Telle l’amie que l’on a pas vue depuis longtemps et que l’on est heureux de retrouver, Charline Vanhoenacker est arrivée tout sourire et gaufres à la main ce samedi 13 janvier. D’entrée de jeu, elle salue et vanne le public déjà en place, venu assister à sa masterclass.

De sa Belgique natale aux locaux de Radio France, un parcours hors grandes écoles

La masterclass commence par la traditionnelle question : « Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce métier ? » Son premier souvenir remonte à l’adolescence. « J’avais envie de comprendre comment fonctionne le monde, que cela soit au coin de la rue ou à l’autre bout de la planète et de le raconter ». À quatorze ans, elle part avec la Fondation Nicolas Hulot, « quand il n’était pas encore ministre hein, quand il avait encore des idéaux« , plaisante-t-elle à moitié.

Charline Vanhoenacker a grandi à La Louvière qu’elle décrit comme « le trou du cul de la Belgique, une zone de charbonnage, des mines qui ont fermé, une forte immigration italienne, des usines de métallurgie ». À cette époque, « la télé était une fenêtre sur le monde« , selon la journaliste, notamment avec l’émission Ushuaïa et le côté écolo qui l’a tout de suite sensibilisée.

Pour les études, ce sera lettres et sciences politiques. « Mes parents enseignants n’avaient pas beaucoup d’argent pour financer mes études, j’avais le droit qu’à une chance« . Elle finit par débarquer en France pour intégrer l’ESJ Paris, une école de journalisme non reconnue par la profession. « Je trouve ça assez aberrant ce système des grandes écoles en France, qu’il n’y ait seulement que quinze écoles reconnues par la profession. Ça veut dire quoi ‘reconnues par la profession’ ? Ça veut dire qu’il y a des gens autour d’une table qui vont te dire ‘cette école est très très bien » et ‘celle-là non’ ? J’étais en pétard contre ce système qui ne m’avait pas acceptée« . Même critique pour le fonctionnement des cartes de presse. « Je ne comprends pas comment des types peuvent se réunir et dire ‘toi tu l’as’, ‘toi tu l’as pas’. C’est comme les mecs devant une boîte de nuit qui te disent ‘toi tu rentres, toi tu ne rentres pas’. C’est pareil ! »

Charline Vanhoenacker revient sur son expérience des concours qu’elle a tentés. « J’étais scandalisée ! Déjà, j’arrivais de Belgique alors que j’avais mes examens à l’université, je me suis préparée du mieux que je pouvais. J’arrive à la Maison des Examens à Arcueil, un élevage en batterie ! » Éclats de rire dans la salle, certains ont visiblement traversé la même expérience traumatisante ! La journaliste reproche cette « vision apocalyptique de la sélection pour un métier extraordinaire où les gens ont plein d’espoirs ». « De toutes les façons, poursuit-elle, le journalisme formaté, on en voit aujourd’hui les limites et le Bondy Blog est le contre-exemple qui montre qu’on peut commencer à apprendre sur le tas, en allant dans son quartier pour voir comment ça fonctionne par exemple ». 

Coups de bluff, coups de génie

La jeune Charline commence par écrire pour Le Soir, quotidien national francophone le plus lu en Belgique. Après avoir fait du desk en 2002, elle pige à l’été 2003 depuis la France pendant la canicule. « La fameuse chance du 15 août« , ironise-t-elle, dans un humour noir que le public apprécie. « Un des conseils de nos profs à l’ESJ Paris, c’était de nous dire ‘Vous les jeunes, il faut que vous travailliez l’été, il y aura la chance du 15 août. À cette période, il n’y a quasiment personne dans les rédactions, si quelque chose se produit, vous aurez sûrement la chance d’être envoyé sur le terrain’. Il avait raison ». Charline Vanhoenacker est envoyée pour faire « son premier vrai reportage en tant que pigiste rémunérée ». Elle raconte alors son arrivée au marché de Rungis où étaient entreposés les corps des victimes de la canicule. « Si j’avais déjà utilisé la fibre humoristique à l’époque, il y avait de quoi faire un bon humour noir ». Elle passe un été à « écrire dans toutes les rubriques du journal. Par exemple, il manquait quelqu’un en sport,  j’allais y écrire ».

Désormais, c’est à Charline de délivrer les conseils : « Toujours bluffer au départ puis travailler derrière« . La voilà repérée par le chef du service international du Soir qui lui demande d’aider la correspondante à Paris. Le bureau était partagé par la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) et son confrère de la radio Suisse Romande qui, un jour, lui demande « T’as déjà fait de la radio toi Charline?« , ce à quoi elle répond « oui bien sûr! » sous les rires du public ! À l’ESJ Paris, la journaliste faisait partie des dernières générations à monter les reportages radio sur des bandes. « J’ai passé toute la nuit sur Google à taper ‘montage numérique radio’ un peu comme les gens qui apprennent la guitare sur Youtube« . C’est de nouveau ce coup de bluff qui lui permettra d’être embauchée comme correspondante à Paris pour la RTBF.

« Je me suis demandée si, avec l’humour, je ne pouvais pas dire plus de choses sur la politique qu’avec le journalisme orthodoxe »

Elle couvre l’élection présidentielle française de 2012, un tournant dans sa carrière. « Je me rappelle avoir suivi François Hollande et de m’être sentie comme à Arcueil ou à l’ESJ Paris, un peu journaliste de seconde zone avec les autres journalistes étrangers. On voyait que les candidats n’en avaient rien à faire de nous« . Pendant que « la crème des journalistes qui sortent d’écoles reconnues pouvaient suivre François Hollande lors de ses visites, nous étions parqués à l’autre bout d’une zone industrielle dans une salle avec des biscuits et du café et on avait qu’à attendre« . En colère contre ce système, Charline s’incruste discrètement dans « la team number one » des journalistes et monte dans le bus qui les ramène à Paris et dans lequel était François Hollande. Dans ce bus, elle écoute les conversations des journalistes politiques : « Si Hollande passe, c’est super, je serais accrédité à l’Élysée », « c’est quoi le premier voyage ? Chicago ? Ouais champagne à Chicago ! »

En rentrant en Belgique, Charline fait son sujet sur la visite du président, à la radio et sur son blog, elle rapporte toutes les scènes dont elle a été témoin dans le fameux bus. L’AFP en fait une dépêche et plusieurs médias reprennent l’article. « Il y a certains journalistes de ce bus qui m’en ont énormément voulu, maintenant on en a parlé et c’est passé ». Ce papier, Pascale Clark le remarque. Elle invite alors Charline Vanhoenacker sur France Inter. « C’est la que je me suis demandée si avec l’humour je ne pouvais pas dire plus de choses sur la politique française qu’avec le journalisme purement orthodoxe ». Elle débute alors sur la radio publique. « J’étais un profil intéressant pour eux parce que je suis journaliste donc je connais les codes du métier et en même temps, je pouvais manier l’humour et faire une chronique, c’était ce profil hybride qui les a intéressés« .

« À France Inter, j’ai une paix royale »

Pour son billet matinal, la journaliste choisit seule le sujet, « la rédaction n’est même pas au courant », souligne-t-elle. « Ils en sont informés quand j’arrive à 7 heures. Pour le choix, je fonctionne comme un journal qui devrait faire sa Une, ça peut aussi être l’invité. Si c’est quelqu’un d’assez médiatique dont je peux me moquer facilement, je n’hésite pas« .

« Racontez-nous un peu les coulisses de votre émission Par Jupiter », lui demande un des participants. Réponse: « J’ai une paix royale ! Je pense qu’il y a même des rédacteurs et des animateurs qui se plaignent de ne pas assez croiser la direction ». La journaliste nous dévoile qu’elle est sa propre rédactrice en chef et finit par avouer « enfin rédaction est un grand mot, honnêtement on choisit trois sujets pour un peu se marrer« . La ligne éditoriale de son émission est assez engagée. « On parle très régulièrement des migrants, il y a une orientation tout à fait assumée« .

Pour Charline, ce qui fait le succès de l’émission, ce sont tous ces chroniqueurs dont elle sent qu’ils sont « des chouettes gens humainement« . « J’ai passé pas mal de temps au Burkina Faso et quand j’ai su qu’il y avait une humoriste originaire de là-bas, Roukiata Ouedraogo, je me suis intéressée à son travail, j’ai trouvé ça extrêmement drôle avec ce côté comparatif entre les sociétés« . La présence d’André Manoukian, Clara Dupont-Monod et de Juliette Arnaud, c’est parce qu’elle voulait « des pôles culturels ». « L’idée c’est que l’émission respire plus », dit-elle. À cette joyeuse bande, s’ajoute Pablo Mira du Gorafi. « Le Gorafi dit quelque chose de notre époque et de la manière dont on peut parler de l’information ». On peut également compter l’humoriste Thomas VDB « qui est dans une forme d’absurde sur l’actualité, pleine de bon sens ». Elle en profite d’ailleurs pour remercier la directrice de France Inter, Laurence Bloch. « Elle nous protège et nous laisse faire ».

Les auditeurs dans tout ça ? La journaliste confesse peu les croiser. « Je travaille de 7 heures à 22 heures, le week-end je dors ! Je n’ai donc pas beaucoup de retours sauf quand on fait des émissions en public ce qui est très agréable parce que les studios s’ouvrent au monde ». Quant aux réseaux sociaux, elle déclare « ne pas y accorder d’importance plus que ça… À la rigueur, ça m’amuse quand je reçois des insultes je me dis ‘oh super, ma vanne a marché !' »

« Ça m’a bien fait mal au cul que Tex devienne le symbole de la liberté d’expression »

À la question « peut-on rire de tout aujourd’hui en France ? »Charline répond : « Oui, regardez, notre émission est un exemple parfait. On a une liberté folle ! Pour ma chronique, il y a plus de deux millions de personnes qui écoutent la matinale et personne ne relit mon papier avant que j’aille à l’antenne », affirme-t-elle. Sur sa propre pratique de l’humour, voici sa façon de faire. « J’aime bien m’emparer des sujets sensibles parce que notre rôle c’est d’agiter le débat, c’est de faire chier donc je ne m’interdis rien ». Elle rappelle son sketch avec Guillaume Meurice, déguisés en Marie et en Mahomet. « Je pense que la limite c’est la diffamation, les choses gratuites, il faut avoir un contexte ».

En pleine affaire Tex, un intervenant demande l’avis de Charline. « On a tous compris que la blague de Tex c’était un prétexte pour le lourder« . Et d’ajouter : « ça m’a bien fait mal au cul que Tex devienne le symbole de la liberté d’expression, le gars n’a jamais osé faire une vanne sur les Juifs ou les Arabes« . 

« Quand je reçois des CV pour des stages, j’en suis à faire de la discrimination à l’envers, le grand remplacement, c’est maintenant ! »

Qu’en est-il de la diversité au sein des rédactions ? Charline se dit sidérée et démunie. « Cela devrait être notre force. Quand on vient d’autres milieux sociaux, on voit des choses différemment. Il faut que nos dirigeants de radio soient curieux et aillent voir par exemple le Bondy Blog pour ouvrir les horizons ». Elle explique qu’à son échelle, elle essaye de mettre des choses en place. « Il n’y a pas longtemps, j’ai invité une ouvrière de Poissy, j’essaie de trouver un moyen de faire parler d’autres gens, mais je suis totalement démunie face à cette question« . « Quand je reçois des CV pour des stages, je fais attention, j’en suis même à faire de la discrimination à l’envers, le grand remplacement, c’est maintenant« , finit-elle par plaisanter.

Un jeune étudiant en journalisme en profite pour remercier Charline Vanhoenacker d’avoir garder son accent. Dans son école, conseil est donné aux étudiants d’effacer le leur, le sien est picard. « Gardez vos accents« , s’écrie-t-elle ! « J’essaie de résister, mais je suis assez choquée, le seul accent dans les médias français, c’est celui de Jean-Michel Aphatie ! »

« Je ne veux pas qu’on change une virgule de mes textes »

Et la télé dans tout ça ? Charline Vanhoenacker revient sur sa très brève expérience à Canal +. « J’avais un projet avec la chaîne, dans mon pilote, j’ai fait une blague sur Vincent Bolloré. Je devais aller signer mon contrat le lendemain, on ne m’a pas rappelée ». Une expérience qui lui fait dire que la censure en France est plus économique que politique.

Mais ce n’est pas ça qui démotive la journaliste. Durant la dernière campagne présidentielle, elle participe à L’Émission Politique sur France 2. En septembre 2016, Elise Lucet, présentatrice d’Envoyé Spécial, s’apprêtait à diffuser un sujet compromettant sur l’affaire Bygmalion. Michel Field, alors patron de l’information de France Télévisions, avait voulu reporter la diffusion du reportage après la venue de Nicolas Sarkozy, alors candidat à la primaire de droite, dans L’émission politique. En vain. « J’ai alors fait une chronique sur Inter pour me foutre de la gueule de France 2. Je me suis dis ‘s’ils ne veulent plus de moi pour l’émission tant pis’. Ils m’ont envoyé un petit message en interne pour me dire que j’avais eu raison de le faire« . Durant L’Émission politique, face à Nicolas Sarkozy, la journaliste s’est présentée avec une casserole. « Quand on a une position confortable comme la mienne, il faut dire ‘merde’ des fois et garder sa ligneC’est quand même le kif : on vous propose d’être devant un Sarkozy ou un Fillon pendant trois minutes et vous lui dites ce que vous voulez ! France 2 ne relisait tellement pas mes textes qu’un jour ils ont oublié de venir me chercher dans la loge ! J’ai quand même amené une casserole à Sarkozy, une fleur fanée à Manuel Valls, le plan de Bruxelles à Marine Le Pen ». Mais le besoin de recul sur ce qu’elle écrit est primordial. « Quand j’ai un doute sur une vanne ou un fait, je vais voir la rédaction pour avoir les bonnes infos, je demande conseil« .

Charline Vanhoenacker tirer un bilan positif de cette expérience, même si ses expériences en télévision ne se sont jamais très bien passées. « Ma première expérience, c’était une météo au Grand Journal où j’ai eu une très grande marge de liberté. Mais il y a quand même un rédacteur qui a demandé à relire ma chronique. Elle est passée entre dix mains. Moi, je ne veux pas qu’on change une virgule de mes textes ». Elle se plaint du côté un peu superficiel de la télé, « se maquiller, se coiffer alors que ce temps on peut l’utiliser pour écrire ou lire des choses« .

« Si on nous laisse pas entrer par la porte, la voix royale toute tracée, il faut entrer par la fenêtre »

Aux jeunes journalistes, à celles et ceux qui n’appartiennent pas au milieu médiatique ou qui ne connaissent personne dans le métier, Charline Vanhoenacker donne ce conseil : « Si on nous laisse pas entrer par la porte, la voix royale toute tracée, il faut entrer par la fenêtre ». Et de poursuivre. « Tout ce qui est institutionnel et qu’on nous impose en quelque sorte, je crois que les gens en veulent de moins en moins. Ils savent qu’il y a plein de choses intéressantes et alternatives qui se font« .

La journaliste ne s’en cache pas, elle est épanouie dans son travail actuel mais confie regretter le terrain. « Mes meilleurs souvenirs sont ceux des reportages en Haïti ou encore durant la polémique sur les gens du voyage. Quand tout sera fini, que les gens en auront marre de mes blagues, je pense que je retournerais faire du terrain ». Charline Vanhoenacker confie accepter très peu les invitations médiatiques . »J’essaie de ne pas trop faire de plateau en tant qu’invitée. Ce n’est pas vraiment un milieu que je fréquente. D’ailleurs, j’ai toujours fait une erreur en tant que journaliste, c’est de ne pas partir avec les 06 des gens ».

Après trois heures et trente minutes plus tard de débat sans langue de bois, le public remercie chaleureusement son Athéna. « Merci à vous, vos questions étaient hyper balèzes, c’était un bel échange », conclut-elle, sous les applaudissements. La salle mettra plusieurs heures à se vider. Charline Vanhoenacker prendra le temps de discuter avec chacun des participants avec la promesse d’un match retour dans le studio de « Par Jupiter« . Rendez-vous est pris.

Fatma TORKHANI

Crédit photo : Mohammed BENSABER

Pour voir ou revoir la Masterclass de Charline Vanhoenacker au Bondy Blog, ça se passe ici !

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