selon les salariés, celle-ci serait inscrite dans leur nouveau contrat de travail avec ce changement d’employeur  : les agents pourraient ainsi être déplacés d’une gare à l’autre au dernier moment. « Hors de question sans qu’on prenne en compte les dizaines de kilomètres supplémentaires à faire pour rejoindre un nouveau site de travail », réagit, Ousmane, 40 ans, un des agents de nettoyage en grève.

Les salariés craignent également que des postes de CDD soient supprimés alors que les grévistes demandent leur transformation en CDI.

 

Pour la SNCF, le plan de continuité d’activités doit être respecté

La SNCF, le donneur d’ordre, s’agace de l’enlisement du conflit social et de l’état des gares non nettoyées. « Nous sommes évidemment mécontents de la situation car il y a des contrats en cours qui doivent être honorés et nos clients n’ont pas à supporter la saleté engendrée par ces arrêts de travail. Un plan de continuité d’activité est bien entendu demandé à ONET, comme stipulé dans notre contrat, pour accéder à un niveau acceptable de propreté dans nos gares », réagit une porte-parole du service Transilien du groupe ferroviaire. Et de préciser que le groupe « Onet met du personnel non gréviste en équipe nuit et jour afin de nettoyer les gares les plus critiques ». 

Nous avons pu prendre connaissance d’un courrier envoyé aux salariés grévistes par Benoît Boudou, directeur d’agence H. Reiner. Nous le publions ici.

La missive utilise un ton ferme voire menaçant qui n’a pas manqué de faire réagir les agents concernés. « La direction veut nous mettre la pression à travers ce courrier. Elle essaie d’user de tous les moyens afin que la grève cesse », réagit l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. Diadié Diakhité abonde dans son sens et précise. « D’ailleurs, pour casser ce mouvement, le groupe embauche des intérimaires qui n’ont même pas les habilitations nécessaires. Certains cadres ONET sont même réquisitionnés sur la ligne du RER B pour nettoyer les gares concernés », affirme Diadié.

Réunion de négociations dimanche 26 novembre

Nous avons cherché à joindre ONET et sa filiale H. Reiner. Le groupe ONET renvoie ce lundi 27 novembre à une agence de communication mandatée pour ce dossier. Malheureusement, elle n’a pas pu répondre à nos nombreuses questions et nous envoie ce simple communiqué. « Plusieurs réunions ont eu lieu depuis le début du mouvement, au cours desquelles des propositions ont été formulées par la direction afin de trouver une issue satisfaisante pour les deux parties. Ces discussions ont permis d’aboutir à un accord sur une majorité des revendications. Dans l’intérêt de notre client et des usagers du Transilien, nous souhaitons désormais aboutir dans les plus brefs délais à une reprise du travail », écrit la direction H. Reinier. Des propos que démentent formellement les salariés en grève. « Si nous avions trouvé un accord pourquoi serions-nous encore en grève ? », interroge mi agacé mi amusé Diadié Diakhité.

La direction aurait accepté d’appliquer la convention collective de la manutention ferroviaire à l’ensemble des salariés, certains agents étant jusqu’à présent sous le régime de la convention « nettoyage de bureaux », moins avantageuse.

Une réunion de négociations à Aulnay-sous-Bois s’est tenue ce dimanche 26 novembre jusque tard. Selon Diadié Diakhité, « la direction se moque des salariés. Elle propose d’augmenter le panier-repas de 50 centimes brut alors que nous demandons qu’il passe d’1,90 à 4 euros ! » Diadié Diakhité l’assure : les salariés grévistes sont « déterminés » à continuer à faire valoir leurs revendications, « encore deux mois » s’il le faut.

Solidarité des usagers

À Saint-Denis, les voyageurs espèrent ne plus à avoir à slalomer entre les déchets. Nombreux, parmi ceux avec qui nous avons échangé, disent comprendre voire soutenir les agents en grève. Certains s’arrêtent devant le stand improvisé et déposent quelques pièces dans la caisse de solidarité mise en place en soutien aux agents en grève.

Léa et d’Inès, toutes deux étudiantes, aident les salariés en grève en distribuant aux voyageurs des tracts pour informer sur les raisons du mouvement

C’est le cas de Léa et d’Inès, âgées de 22 ans et étudiantes à Paris . « Ces petites mains de l’ombre font que nous voyageons au quotidien dans des gares propres. Leur mouvement nous touche et il faut maintenant que le plus de monde soit à leurs côtés ». Les deux jeunes femmes n’hésitent d’ailleurs pas à aider en distribuant aux voyageurs de la gare de Saint-Denis des tracts d’information sur le mouvement de grève.     

Sara Diaby, agent d’entretien depuis 3 ans, est en grève elle aussi depuis le 2 novembre 2017

Un soutien important pour les salariés grévistes. « Les gens viennent à notre rencontre et nous disent de tenir bon, qu’ils sont de notre côté, réagit Sara Diaby, agent en arrêt de travail depuis le début du mouvement et salariée depuis 3 ans. Ce combat leur semble juste et leurs mots de réconfort nous sont précieux ».

Mohammed BENSABER

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