Lundi 29 janvier, le ministère de la cohésion des Territoires recevait les représentants de quatre médias nationaux : TF1, BFMTV, Radio France ainsi que France Télévisions. Leurs responsables étaient entendus par le groupe de travail « image des quartiers » constitué dans le cadre de la mission confiée à Jean-Louis Borloo. L’ancien ministre de la Ville a, en effet, été chargé par Emmanuel Macron de faire des propositions pour les quartiers et leurs habitants qui doivent être rendues en mars 2018. Au total, dix groupes de travail ont été mis sur pied.

Celui consacré à l »image des quartiers », constitué d’une dizaine de membres (élus, associations, journalistes…) a pour objectif de formuler des recommandations pour une représentation plus fidèle des quartiers dans les contenus médiatiques. Ses propositions devront nourrir le premier Conseil présidentiel des villes, conçu par Emmanuel Macron et qui doit se réunir pour la première fois en 2018. S’en suivra le Comité interministériel des Villes, au printemps, qui devra lui mettre en forme le plan d’action décidé.

Hervé Brusini : « Il y a eu un bug oui et un problème qui s’est manifestement posé avec ce reportage » 

Lundi 29 janvier, les quatre médias auditionnés étaient interrogés sur les actions qu’ils ont chacun mis en place dans leurs rédactions afin de rendre compte de manière plus équilibrée la réalité dans les quartiers populaires. Ils ont également étaient questionnés sur les difficultés qu’ils rencontrent pour mener à bien ce travail.

France Télévisions était représenté par Hervé Brusini, directeur en charge du numérique, de la stratégie et de la diversité et Marie-Anne Bernard, directrice de la responsabilité sociale et environnementale à France Télévisions. Selon nos informations, interrogé par un membre du groupe du travail sur le désormais célèbre reportage du bar PMU de Sevran de France 2, faussement présenté dans le journal de 20h comme étant interdit aux femmes, Hervé Brusini a reconnu, selon ses propres termes « un bug« .

Contacté par téléphone, Hervé Brusini dit « assumer » l’utilisation de ce terme et confirme. « Il y a eu un bug oui et un problème qui s’est manifestement posé avec ce reportage ». Interrogé pour préciser sa pensée, Hervé Brusini, prudent, conclut : « Comment analyser ce bug ? a, je ne sais pas ? Je ne suis pas mandaté pour en parler ». C’est en tout cas la première fois qu’un responsable du groupe audiovisuel public fait amende honorable sur ce sujet.

Non, le bar PMU de Sevran n’interdit pas les femmes

Dans son reportage diffusé dans le journal de 20h de David Pujadas, le 7 décembre 2016, en pleine campagne de la primaire à gauche, France 2 décrivait un « bar où il n’y a que des hommes ». La journaliste, Caroline Sinz, auteure du sujet, ajoutait dans son commentaire : « Aller dans un bar, ici, c’est braver un interdit pour une femme ». Ou bien encore : « Pourquoi les hommes rejettent-ils les femmes ? Un problème de tradition, de culture mais aussi de religion, selon ces militantes ». 

Pourtant, contrairement à ce que rapportait France 2 dans ce reportage, le bar PMU de Sevran en question n’interdit pas les femmes. Selon notre contre-enquête publiée le 10 mars 2017, et confirmée ensuite par ceux de confrères, l’établissement d’Amar Salhi accueille bien des femmes, clientes depuis des années comme nous l’avions documenté. D’ailleurs, un confrère de l’émission « Complèment d’enquête » de France 2, en repérage pour un éventuel reportage dans le bar en question en janvier 2017, nous avait également affirmé « avoir bien vu qu’il y avait des femmes et que c’était des clientes fidèles ». 

Jusqu’à présent, France Télévisions a toujours nié toute erreur

Jusqu’à présent, France Télévisions a toujours refusé de reconnaître son erreur. Dans un communiqué rendu public le 16 mars 2017 soit une semaine après la publication de notre contre-enquête, la direction de l’information indiquait que « les règles de déontologie journalistiques ont été respectées pour ce reportage ». Saisi par plusieurs téléspectateurs mais aussi par un Sénateur, Yves Vaugrenard , le CSA a affirmé dans une décision rendue publique le 31 juillet 2017 n’avoir « pas relevé de manquement de la chaîne ».

Pourtant, comme nous l’indiquions d’autres problèmes se sont posés ; des interrogations que nous avions posées à France Télévisions, restées à ce jour sans réponse. La journaliste qui signe ce reportage, Caroline Sinz, n’est jamais entrée dans ce bar PMU de Sevran. La caméra cachée qui filme à l’intérieur de l’établissement n’a pas été non plus réalisée par elle mais par deux militantes dont l’une, Nadia Remadna, est jugée comme tenant des discours considérés comme stigmatisants par bon nombre d’habitants de Sevran rencontrés. En interne, plusieurs journalistes de France 2 que nous avions contactés disaient partager nos interrogations « essentielles » et « légitimes » voire pointaient la « malhonnêteté du reportage ». 

Plainte pour diffamation contre France Télévisions

Amar Salhi, le propriétaire du bar PMU de Sevran, a déposé plainte contre France Télévisions pour diffamation. Selon nos informations, la plainte a bien été enregistrée au Tribunal de grande instance de Paris le 23 juin 2017 et la procédure est toujours en cours.

Hervé Brusini, prix Albert Londres, avait reconnu, en septembre 2009 lors d’un débat sur le traitement médiatique des banlieues organisé à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration : »C’est vrai que nous avons, ici et là, traité le sujet de matière chaotique« .À l’époque, il était rédacteur en chef du journal du 20h de France 2. Huit ans plus tard, son diagnostic sonne malheureusement encore juste.

Nassira EL MOADDEM

Crédit photo : Frédéric BERGEAU

Relire nos publications :

Lettre ouverte d’un habitant de Sevran à France 2, lundi 12 décembre 2016

Bar PMU de Sevran : la contre-enquête du Bondy Blog, vendredi 10 mars 2017

France 2 répond sans répondre, en interne des journalistes s’interrogent , vendredi 17 mars 2017

Reportage de France 2 sur le bar PMU de Sevran : un sénateur saisit le CSA, vendredi 7 avril 2017

Bar PMU de Sevran : aucun manquement de la part de France 2 selon le CSA, mardi 1er août 2017

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