Depuis jeudi 8 février, plusieurs dizaines de migrants ont trouvé refuge à l’université de Paris 8 à Saint-Denis. Nous avons voulu savoir quelles étaient leurs conditions de vie et comment ils s’organisaient. Récit de 24 heures aux côtés des exilés. Reportage. 

De mémoire d’étudiants de Paris 8, la rue de la Liberté à Saint-Denis qui donne directement sur l’université n’a jamais été aussi silencieuse. D’habitude, les vagues d’étudiants entrent et sortent dans un joli brouhaha mais ce vendredi 9 février semble être un autre jour. Paris 8 qui grouille d’étudiants, a ses portes fermées depuis jeudi 8, 15 heures (rouvertes depuis ce lundi) en raison d’une panne de chauffage, a annoncé l’université. Les grilles laissent entrevoir cinq agents de sécurité assurant la garde. Debout, ils ne communiquent pas trop. Là, deux policiers en uniforme arrivent, un cache relevé jusqu’au nez, puis échangent quelques mots avec les vigiles.

Chacun y va de sa stratégie pour pénétrer dans l’établissement devenu quasi forteresse. Il faut être discret, habile et rapide. Des indications sont données par téléphone : passer sous un grillage et ramper à même la neige. L’entrée du bâtiment A, qui accueille les migrants, est bordée de banderoles en arabe et français. « Bâtiment occupé, solidarité avec les exilé.e.s », peut-on y lireLorsque l’on entre, dessins et affiches jonchent les murs. La peinture blanche disparaît peu à peu pour laisser place à la vie, à la parole, à l’action. Les lieux se séparent en deux niveaux : celui du bas regroupe les espaces de vie en commun à savoir cuisine, salle de jeux, coin d’eau et pôle de communication du mouvement. Celui du haut, les salles de classes 381, 382 et 383, transformées en dortoirs dont l’un est réservé aux femmes.

@AmandaJacquel

« Aujourd’hui, c’est un peu comme un dimanche tranquille »

Au premier niveau, le réveil se lit encore dans les yeux. Dans la cuisine, pas grand monde. Quelques bénévoles du collectif de soutien préparent à manger. Au menu ce midi : couscous aux légumes. « Certains se sont couchés à 2 heures, après le rassemblement d’hier. Aujourd’hui, c’est plutôt calme, un peu comme un dimanche tranquille », raconte Lina*, une bénévole. Au pôle communication, quelques ordinateurs sont allumés mais l’heure n’est pas encore au rush pour les étudiants engagés. « On continue nos appels aux dons, on fait des listes de choses dont les migrants ont besoin en priorité », nous dit l’une d’entre eux.

@ElsaGoudenège

La salle dédiée au pôle de communication sert également de dépôts pour les vêtements et les produits d’hygiène. Chaussures, vestes, pulls, tondeuses, gels douche, dentifrices sont stockés ici. Première bonne nouvelle de la matinée : le département de danse à ouvert ses douches pour les occupants. Des douches, accessibles pendant les premiers jours de leur installation à Paris 8 avaient été fermées par la présidence. Chaque petit confort négocié est un cadeau.

@AmandaJacquel

« On est devenu comme une famille »

Peu à peu, les migrants, seuls ou en groupes, arrivent au pôle com’. Timidement, ils piochent dans les affaires mises à leur disposition. Puis, ils font la queue pour aller prendre leur douche. Il est 13 heures. En haut, des voix résonnent, ça semble être animé. Parmi elles, celle de Saïd. Le jeune Éthiopien a vécu à Calais. La misère, lui, il connaît. C’est lui qui nous tend la main et nous fait monter aux dortoirs. Regroupés par origine, Soudanais, Éthiopiens, Ivoiriens et Guinéens partagent ainsi les salles mises à disposition. Quelques Tchadiens, Égyptiens et un Marocain se trouvent aussi parmi eux. Dans les chambres, on débat, on rit, on met de la musique, on danse.

@FabriceDemierre

Certains dorment encore quand d’autres préparent à manger dans le couloir avec une plaque chauffante aménagée pour l’occasion. Saïd fait les présentations. Une fois le repas prêt, tout le monde s’assoit dans le couloir. « Bon appétit ! En Éthiopie, on a pour coutume de donner à manger à l’étranger. Cela témoigne de notre relation. Si je te donne à manger une fois, c’est que nous sommes fâchés. Si je te donne deux fois à manger, c’est que nous sommes amis ! »

Entre détente et jeux, oublier les peurs

16 heures au bâtiment A. Les tours des douches n’ont pas cessé. En attendant, les uns patientent dans une des salles de danse transformée en terrain de jeu. »Ces jeunes n’ont pas uniquement besoin d’une aide matérielle. Il faut aussi jouer avec eux, ils ont besoin de se faire des amis », déclare Karine, étudiante à Paris 8 et bénévole. À 18h, dans les couloirs des dortoirs, les garçons se coupent les cheveux et se taillent la barbe. « C’est pour vous que je me fais beau comme ça », nous lance Saïd dans un éclat de rire.

@ElsaGoudenège

Mais derrière les rires, l’inquiétude plane. La présidence de l’université cherche à vider les lieux et a proposé de transférer les migrants dans un autre endroit de l’université, l’amphithéâtre X. Le collectif et les migrants refusent. « Nous sommes dans un bras de fer avec la présidence », confie un jeune Guinéen de 26 ans. Même s’ils sont au chaud ici, les conditions de vie leur font remonter de mauvais souvenirs. « Le lieu que nous occupons nous convient. Nous avons fui des prisons comme la Libye et le lieu que vous nous proposez nous remémore les prisons dans lesquelles nous étions ». La présidence critique de son côté un manque d’effort de la part du collectif  regrettant « l’impasse » dans laquelle elle se trouve. Une peur semble également être commune à tous : une expulsion dans les conditions de la procédure « Dublin », la directive européenne qui permet l’expulsion des migrants vers leur premier pays d’accueil européen. « Une fois arrivés en Italie, ils nous ont pris nos empreintes de force. On a peur de devoir retourner là-bas. On a peur de Dublin ».

@ElsaGoudenège

Pour apporter de la bonne humeur, Saïd revêt une robe noire et amuse la galerie. Pendant que les autres se font une beauté, d’autres boivent un café au milieu du paysage enneigé. « C’est la première fois de ma vie que je vois de la neige. C’est magnifique », dit Lakram*, éthiopien. Pour s’évader, certains se sont mis à jouer aux échecs, d’autres aux cartes.

@FabriceDemierre

« Ça fait un an que je vis en perpétuelle angoisse Porte de la Chapelle. Au moins, ici, on est bien. On arrive à dormir, on peut se doucher, on rigole avec les autres, sans que la police nous chasse comme quand on est dans la rue. Il y a une vie ici », dit Moustapha*, jeune Ivoirien de 22 ans arrivé en France depuis plus d’un an. « On est venu en France pour avoir un avenir meilleur, pour continuer nos études et avoir une belle vie », raconte Etham, jeune Éthiopienne de 17 ansVoilà la nuit qui tombe. Au premier étage, les musiques qui s’échappent des salles varient d’un dortoir à l’autre. Dans l’une des salles, un groupe de dix jeunes hommes jouent aux dames , tandis que, à côté, un autre petit groupe discute de foot. D’autres se connectent à leurs réseaux sociaux sur leur téléphone.

Le patron du restaurant de la fac offre le repas du soir

Il est 22 heures, l’heure du dîner. Tous se regroupent dans la grande salle réservée pour la cuisine. Plus d’une cinquantaine sont assis autour de la table. Cette fois-ci c’est le gérant du restaurant de la fac qui leur a préparé une soixantaine de sandwiches avec bouteilles d’eau et jus de fruits. De la table, s’échappent des mots en français, arabe, anglais et d’autres dialectes que l’on n’avait encore jamais entendu ici. Puis, Adam*, 20 ans, Soudanais, se met à jouer de la guitare pour accompagner la soirée avec des chants dans sa langue natale. « Cette chanson est dédiée à tous nos frères et sœurs décédés dans le désert et sur les côtes libyennes », lâche-t-il, la gorge nouée.

@FabriceDemierre

Remontés dans les dortoirs, les migrants échangent avec leurs amis et familles jusqu’à minuit via les différentes applications :  Whatsapp, Viber, Messenger. Armelle, une bénévole, monte leur rappeler l’atelier de danse de lendemain à 11 heures. Après minuit, tout est calme. Les bénévoles s’organisent et se divisent en groupe pour assurer le nettoyage des lieux. Au bout de quelques minutes, tout est propre. Rapide briefing de la journée avant de définir le programme du lendemain. Les migrants, eux, sont déjà endormis. Les lève-tôt se réveilleront dès 6 heures, pour la première prière, avant une nouvelle longue journée et l’espoir de ne pas être expulsés.

Ferial LATRÈCHE et Kab NIANG

Crédit photo : Elsa Goudenège, Amanda Jacquel, Fabrice Demierre

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