« C’est un documentaire Netflix le truc ! ». Lâchée au début de l’été dernier, l’annonce ne concerne pas une nouvelle série à engloutir sous la couette. Quoique. Sans s’en douter, l’influenceuse Horia divulguait la configuration de mon feed Youtube pour les prochains mois à venir.

Un concept pas nouveau mais qui tombe à pic

En juillet 2020, et à seulement 26 ans, la Youtubeuse française spécialisée beauté aux 2 millions d’abonnés révélait à sa communauté avoir acheté une maison. Enfin, « c’est un peu comme si c’était notre maison », nuançait-elle. L’annonce, ainsi que la promesse de suivre ses aventures, à priori, ne m’avaient fait ni chaud ni froid. C’était sans compter les dizaines de vidéos sur le même thème qui suivraient. Comme on dit dans le jargon : « j’étais pas prête ».

Coïncidence ou pas, en cette période particulière où l’on redoute un nouveau confinement et où le télétravail est devenu la norme, les vidéos d’intérieur ont commencé à fleurir de toutes parts. Sur Instagram aussi, où Horia, dans une story épinglée « Home » partage les tracas d’adulte qui entourent la rénovation de son nouveau domicile : du dégât des eaux au choix des poignées de porte (une des choses les plus « relous » visiblement).


Comme beaucoup de Youtubeuses, Sananas consacre une bonne partie de ses dernières vidéos à sa nouvelle maison. 

Quelque temps après, la Youtubeuse Sananas -Sana pour les intimes, la plus grande influenceuse beauté française pour les profanes- sautait le pas en quittant son appartement pour une maison. Profitant de son déménagement, Sana El Mahalli a décliné le sujet en une multitude de vidéos -chaque étape du processus étant déclinées en une série d’épisodes.

Je ne peux pas ne pas citer Gaëlle Garcia Diaz -Youtubeuse et cheffe d’entreprise belge- qui nous a fait découvrir sa maison dans une vidéo intitulée « J’ai rénové ma maison (et c’est incroyable) ». Et effectivement, Gaëlle est plus honnête que tous les membres du gouvernement réunis.


Plus de 2 millions de vues pour l’avant/après de la maison de Gaëlle Garcia Diaz. 

Comme plus de deux millions de personnes, je n’ai étonnamment pas vu passer les 38 minutes de vidéo dans laquelle on peut suivre toutes les étapes du chantier dans un style reportage – voix-off et interview des artisans incluses. Sérieusement, je veux un crossover avec Valérie Damidot.

Le contexte confiné/déconfiné

En faisant l’impasse sur les haussements de sourcils que m’ont valu l’évocation de sa « maison d’amis » (oui, oui) ou celle du « coin lecture », l’installation de sa baignoire avec vue sur une falaise immaculée m’a définitivement conquise.

Vivant dans un studio depuis plusieurs années, ce dernier a commencé à m’insupporter lors du premier confinement. Pour moi, pas de vue sur un coin de verdure mais je peux à tout moment juger l’état de propreté de la voiture des mes voisins. Pas moyen de décoller du lit quand de toute façon, celui-ci prend 50% de la place.

Parmi ceux qui ont trouvé leur habitat inadapté au confinement, 52% trouvaient qu’il manquait d’un espace extérieur, 49% jugeaient sa tailler trop petite, et 33% auraient apprécié avoir une pièce en plus.

D’après le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, parmi ceux qui ont trouvé leur habitat inadapté au confinement, 52% trouvaient qu’il manquait d’un espace extérieur, 49% jugeaient sa tailler trop petite, et 33% auraient apprécié avoir une pièce en plus, alors même que « de meilleures conditions de logement constituent une protection fondamentale face aux crises sanitaires et écologiques actuelles et à venir« .

Médiatiquement, l’incipit de la crise sanitaire a démarré avec ses images de Parisiens sautant dans un train pour une résidence secondaire, ou tout simplement retourner chez leurs parents. Depuis, un reportage sur des travailleurs français partis télé-travailler en Thaïlande ou en Amérique du Sud a fait un tollé sur les réseaux sociaux. C’est un fait : nous rêvons tous d’un ailleurs.

Le problème, c’est que cet appartement représente le maximum auquel je peux aspirer, pour plusieurs années encore.

En réalité, il n’y a rien de mal avec mon logement actuel. Je n’ai guère besoin de plus d’espace pour mes affaires, il est en bon état, et j’ai extrêmement du mal à me visualiser en train de tondre une pelouse, un jour ou un autre. Le problème, c’est que cet appartement représente le maximum auquel je peux aspirer, pour plusieurs années encore.

L’immobilier en Ile-de-France est une comédie française. Même prévenus, on oscille entre abattement et colère. Prix exorbitants, demandes de garantie ridicules, surfaces minuscules… Dans son ouvrage Chez soi : une odyssée de l’espace domestique, l’essayiste Mona Chollet développe : « vivre dans l’une des villes les plus chères du monde limite sérieusement votre capacité à vous approprier l’espace environnement (…). Tout cela se conjugue pour donner l’impression d’une impuissance à occuper pleinement sa place en tant que génération« .

Notre question, l’autonomie des jeunes, risque de ne plus être d’actualité pendant longtemps, on va souvent dire aux jeunes de rester chez leurs parents, l’autonomie sera pour l’année prochaine.

Car comme elle l’explique, le logement symbolise non seulement l’accumulation d’expériences – une place sur l’étagère pour les souvenirs de vacances, un espace pour la télé flambant neuve achetée après des dures semaines de travail etc, mais également le passage (obligé ?) à l’âge adulte. « On voit même se gripper la simple dynamique des générations; le principe élémentaire selon lequel les enfants, une fois adultes, sont appelés à gagner leur autonomie et à acquérir une situation au moins équivalente à celle de leurs parents« .

Ces propos datent du monde pré-pandémique. Avant les restrictions sociales et la crise économique qui en découle. « Notre question, l’autonomie des jeunes, risque de ne plus être d’actualité pendant longtemps, on va souvent dire aux jeunes de rester chez leurs parents, l’autonomie sera pour l’année prochaine », déclare même l’UNCLLAJ (Union Nationale des Comités Locaux pour le Logement Autonome des Jeunes) citée dans le rapport de la fondation Abbé Pierre.

Dans ces conditions, plus qu’une jalousie mal-placée, le visionnage hebdomadaire des house tour des Youtubeuses peut être un crève-cœur tant il est devenu difficile de se projeter dans l’avenir.

Devenir propriétaire : un rêve partagé par tous?

Gaëlle, Horia et Sana ont toutes les trois concrétisé un rêve d’enfant. Cette dernière, élevée seule par sa mère après le décès de son papa, raconte avoir toujours été admirative des maisons de ses copines d’école.

L’accès au statut de propriétaire va souvent de paire avec l’idée d’élévation dans l’ascenseur social (c’est sans compter le cas des personnes qui s’endettent des années auprès des banques pour financer leur domicile). Dans les chansons également, il est d’usage de rêver pouvoir acheter une maison à la daronne après avoir travaillé dur pour. Malgré elle, peut-être, Sana a contribué à cet imaginaire collectif en déballant lors de vidéos haul (« butin », en anglais) des dizaines et des dizaines de vases ou encore des couverts à manche en bambou achetés spécialement pour l’occasion.

En visionnant cet extrait, je me suis dit que le kiff personnel de Sana, son rêve le plus cher réalisé, était en réalité assez terre-à-terre.

Mais c’est une autre anecdote qui m’a laissé perplexe. Lors d’une autre vidéo tour, où Sananas nous fait visiter sa salle de jeu, elle explique avoir besoin d’un grand meuble pour pouvoir ranger tous ses jeux de société. « On est très jeu de société, ça nous éclate. Franchement quand nos potes viennent, on passe nos soirées à faire des jeux de société« , tient-elle à préciser. Mais y’a-t-il vraiment des gens sur cette Terre qui n’apprécient pas passer une soirée entre potes à jouer? D’autres qui n’ont pas du tout envie de se caler devant la télévision avec une part de pizza? DÉNONCEZ-VOUS !

Il m’a semblé aussi que s’asseoir autour d’une table avec des amis ne devrait pas être un luxe, le résultat d’un travail acharné ou l’aboutissement de démarches administratives.

En visionnant cet extrait, je me suis dit que le kiff personnel de Sana, son rêve le plus cher réalisé, était en réalité assez terre-à-terre. Moi aussi, j’aimerais bien avoir une pièce supplémentaire pour accueillir des amis. Il m’a semblé aussi que s’asseoir autour d’une table avec des amis ne devrait pas être un luxe, le résultat d’un travail acharné ou l’aboutissement de démarches administratives. Bref, que la jalousie ressentie n’avait plus grand chose à voir avec l’immobilier.


La chronique de Marina Rollman sur la décoration. 

Des exemples d’autonomie féminine

Dans son livre, Mona Chollet raconte au sujet d’une Youtubeuse anglophone : « sa vie me rendrait neurasthénique en dix minutes : j’envie la conformité de ses aspirations. Ramer à contre-courant, cela fatigue. Ce doit être si bon, si confortable, si reposant de se laisser glisser dans la normalité comme dans un bain chaud, d’occuper un terrain balisé (…)« .

Il se pourrait en effet que l’accès à la propriété soit un rêve partagé par la grande majorité des Français(es), que l’envie d’espaces plus confortables ait été largement exacerbée par les restrictions sanitaires. Mais à vrai dire, dans mon cas, la flemme de cohabiter avec des araignées (c’est signe d’une maison agréable à vivre me disait ma mère) est bien plus grande que l’envie de devenir une châtelaine. Pourquoi alors les vidéos de Sana et de ses collègues m’ont-elle rendue si amère ?

En plus des embrouilles autour des poignées de porte, Sana et Horia racontent les réflexions qu’elles se sont prises lors de l’achat de leur maison. « C’est marrant, parce que dès qu’on a commencé à annoncer la maison c’est des ‘ah mais du coup, c’est bientôt les enfants ?!’. Pourquoi ? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi genre c’est une suite logique quand t’as une maison? Pourquoi les gens ils n’ont pas dit ‘ah bah tiens du coup un petit chien?!’ ?« .

Horia, elle, parle même d’un combat « contre les mentalités. J’ai eu beaucoup de remarques. Même dans l’administratif, les gens ont un peu de mal à envisager que j’achète ma maison toute seule, que je sois seule et que je vais vivre seule dedans« , avoue-t-elle.

En dépit des éventuelles difficultés, les créatrices de contenus sur Youtube ont réussi à vivre en adéquation avec leurs aspirations -même si ce ne sont pas les miennes. Et pour cela, elles n’ont pas cherché à attendre un prince charmant. Une tendance de fond qu’elles incarnent puisque les femmes seules étaient 45% à investir dans l’immobilier en 2021 contre 31% quatre ans plus tôt. J’ai lu un jour que les personnes qu’on jalousait le plus étaient celles dont on admirait le plus le parcours.

Méline Escrihuela

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