« À 60 ans, ma tante d’Espagne m’envoie sur WhatsApp recettes de grand-mère et vidéos kitch ! »

En Espagne, les SMS n’ont jamais été inclus dans les forfaits comme chez nous. Du coup, les gens échangent sur WhatsApp. L’usage est devenu tellement courant que les Espagnols ont même inventé un verbe pour ça : ‘wassapear’, c’est à dire parler via WhatsApp ! Même ma tante, qui vient d’avoir 60 ans s’y est mise, mais c’est pas forcément un cadeau : depuis, elle me harcèle avec des recettes pour faire baisser la tension artérielle ou des vidéos kitch le jour de Noël. De temps à autre, elle nous envoie des photos de la grand-mère, du village… Ça me fait plaisir, elle pense à nous. Sa fille, elle, son dada, c’est les photos de bouffe. Franchement, parfois j’ai la haine devant les photos de chorizo des repas dominicaux et je bave devant mon téléphone ! Ça me donne envie de me téléporter… Quand elle vient à Paris, on a tous le droit à un selfie un peu mal cadré posté sur Facebook, c’est mignon mais un peu gênant. Mais bon, tu te dis que c’est la famille et qu’elle est contente de te voir. Chaque année, j’ai le droit à « oh t’as grandi ! » alors que non, ça fait bien quatre ans que j’ai pas pris un centimètre mais pour eux il y a 15 ans, c’était hier. Finalement, l’avantage des réseaux sociaux c’est qu’on est loin des yeux mais pas loin du cœur : on a beau se voir qu’une ou deux fois par an, rien ne change.

Victor Mouquet et sa famille en Espagne

« Les contacts avec la famille en Tunisie, ça permet de pratiquer son arabe »

Pour garder le contact avec ma famille en Tunisie, on utilise les réseaux sociaux pour s’appeler. Le rituel se déroule soit le jeudi soir vers 22h soit le dimanche dès 10h et ce sans limite de temps ! C’est là que mon père parle en arabe et augmente le degré de sa voix ! Il est dans son monde et moi j’écoute avec attention, car j’apprends plein de choses et surtout je rigole avec ses blagues en dialecte tunisien ! Mais je ne sais jamais quand il raccrochera : il devient expert en politique tunisienne et commente l’actualité du pays. C’est aussi le moment pour mes frères et moi de saluer ma tante. Le moment est bref «  Salam, ça va, hamdoulah et toi ?, ça va les études, c’est bien l’école, oui et toi, pas trop fatiguée, non, à bientôt ! Bon courage pour tes études ! », « Merci tata« . Il y a aussi les longs appels avec les cousines et les amis, et là, tel père telle fille, l’appel est sans limite de temps. Et puis, ça permet de pratiquer son arabe aussi. Même s’ils parlent très bien le français, ça peut aider quand on a un doute. Il y a ces moments très drôles comme quand il y des problèmes de connexion, vous savez le moment où on partage une histoire importante et que de l’autre côté on te dit « tu peux répéter, je n’ai pas entendu » alors que tu as donné le meilleur de toi pour être le plus précise possible ! Ou quand ta tante veut absolument te voir le dimanche matin et enclenche la caméra sans que tu puisses lui dire que tu viens tout juste de te réveiller… Bref, malgré tout, ces rituels, on ne peut pas sans passer !

Yousra Gouja et sa famille en Tunisie

« Dans les groupes WhatsApp, mes oncles, tantes, et cousins au Rwanda se sont auto-proclamés journalistes ! »

“Il faut toujours vérifier et recouper les informations que vous trouvez sur les réseaux sociaux », nous disait-on en classe média au lycée. À l’heure de l’amplification des échanges d’informations qui nous obligent à être plus vigilant, il semblerait que lorsqu’il s’agit du bled, tous ces mécanismes de vérification disparaissent surtout pour mes aïeux. Je suis franco-rwandais et pour m’informer sur ce qui se passe au pays, rares sont les médias qui peuvent m’apporter des informations au jour le jour comme peut le faire un quotidien français sur la France. Il y a parfois le Monde Afrique qui peut y consacrer un papier ou une web radio rwandaise que mon père avait l’habitude de mettre (en sachant que ma compréhension du kinyarwanda soutenu n’est pas parfaite). Mais heureusement, il reste les groupes WhatsApp familiaux. Oui, les groupes, parce qu’en plus il y en a plusieurs. Je les ai surnommés les AWP, pour « Agences WhatsApp Presse » parce ce sont des groupes où oncles, tantes, et cousins se sont auto-proclamés journalistes. Nous avons ici de grands reporters d’investigation qui font des révélations à coup de « Regardez comment le Rwanda se développe ! » en rajoutant une photo d’un bâtiment en construction. Mais ces Élise Lucet de WhatsApp ne seraient rien sans leurs spectateurs qui boivent leurs paroles relayant à leur tour les informations. Un membre, qui a reçu une information dans un groupe, va la renvoyer à un autre groupe, qui va la renvoyer à un autre groupe et c’est comme ça que je me retrouve avec un téléphone qui affiche « stockage saturé ». Saturé de vidéos censés faire l’état des lieux du Rwanda mais aussi parfois celui du pays voisin, le Burundi. Mais jamais il m’est venu à l’esprit de leur dire que je questionnais leurs sources de peur de me voir répondre, comme argument fatal d’autorité, qu’eux sont sur place, de peur de passer pour le petit Occidental qui a oublié ses racines et qui de surcroît refuse de s’informer sur ce qui se passe dans son pays d’origine. Mais rassurez-vous : même s’ils m’envoient photos et vidéos à la pelle sans date ni lieu exact censées prouver l’avancée socio-économique du Rwanda, je les aime mes Edwy Plenel du Dimanche. Enfin, ça reste encore à factcheker !

Miguel Shema et sa famille au Rwanda

« C’est drôle et touchant à la fois de voir tes grands-parents au Portugal en train de te parler en vidéo »

Pour garder le contact avec ma tante de Braga, grande ville proche de Porto, ça passe par Facebook Messenger. Avec mes grands-parents, qui vivent dans un village à une heure de Braga, c’est plus traditionnel, on utilise le téléphone. Et lorsqu’ils sont réunis, on se parle souvent en vidéo via Facebook toujours. C’est drôle et touchant à la fois de voir tes grands-parents au Portugal en train de te parler en vidéo. C’est une façon pour nous d’exprimer notre joie et en même temps notre « saudade ». Ce mot, qui n’existe qu’en portugais est quasiment intraduisible dans une autre langue ; une sorte de manque mélangé à de la mélancolie et à de la nostalgie. Imaginez, le village de mes grands-parents a sa propre page Facebook, une manière pour la diaspora de rester informé. L’été, on organise même un pique-nique pour réunir tout le monde. C’est souvent l’occasion de revoir des personnes que l’on a pas vues depuis des années parce qu’elles vivent dans tel ou tel pays. Grâce à cette page, il m’arrive de tomber sur des photos WTF de mes grands-parents en train de s’amuser dans une fête, au resto ou avec des amis ! Comme ils ne sont pas au courant, lorsque je les ai au téléphone, je les taquine et finis par leur dire que j’ai découvert leurs exploits sur Facebook. Hilares, ils finissent toujours par me répéter que Facebook c’est pire que la « PIDE » (la police politique du régime de Salazar). Une façon de dire qu’ils ne peuvent pas s’amuser tranquillement sans qu’on ne soit au courant, même à des milliers de kilomètres d’eux.

Sabrina Alves et sa famille au Portugal

« J’ai une multitude de comptes WhatsApp qui me relient à ma famille en Espagne »

Mon bled à moi, c’est l’Espagne. C’est largement via WhatsApp que je parle avec mes amis du bled, mes cousins mais aussi mes tantes et oncles plus âgés. L’application s’est plus rapidement répandue en Espagne, les jeunes sont habitués à y discuter et créent différents groupes entres potes du collège, amis du village, etc. Paradoxalement, même si cela me permet d’échanger plus souvent avec eux, les messages se font plus brefs. Parfois, c’est une simple photo, un peu à la manière de Snapchat. Les échanges sont donc plus fréquents mais moins solennels. Je préfère souvent passer toute une soirée avec ma famille sur WhatsApp, une fois de temps en temps, plutôt que d’échanger des banalités tous les deux ou trois jours. J’ai une multitude de comptes WhatsApp aujourd’hui qui me relient à ma famille et mes amis en Espagne. Par exemple, j’ai un groupe uniquement pour les échanges avec ma famille de notre village en Estrémadure, un autre pour ma famille de Madrid et d’autres avec mes amis. Avec ces derniers, nous échangeons principalement sur nos études. La plupart de mes amis ont dû se tourner vers des études professionnelles car une année de licence là-bas coûte plusieurs milliers d’euros. Mais WhatsApp, c’est surtout une grande avancée pour la génération de nos parents qui peuvent échanger et donner des nouvelles plus facilement à nos familles aux pays et c’est bien là l’essentiel.

Lucas Alves Murillo et sa famille en Espagne

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