« J’aimerais savoir ce que vous voulez savoir », dit-elle d’emblée avec un sourire en coin. C’est au musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM), où elle officie quelques jours chaque semaine, que l’on a discuté avec Lisa Koperqualuk. Elle y occupe depuis 2019 le poste de conseillère médiatrice responsable de la collection des arts inuits. Sa mission ? Valoriser l’art inuit dans « une perspective inuite », c’est-à-dire en mettre en avant les artistes de la communauté, tout en expliquant le contexte dans lequel leur production se crée.

Mais ses activités ne se résument pas à cela. Lisa Koperqualuk est négociatrice en chef pour la société Makivik depuis 2020. Créée en 1978, cette structure représente les Inuits du Québec, protège leurs intérêts et œuvre au développement économique de la communauté notamment en veillant à une bonne utilisation des indemnités versées par le gouvernement. Actuellement, elle négocie avec le gouvernement québécois pour un projet d’autodétermination. « Nous voulons créer notre propre gouvernement inuit. Un gouvernement inuit aura des valeurs, sera structuré comme on le veut et va mettre en place des lois inuites », déclare avec beaucoup de détermination celle qui vient d’être élue présidente du Conseil Cercle Circumpolaire inuit (ICC). Il s’agit d’une organisation qui représente les Inuits de l’Alaska (États-Unis), du Canada, du Groënland et de la Russie (Tchoukotka). Jusqu’alors, elle en était vice-présidente.

Son grand père, une figure importante de sa vie

Née en 1962, Lisa Koperqualuk grandit à Puvirnituq, un village situé dans le Nunavik au Nord du Québec où la température moyenne annuelle ne dépasse pas les -6°. Elle fait partie d’une fratrie de neuf enfants dont elle est l’aînée. Lisa est la seule à être née dans son village dans les traditions inuites, ses huit frères et sœurs sont nés à l’hôpital en Ontario, obligeant sa mère à quitter son domicile plusieurs semaines avant l’accouchement en raison de la distance.

Élevée par ses grands-parents, elle tisse une relation très forte avec son grand-père, Aisa Koperqualuk, un ancien ministre anglican. « Mon grand-père était sage, calme. Il était capable de communiquer avec nous les jeunes. Je voulais toujours être avec lui, se rappelle la Nunavutoise. Je voulais toujours marcher avec lui, cueillir des moules. Il était vraiment affectueux avec mes frères et sœurs et a toujours échangé avec moi. »

Il m’a toujours conseillée, il disait ‘il faut aider les autres, rendre service aux autres.’

Aisa Koperqualuk est aussi sculpteur. Le musée des Beaux-Arts de Montréal achètera en 1953 certaines de ses œuvres, parmi les premières œuvres autochtones acquises par le musée. Sa petite-fille ne l’apprendra qu’il y a quelques années, en prenant ses fonctions au sein de l’établissement. Son grand-père a eu un réel impact sur sa petite fille notamment sur son engagement envers les Inuits. « Il m’a toujours conseillée, il disait ‘il faut aider les autres, rendre service aux autres’ », raconte Lisa Koperqualuk. Cela fait partie de la culture inuite souligne-t-elle. Désormais, elle essaie à son tour de transmettre ces valeurs à ses deux fils.

Une anthropologue de formation

Lisa Koperqualuk quitte son Nunavik natal pour aller étudier pendant trois ans la science politique à l’Université Concordia (Montréal). Elle qui maitrise l’anglais, le français, et sa langue maternelle l’inuktitut, travaille ensuite comme agent de communication pour la société Makivik pendant sept ans. C’est durant ses voyages qu’elle a appris à parler couramment français notamment en Afrique où elle a passé 4 ans en Guinée. « J’ai un esprit d’indépendance et j’ai une curiosité au monde. C’est ce qui m’a permis de voyager dans le sud pour les études », raconte Lisa. Elle ajoute que c’est sûrement cette curiosité qui l’a aidée à avoir le parcours qui est le sien.

En 2007, elle s’installe à Québec et songe à s’orienter vers l’anthropologie. Elle fait alors la connaissance de Louis-Jacques Dorais, un ethnolinguiste de l’Université de Laval qui deviendra son directeur de mémoire. « La question qui m’intéressait était l’impact de la religion sur les décisions politiques dans mon village à Puvirnituq. Ce qui m’a amenée à réfléchir pourquoi nous les Inuits nous sommes tous des chrétiens. Pourquoi avons-nous laissé nos chamans ? », déclare-t-elle. Et ce qui l’interpelle et l’intéresse encore plus, ce sont les similitudes entre les différents systèmes de croyances qui l’amènent à établir une continuité entre les croyances ancestrales, et les actuelles, chrétiennes.

Une figure d’engagement pour les femmes inuites

La Nunavutoise de naissance s’implique entièrement pour les droits des femmes inuites. Un engagement qu’elle met au service de l’Association des femmes inuites Saturviit du Nunavik. « C’est pour que les femmes inuites soient influencées, aient une place dans la scène politique. Le mot saturviit désigne l’espoir de faire revenir ce qui nous appartient. Satur veut dire racine en inuktitut », ajoute-t-elle.

En tant qu’Inuite, Lisa se rend compte des difficultés qu’endure son peuple comme le manque de logements ou encore la violence dans les communautés. « Quand on est à quinze dans une maison, que l’on subit de la violence et que l’on a nulle part où aller, on reste », reconnaît péniblement Lisa. La violence conjugale touche particulièrement les communautés autochtones qui concerne 10% des femmes contre 3% dans les communautés non autochtones d’après l’Institut nationale de santé mentale du Québec.

Être un modèle est une responsabilité. Je veux encourager les jeunes à avoir des buts.

De son côté Lisa Koperqualuk fait en sorte d’être un modèle pour sa communauté, comme l’est devenue Mary Simon, gouverneure générale du Canada. « Nous sommes très fiers, elle vient de chez nous. Elle est vraiment un modèle de réussite pour beaucoup de femmes. Nous la voyons comme une force, s’enthousiasme Lisa. Être un modèle est une responsabilité. Je veux encourager les jeunes Inuits à avoir des buts.»

Emeline Odi, envoyée spéciale à Montréal dans le cadre d’un voyage autour des récits des femmes autochtones organisé par l’association France-Canada

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