Il a commencé le cinéma à l’âge de 10 ans dans Killer Kid de Gilles de Maistre (1994). A joué dans des films parce qu’il voulait faire plusieurs métiers. Récemment à l’affiche de Né quelque part de Mohamed Hamidi, Tewfik Jellab illuminera bientôt La Marche de Nabil Ben Yadir dans le rôle de Mohamed (Toumi Djaïdja). Il est nominé parmi les Révélations masculines des Césars 2014. Interview.

Où étais-tu en 1983 ?

J’étais à Argenteuil, dans la cité Joliot Curie. J’avais un an. Je n’aimais pas le sable, ni l’herbe. Et pendant que les marcheurs marchaient, je pleurais et je faisais pipi quand on me mettait sur du sable ou sur l’herbe parce que je trouvais que ça piquait et que ça n’était pas une très belle sensation (rires).

Quand as-tu entendu parler de la Marche pour la première fois ?

Concrètement, mon oncle m’en a parlé vers mes 18 ans. Il m’a raconté une anecdote et c’est vraiment à la lecture du scénario que j’ai rejoint l’origine de la Marche. Je connaissais SOS Racisme, je connaissais aussi le rassemblement, mais je ne connaissais pas la genèse du projet. Ça a été l’impact, le puzzle s’est rassemblé.

Tu as passé les castings du film avec des béquilles…

… et j’ai terminé le film avec des béquilles (rires) ! Je me suis fait une fracture de fatigue: la boucle était bouclée. J’ai passé le casting en faisant une blague à Nabil  : « J’espère que ça ne mettra pas mes essais en péril d’arriver avec une jambe cassée sur un film qui s’appelle La Marche ». Il m’a répondu : « T’as quand même moins de chance que les autres » (rires).

Qu’est-ce qui t’a motivé à jouer dans La Marche ?

Faire partie d’un film comme ça, c’est très rare dans la carrière d’un jeune acteur. Je venais de faire Né quelque part, qui était un coup de cœur, où je racontais une histoire qui était vraiment la mienne, celle de ma génération. Avec La Marche, je raconte un peu celle de mon père qui était, d’une certaine manière, l’un des premiers enfants d’immigrés. Comme on n’a pas vraiment accès aux rôles de cape et d’épée, on fait avec les moyens du bord. On raconte notre histoire, celle de la France.

Pourquoi « La Marche pour l’égalité et contre le racisme » s’est progressivement fait appeler « La Marche des Beurs » ?

Parce que c’était un mot qui était à la mode à l’époque et qu’on a toujours besoin de réduire les mouvements. La France est spécialisée dans la mise en case des événements, des gens : leur appartenance selon leur sexualité, leur mode vestimentaire… Dans cette Marche, il y avait un peu plus d’Arabes que de Blancs et puisque le leader était d’origine maghrébine, on a très vite dit « la Marche des Beurs » alors que ce n’était vraiment pas ça. Les gens qui l’ont appelée ainsi se sont trompés sur la réelle motivation de cette marche. C’est bien dommage.

Que savais-tu de Toumi Djaïdja avant le film ?

Ab-so-lu-ment rien. Je ne savais rien sur Toumi. En préparant le rôle, j’ai réussi à trouver une interview de lui de dix secondes et je l’ai trouvé beau. Ce qu’il disait était fort et je me suis dit « C’est extraordinaire qu’un mec comme ça, personne de ma génération ne s’en souvienne ». Voilà, les Américains ont leur Malcolm X, les Indiens ont leur Gandhi, en Afrique du Sud ils ont Nelson Mandela… Un peu partout, il y a des leaders charismatiques et j’ai trouvé très dommage qu’en France, on soit passé à côté du nôtre.

Comment as-tu construit ce personnage de Mohamed ?

J’ai passé du temps avec Toumi Djaïdja à Lyon. J’étais essentiellement sur l’être humain, sur la profondeur de ce personnage et sur sa sagesse. C’est ça qui m’avait profondément touché. La sagesse du bonhomme à 20 ans, qui avait reçu une balle, avait déjà fait une grève de la faim… C’était un monument. Un sage. Je me suis donc essentiellement concentré sur cette sensation-là.

De 1983 à 2013, quelle évolution observes-tu en matière de racisme en France ?

Le racisme est beaucoup plus vicieux aujourd’hui. La libération de la parole raciste s’est faite grâce – et à cause – de certains politiciens qui n’ont pas hésité à parler ouvertement et de manière très violente à la télévision. Les gens regardent la télé et essaient souvent de reproduire ce qu’ils y voient. À partir du moment où l’on entend quelqu’un qui est « représentant de l’État » dire ça, on ne peut pas s’étonner que d’autres gens reproduisent la même chose. C’est un cercle vicieux dans lequel les politiciens, pour faire un peu de buzz, se sont engouffrés. La population a suivi normalement,  c’est tout à fait logique et c’est très malheureux. Le racisme existe aujourd’hui d’une autre manière, il se dit moins frontalement sur certaines choses mais aussi de manière plus frontale qu’avant. Il y a eu une immense avancée pour toute la « communauté immigrée » et en même temps, les gens ont tendance à devenir plus racistes qu’avant. Peut-être par jalousie par rapport à la réussite que ces jeunes des quartiers ont eu. Il y a une forme de… « et en plus de venir dans le pays, ils réussissent malgré les bâtons dans les roues qu’on leur met ».Ça crée aussi une forme de rancœur, de frustration.

De 1983 à 2013, comment a évolué le terme « immigré » ?

Immigré… Pour moi c’est un mot… C’est presque du grec ancien. Je ne me sens tellement pas immigré… Encore moins fils d’immigré puisque ma mère est née en France… C’est un mot très lointain et en même temps, il fait partie de moi parce que quand je me regarde dans la glace et que je regarde l’Assemblée Nationale, je n’ai pas l’impression qu’ils me ressemblent. Donc je me dis qu’effectivement, je ne viens pas du même endroit qu’eux – en terme d’origines. Mais nous sommes dans le même pays, je connais la culture par cœur et j’ai eu les mêmes codes qu’eux, même avec un peu plus de codes puisque j’ai une culture étrangère. Je ne connais pas la différence entre ce mot à l’époque et aujourd’hui. Ça résonne toujours comme une insulte, alors que ça ne l’est pas : c’est un terme qui désigne des gens qui se sont déplacés. Mais on essaie toujours de les rapprocher. Maintenant on dit « enfant d’immigrés » et bientôt on aura, moi je le suis, « un enfant d’enfant d’immigré ». On veut toujours nous ramener au fait qu’on est parti d’ailleurs… Oui, on est parti d’ailleurs, mais on est ici.

De 1983 à 2013, quelle évolution observes-tu en matière de violence policière ?

Le flashball (rires). Une magnifique arme qui ne fait pas de dégâts.

Qu’est-ce que ça fait de tourner avec un Belge qui raconte l’Histoire de France ?

Ça fait qu’il a une réelle distance et qu’il est moins affecté que s’il avait été un Français d’origine maghrébine qui avait vécu dans les quartiers. Je crois que c’est la force du film.

Propos recueillis par Claire Diao

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