EUROPÉENNE 2014. Au lendemain de la commémoration du génocide rwandais de 1994, qui a fait 800 000 morts en trois mois, nos blogueurs se sont rendus dans un quartier africain de Bruxelles. Portrait croisé de deux enfants du pays des 1000 collines.

Le quartier Rwando-congolais de Matonge ressemble à s’y méprendre à celui de la Goutte d’or. On y accède par le métro Porte de Namur, copie conforme du bon vieux Château-Rouge. Les vendeurs ambulants et les évangélistes battent le pavé et proposent aux passants un petit bout d’Afrique. On y trouve toutes sortes de produits, manioc, bananes plantains, gombo, gingembre et autres mangues tandis que les nombreux restaurants du quartier aguichent les passants. Pour réponde aux besoins du culte de l’apparence très prononcé de la communauté congolaise, les commerçants rivalisent d’ingéniosité.

Les bijouteries et salons de coiffure pullulent et ne désemplissent pas. Une aubaine pour Josiane, immigrée rwandaise, qui tient sa boutique de cosmétique dans le centre commercial du coin. Jeune femme de 35 ans, Josiane s’est installée en Belgique en 2000. Ses parents ont quitté le Rwanda en 1959, suite à la révolution. Elle naît donc en exil, à l’image de toute une génération de rwandais dont Jeannon fait également parti.

IMG_0259Chauffeur-livreur de 37 ans, il est arrivé en Belgique la même année, après 10 ans d’implication directe dans la guerre civile : « Moi j’étais un enfant soldat. Je me suis engagé dans l’armée à 13 ans contre l’avis de mes parents ». Née en Tanzanie en 1978, Josiane se souvient : « Mon père voulait rentrer absolument chez lui, son pays lui manquait énormément. A notre arrivée au village, nous avons vu des maisons vides et d’autres détruites. Le génocide n’est pas un sujet tabou. Certains nous ont raconté ce qu’ils ont vu, des corps sans vie allongés par terre », poursuit-elle, rejoignant le témoignage de Jeannon.

Lui est né au Burundi et y a passé son enfance. Lorsque la guerre éclate le 1er octobre 1990, il a 13 ans. « Je suis parti contre l’avis de mes parents et j’ai pris contact avec des réseaux clandestins à travers des réunions. Malheureusement je ne les ai jamais revus parce qu’ils sont morts avant mon retour ». Jeannon raconte sa période de formation intense et même « inhumaine » sous certains aspects : « Nous passions au moins 3 jours sans dormir à tourner en rond, monter et descendre des collines pour travailler notre endurance, avec des bouts de bois en guise d’armes. A un moment donné, on estime que vous êtes prêt et on vous envoie au front. On avait confiance, à tort ou à raison mais on était des enfants et on croyait ce qu’on nous disait. Malgré tout, on a enterré beaucoup d’entre nous ».

Au moment d’évoquer la commémoration du génocide, Josiane tient à rappeler que « la Nation rwandaise existe déjà ». Pour elle, les torts sont partagés entre la Communauté internationale, la France et la Belgique. « La Belgique a divisé les deux ethnies pour mieux régner dans le pays ». Elle estime, de plus « que la France n’accepte pas ses torts ». Jeannon est du même avis et martèle qu’ « on a beaucoup offensé dans ce conflit et qu’on ne reviendra pas en arrière. Le conflit entre les flamands et wallons, c’est ce que la Belgique a reproduit dans notre pays ».

Sur le conflit opposant la France et le Rwanda ces derniers jours, il a choisi son camp : « C’était peut être dire à la France : on vous en veut encore ». Il se sent « rwandais avant tout » mais « également européen », arrivant à concilier ses deux cultures. « L’Europe m’a accueilli, j’y suis bien mais le Rwanda, c’est mon pays ».

En ce qui concerne l’avenir, de son pays d’origine et les leçons tirées de ce conflit, Jeannon se veut optimiste : « On a dépassé ce conflit maintenant au Rwanda. On ne dit plus Hutu et Tutsi, on a banni ces trucs, rwandais c’est rwandais. Au Rwanda les distinctions n’existent plus ». Cependant, il reconnait que beaucoup reste à faire au sein de la diaspora bruxelloise : « Il y a des bars où tu vas et tu ne te sens pas chez toi, alors que c’est rwandais. C’est surtout les anciens du Rwanda qui se retrouvent dans ces lieux. Quand on te sert à boire, tu vérifies ! ».

20 ans après, le génocide est encore bien présent dans les mentalités. Malgré tout, les rwandais semblent avoir réussi à dépasser les clivages ethniques pour former un début de nation. Cependant, la diaspora en Europe semble reproduire les logiques d’un conflit encore latent dans les esprits.

Balla Fofana, Jonathan Solllier, Hana Ferroudj

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