Annoncé comme une « promesse d’égalité » par François Lamy, le ministre délégué à la ville a présenté à l’Assemblée son projet de loi « ville et cohésion sociale », largement adopté en première lecture. Une révolution ? Non, répond le sociologue et maître de conférence en sciences politiques, Renaud Epstein. Entretien.

Une réforme de la politique de la ville, une de plus. Qu’apporte-t-elle de nouveau ?

Il n’y a pas de grande nouveauté. La loi pour la ville et la cohésion urbaine réaffirme les grands principes de la politique de la ville qui avaient été un peu oubliés ces dernières années : articulation de l’urbain et du social, mobilisation des politiques de droit commun, participation des habitants… Le cœur de la réforme, c’est la redéfinition de la géographie prioritaire, c’est-à-dire de la liste des quartiers qui bénéficient de la politique de la ville. François Lamy [ministre délégué à la ville] a repris l’analyse de la Cour des comptes qui critiquait le saupoudrage des crédits sur un trop grand nombre de quartiers et appelait à leur concentration dans les quartiers les plus en difficulté.

Cette critique de l’extension de la géographie prioritaire est quasiment aussi ancienne de la politique de la ville. Depuis le milieu des années 1980, pratiquement tous les rapports portant sur cette politique ont appelé au resserrement de cette géographie. Cela n’a pas empêché l’inflation : on est passé de 40 à 148 quartiers entre le début et la fin des années 1980, puis à 751 en 1996, 1300 en 2000 et 2493 en 2006. Car un quartier qui sort de la géographie prioritaire, c’est une ville qui perd le bénéfice des crédits de la politique de la ville et donc un maire mécontent qui se mobilise. D’ailleurs, on peut remarquer que François Lamy avait annoncé il y a un an qu’il n’y aurait plus que 500 quartiers prioritaires, puis 1000 et au final on va plutôt se situer aux alentours de 1300.

Comment va s’opérer le choix ?

Le ministère a retenu un critère unique : la concentration de la pauvreté. Le territoire français a été divisé en petits carreaux de 200 mètres de côté, pour ne retenir que ceux dans lesquels plus de la moitié de la population a un revenu inférieur à 11 250 euros par an (soit 60 % du revenu fiscal médian). Mais la liste des quartiers prioritaires ne sera connue qu’après les élections municipales. D’ici là, il y aura des ajustements, pour préciser le découpage de ces quartiers et probablement aussi pour satisfaire quelques élus de poids.

Ce critère unique n’est-il pas réducteur ?

Effectivement, on ne peut pas résumer la pauvreté à un simple critère monétaire. Il y a aussi des dimensions sanitaires, culturelles, d’exclusion politique… Tout ceci ne peut être résumé par le seul revenu. Au-delà de ça, la question qui se pose est celle de la nature du problème que l’on veut traiter avec la politique de la ville. En ciblant les quartiers en fonction des revenus de leurs habitants, on assigne implicitement à la politique de la ville un objectif de réduction de la pauvreté. Mais ce n’est pas avec des politiques territoriales que l’on peut réduire la pauvreté. Cela relève plutôt des politiques redistributives, qu’elles soient sociales ou fiscales.

Et les critères ethniques ?

C’est le point aveugle de cette loi. Le critère de la concentration de la pauvreté permet de mettre dans un même sac les grands ensembles de Seine-Saint-Denis et les petits quartiers HLM de Guéret, Auch ou Joigny. Pourtant, les problèmes ne sont pas de même nature. Certes, il y a aussi de la souffrance sociale dans les quartiers de ces petites villes en déclin dont le tissu productif se casse la gueule, laissant les ouvriers sans perspectives. Mais ce n’est pas le problème d’un quartier, c’est celui de la ville dans son ensemble. C’est complètement différent en Île-de-France et dans les grandes agglomérations de province qui traversent la crise sans trop d’encombres. Les métropoles vont bien sur le plan économique, mais pour autant certains de leurs quartiers vont mal, ils ne bénéficient pas de la dynamique métropolitaine. Qu’est-ce qui fait que ces quartiers restent à l’écart ? Il me semble qu’un des facteurs déterminants est qu’il s’agit de quartiers de minorités, dont les habitants souffrent d’intenses discriminations ethnoraciales. Ce problème est malheureusement laissé de côté dans la loi.

Les médias ont interprété cette loi comme ciblant notamment les zones péri-urbaines où le FN a prospéré. Qu’en pensez-vous ?

L’argumentaire du FN a été mobilisé de manière un peu légère. Les cartes du vote FN et de la concentration de la pauvreté ne coïncident que très partiellement. En outre, l’entrée dans la politique de la ville d’une poignée de petites villes dans lesquelles le vote FN augmente ne doit pas masquer le fait que la géographie prioritaire demeure pour l’essentiel constituée de grands quartiers d’habitat social des périphéries des grandes villes. Et ce n’est pas là qu’on vote le plus massivement FN. C’était le cas dans les années 1980, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Dans ces quartiers, la protestation politique ne passe plus par le vote FN, mais par une abstention massive et parfois par l’émeute.

Une critique souvent adressée aux plans de rénovation des prédécesseurs de François Lamy était qu’ils se concentraient trop sur le bâti et pas sur l’humain dans les quartiers. Qu’en est-il ?

Sur ce plan, il y a une vraie évolution. La réforme de la politique de la ville menée par Jean-Louis Borloo en 2003 avait organisé son rabattement sur un programme de démolition-reconstruction qui devait recréer de la mixité sociale dans les quartiers. Après 10 ans de rénovation urbaine, qui a mobilisé des moyens colossaux (une quarantaine de milliards d’euros), tout le monde se rend compte que la transformation urbaine ne peut à elle seule résoudre des problèmes sociaux. François Lamy a pris acte des limites de la rénovation urbaine et il en revient aux fondamentaux de la politique de la ville, à savoir une articulation entre interventions urbaines et sociales, ce qui me semble aller dans le bon sens.

Que propose-t-il de concret dans ce domaine ?

Concrètement, les opérations du nouveau programme de renouvellement urbain qui sera lancé en 2015 seront conçues et pilotées par les mêmes instances que celles qui s’occupent des actions sociales, éducatives, de prévention de la délinquance, etc. Le problème, c’est que la loi prévoit un budget de 5 milliards d’euros pour ce programme, mais ne dit pas où on va les trouver, alors qu’on a déjà le plus grand mal à réunir les crédits nécessaires pour boucler les opérations en cours. Depuis 2009, l’Etat a arrêté de financer l’ANRU [Agence nationale pour la rénovation urbaine]. Pour compenser ce désengagement financier, on a puisé dans les caisses des HLM, puis de la société du Grand Paris, et surtout du 1% logement. Mais ces bricolages financiers arrivent à leur limite. Il n’y a plus d’argent nulle part…

Autre aspect de la rénovation urbaine : la participation des habitants. Elle était au cœur du rapport de Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué. Qu’en est-il dans la loi ?

Ca devait être la grande avancée de la loi. François Lamy avait d’autant plus fortement insisté sur cette dimension que ça lui permettait de donner une perspective politique à sa réforme. Dire qu’on ne va pas lancer de plan Marshall et que le nombre de quartiers va être réduit, ce n’est pas très mobilisateur ! Les mots d’ordre du « pouvoir d’agir » ou de la « co-construction » des projets avec les habitants permettaient d’afficher une inflexion nette par rapport à ce qui était fait depuis 10 ans. En plus, dans un contexte de crise budgétaire, la participation a une vertu incomparable : ça ne coute pratiquement pas un rond !

Mais est-ce que les habitants ont vraiment un pouvoir de décision avec cette loi ?

C’est bien le problème. Le rapport Mechmache-Bacqué s’organisait autour d’une trentaine de propositions très ambitieuses qui visaient à sortir d’un régime de participation contrôlée par les élus locaux, pour démocratiser la démocratie locale en faisant émerger des contre-pouvoirs dans les quartiers. Tout cela a été neutralisé dans le projet de loi. Déjà, le préalable posé dans ce rapport, à savoir le droit de vote des étrangers aux élections locales, qui figurait dans le programme de François Hollande, n’a pas même été évoqué pendant le débat parlementaire. La loi crée bien des conseils citoyens et des maisons du projet qui doivent permettre aux habitants de participer à l’élaboration des contrats de ville et des projets de rénovation urbaine, mais c’est très en deçà de ce qui pouvait être attendu.

La décision ne se fera pas sur la base du 50/50 ?

Non, c’était ce que proposait un amendement des députés d’Europe écologie les verts, mais il n’a pas été soutenu par le gouvernement et a donc été retiré. On se contente donc de conseils citoyens dont l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs locaux n’est absolument pas garantie, et qui devront se contenter de faire des propositions sans aucune garantie que celles-ci seront reprises par les élus. Bref, on en reste à cette participation à la française dans laquelle les élus consultent, mais au final font ce qu’ils veulent.

Propos recueillis par Rémi Hattinguais

 

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