Un dimanche après-midi. Il ne faisait pas très beau mais pas complètement gris non plus. Ce matin, j’avais regardé Marine Le Pen agiter, une nouvelle fois, le thème de l’immigration massive pour tenter d’expliquer les incidents en France en marge de la victoire de l’Algérie face à la Russie. Du pain béni pour le Front ! Et finalement, vous me répondrez, tellement attendu. Le coupable était tout désigné : le binational. Ce Français qui, parce qu’il détient une autre nationalité, arabe pour dire les choses telles qu’elles sont, est accusé de ne pas adhérer à la nation, de ne pas prêter allégeance à la patrie. Et de le montrer, de le crier haut et fort, en cassant là où il passe.

74, c’est le nombre d’interpellations réalisées par les forces de l’ordre en marge de ce match. Personne n’est en mesure d’ailleurs de dire qui ils sont précisément. Des « casseurs » selon les termes du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve qui prend soin de ne pas faire d’amalgame avec les supporters en liesse d’une Algérie qualifiée pour les huitèmes de finale. Mais pour Marine Le Pen, « c’est clairement le refus exprimé par un certain nombre de binationaux de l’assimilation. C’est clairement, on le voit bien, la volonté de la part d’un nombre non négligeable de montrer. C’est l’exhibition de leur choix de l’Algérie plutôt que le choix de la France. »

Ces casseurs sont-ils, comme l’affirme sans détour Marine Le Pen uniquement des binationaux, des franco-algériens? La présidente du Front national ne le sait pas, ni personne d’ailleurs. Peut-être certains, non binationaux, ont profité de cette soirée pour casser, comme c’est souvent le cas dans ce type de manifestations. Mais on le sait, dans ce genre de brouhaha politico-médiatique, peu de place à la précision. La messe est dite. Le coupable est désigné. Il est la preuve infaillible pour Marine Le Pen que l’immigration ne fonctionne pas. CQFD.

Mais la présidente du Front national sait parfaitement que s’indigner c’est bien, proposer c’est mieux. Et pour montrer qu’elle prend de la distance, elle précède sa proposition d’un « Posons les vrais problèmes de fond dans cette affaire« . Sa mesure ne peut donc être que crédible : « supprimer la double nationalité« . Et d’asséner : « Il faut choisir : on est algérien ou on est français. On est marocain ou on est français. On ne peut pas être les deux en même temps. »

On s’attend donc là évidemment à la dépêche AFP, aux réactions des politiques, aux commentaires des éditorialistes. Mais c’est le site internet du magazine Le Point qui va nous surprendre. Plus d’ailleurs que la proposition de Marine Le Pen elle-même. En fin de matinée, lepoint.fr décide de traiter de cette proposition. D’abord par un factuel reprenant la dépêche puis par une publication appelée : « sondage ». La question : « Faut-il retirer aux Français d’origine algérienne leur double nationalité? »

Mettons des guillemets au mot « sondage » car comment qualifier ainsi, une question d’un site d’information où les internautes peuvent voter plusieurs fois et où les résultats sont publiés tels quels sans marges d’erreur ? Et puis, n’importe quel lecteur peut tomber sur ce questionnaire sans n’avoir aucun élément de contexte, le « sondage » étant publié à brûle-pourpoint sur le site.

Mais Le Point va même plus loin que Marine Le Pen. Le magazine ne propose même pas à ses lecteurs de s’interroger sur la pertinence de la proposition. Non, aucune précaution, les vannes sont totalement ouvertes, zéro filet. Le « sondage » désigne à la vindicte une population ciblée : les Français d’origine algérienne. Car si Marine Le Pen fait cette proposition en réaction aux incidents d’ Algérie-France, elle prend bien soin d’en faire au final une mesure d’ordre général : mettre fin à la double-nationalité. Le Point, qui n’est pas, aux dernières nouvelles, un magazine d’opinion, s’engouffre dans la brèche et réussit à concurrencer le Front national. Un « sondage » discriminatoire voire raciste.

Au vu des commentaires de colère et d’indignation sur les réseaux sociaux, il semble qu’il y ait eu une réflexion au Point : le magazine a en effet retiré le questionnaire de son site. Sans aucun mot d’excuse à ses lecteurs, ni même aucune ligne de tentative d’explication. Un questionnaire qui aura eu une durée de vie de quelques heures mais qui aura fait d’énormes dégâts pour la réputation de l’hebdomadaire. Un magazine national qui a fait ce dimanche 29 juin de l’agenda politique d’un parti d’extrême-droite sa ligne propre ligne éditoriale.

« Puis les haines, les vengeances, le point d’honneur, éternisèrent les guerres entre les familles, les tribus. » Charles Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, 1870.

Nassira El Moaddem

 

 

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