Depuis une circulaire de rentrée signée par l’ancien Ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, les mamans portant le foulard ne peuvent plus accompagner les sorties d’écoles. Un collectif s’est formé au Blanc-Mesnil, afin de demander l’abrogation de cette circulaire. Un rassemblement a lieu ce mercredi 13 novembre à Bobigny.

Comme d’autres mères, Rachida venait régulièrement à la maison des Tilleuls, au Blanc Mesnil (93), pour participer aux réunions afin d’organiser des projets et parler des problèmes du quartier. Et c’est lors d’une de ces réunions qu’elle a voulu savoir si « une loi a été créée pour interdire les femmes qui portent le voile d’accompagner les enfants durant les sorties scolaires. C’est à ce moment-là qu’on a entendu parler d’une circulaire ». Dans ces réunions organisées à la maison de quartier, plusieurs mamans étaient concernées par la question. Elles ont décidé d’unir leur force pour lutter contre cette interdiction qui a commencé en septembre 2012 (cette circulaire de rentrée 2012 avait été signée par Luc Chatel, le prédécesseur de Vincent Peillon).

« Nous ne sommes pas là pour faire du prosélytisme »

Le collectif « Sorties Scolaires : Avec Nous ! » s’est formé à l’aide de la maison des Tilleuls et l’une des motivations principales pour ces mères de famille était le sentiment de « marginalisation ». Ces mères trouvent injuste de ne plus pouvoir participer aux sorties alors qu’elles avaient le droit avant la mise en place de cette circulaire. Le collectif est composé de 8 mamans qui ont toutes un enfant scolarisé au Blanc-Mesnil. Feirouz confie : « Il y 30 écoles sur la commune et seulement 2 écoles n’appliquent pas cette circulaire ».

Une des mères se souvient : « Nous avons remarqué l’année dernière que cette circulaire était appliquée fortement au Blanc-Mesnil alors que dans les autres villes aux alentours c’est plutôt le contraire. Car quand nous parlions avec des personnes d’Aulnay-sous-Bois, il n’y a pas ce problème ». Autre mère à intervenir sur cette question, Mylène, maman d’un enfant âgé de 9 ans : « La circulaire est présente dans les écoles, mais ce sont les directeurs qui décident de l’appliquer ou non. Cette circulaire est présente au niveau national dans toutes les villes. Dans la majorité, les directeurs n’approuvent pas, car ça a toujours bien fonctionné et qu’il n’y a eu jamais de problèmes avec nous, en tant que mamans voilées. Nous ne sommes pas là pour faire du prosélytisme et nous ne sommes pas là pour parler de religion. Nous sommes là uniquement pour accompagner la classe et pas seulement nos enfants, mais une classe entière ».

« Nous demandons l’abrogation pure et simple » 

Rachida ajoute : « cela permet de renforcer les liens entre nous, les enseignants et les enfants ». « Cette circulaire a été créée auparavant par Luc Chatel, explique Mylène.  J’aurais pensé que le parti socialiste l’aurait abrogée et que cette circulaire n’aurait pas été appliquée. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous demandons l’abrogation pure et simple ».

Rachida revient sur une anecdote. Lors d’un conseil d’école, elle a interrogé la maîtresse de son enfant. « Mon enfant me disait, ‘lorsqu’il y aura une sortie, tu m’accompagneras comme la maman de mon copain’. Et justement, une sortie a eu lieu et j’ai demandé à la maîtresse d’expliquer les raisons pour lesquelles j’étais interdite de sortie, car pour moi, c’était trop choquant ». « Elle m’a répondu, précise Rachida, qu’elle allait lui expliquer avec des petits mots [son enfant est âgé de 3 ans], mais que toute manière, il n’allait pas se rendre compte de mon absence, alors que pas du tout ».

Mylène explique avec conviction : « Nous avons discuté avec nos différents directeurs et directrices ainsi que les enseignants. Ils sont mal à l’aise, pour certains, face à cette situation. Certaines mamans accompagnent les sorties depuis 26 ans, comme Fatima [présente dans la pièce] et moi même depuis 10 ans. Cela s’est toujours bien passé, nous étions des mamans présentes pour tout, qu’il s’agisse des kermesses, accompagnements… . Aujourd’hui, ils nous le disent, ils sont mal à l’aise, mais nous ne sentons pas de soutien de leur part. Ils nous disent simplement que la circulaire vient d’en haut et qu’il ont le droit de l’appliquer. L’inspecteur de l’Education nationale en charge de la circonscription du Blanc-Mesnil, Bernard Gremion, nous dit la même chose. Il ne peut rien faire. Nous sommes des fonctionnaires de l’état et nous devons suivre les directives ». Le simple conseil que l’inspecteur donne à ces mères de famille : « Changez-vous, mettez des bonnets et retirez le voile. Changez la manière dont vous portez le voile, comme c’est un signe ostentatoire ».

Rachida ajoute : « Ils ont même été jusqu’à dire, ‘sinon vous devriez mettre vos enfants ailleurs dans le privé’. C’est du communautarisme. Ils nous demandent d’un côté d’être partenaire dans l’éducation de nos enfants et de l’autre, ils nous ferment les portes là où il ne faut pas. Nous faisons partie de l’équipe éducative, car nous participons au conseil des écoles et nous avons le droit d’émettre des idées. S’il y a un souci nous sommes le lien avec les parents et les enseignants. Ils utilisent comme prétexte qu’en accompagnant une classe avec un enseignant, nous sommes assimilées comme à des agents de l’état. Nous sommes donc considérées comme des pseudo fonctionnaires ».

Comment l’expliquer à son enfant

Depuis l’application de cette circulaire, la conséquence immédiate sur les enfants est le report ou l’annulation de certaines sorties, faute d’accompagnants. Feirouz donne un exemple. « Ils sont partis à une cueillette. Mon fils a seulement 3 ans. Il est donc en petite section. C’est sa première sortie. Il avait peur. ‘ Maman, je ne veux pas monter dans le car, je ne veux pas monter dans le car ‘. Je lui répond que ce n’est rien et qu’il va revenir. Il me répond : ‘ Tu sais que les mamans ont le droit de venir dans le car ‘. Qu’est-ce que je pouvais lui dire. Ta maman ne peut pas venir, car elle porte le foulard. Maman a choisi une religion. Finalement, je ne pouvais pas lui dire ça ». Feirouz se sent impuissante et ne sait pas comment expliquer à son enfant ce problème.

« Nous sommes des habitantes de quartiers populaires, mais aussi musulmanes et nous sommes aussi françaises. Nous avons choisi certes. Notre acte est personnel et privé, mais on ne le crie pas sur tous les toits. Ce qui fait foi, c’est simplement notre foulard sur la tête et rien d’autre. Je suis d’accord que l’enseignement reste laïc, car nous sommes dans un pays qui a ses propres lois. On l’accepte à partir du moment où il respecte ma sphère privée, ma personnalité » précise Mylène.

Le collectif a été reçu par le maire de la commune, qui les soutient. Mais « l’inspecteur de circonscription du Blanc-Mesnil, Bernard Gremion maintient cette circulaire pour qu’elle soit appliquée » ajoute Rachida. « On est en France et on dit que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Que tout enfant français a l’obligation d’être à l’école. Pourquoi on ne veut pas m’accepter moi alors que dans les droits de l’homme et du citoyen, on nous dit que tout homme a le droit à sa vie privée et son droit de culte. Pourquoi on nous dit cela alors qu’aujourd’hui on refuse que j’accompagne les sorties scolaires, alors que je ne rentre même pas dans l’école. Je n’interviens pas dans la classe, je ne fais donc pas comme un enseignant », affirme Mylène.

« Je me suis sentie mal à l’aise »

Mylène s’est contrainte, à une époque, d’enlever son foulard pour accompagner les sorties. « Je me suis sentie mal à l’aise, car ce n’est pas moi. Je l’ai fait à contrecœur ». A la place, elle le remplaçait par un bout de tissu, qu’elle attachait. Mylène l’a fait pour les enfants. Elle l’a fait quelque temps mais a finalement renoncé. Elle s’est sentie, d’une certaine manière, désavouée par l’école de son fils, qui avait décidé d’adopter la circulaire dans le règlement intérieur alors qu’elle avait fait beaucoup d’efforts sur son port du voile.

Un rassemblement aura lieu aujourd’hui même à 15 heures devant l’Inspection Académique de Bobigny. Ces mères de famille espèrent que de nombreuses personnes viendront soutenir leur cause. Elles ne demandent rien d’autre, mais veulent simplement que l’Inspection Académique leur permette comme avant 2012, de les laisser accompagner les sorties de classes. Ces mères désirent retrouver leur place dans la communauté éducative comme les autres parents. Elles restent attachées au « vivre ensemble » et à la réussite des enfants, parce que cette circulaire, dessert aussi, selon elles, les projets pédagogiques. Moins d’accompagnants, moins de projets. Leur crainte est aussi, qu’un jour, on leur dise qu’elles ne puissent plus venir chercher leurs enfants dans l’école en portant le voile.

Hana Ferroudj

 

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