#LESBÂTISSEURS Samedi 15 juillet, c’était la fête des « Engraineurs » à Sarcelles, une joyeuse bande d’habitants qui jardinent bio aux pieds des immeubles de la cité des Vignes Blanches. Reportage.

Si vous cherchiez un sandwich merguez à la Block Party « Ici on sème » des « Engraineurs » à la cité des Vignes Blanches de Sarcelles (95), il vous en aurait coûté un dessin pour les petits et « ce que vous pouvez » pour les grands. Ce sera le seul traitement différent entre les générations réunies au square Camille Saint-Saëns. Ici, le jardin collectif autour duquel sont rassemblés les habitants est né dans la tête d’Anne-Claire et Manu, un couple qui vit dans le quartier depuis huit ans. C’est après un voyage en Angleterre qu’ils se sont lancés en créant « Incredible edible » (en français, Les Incroyables Comestibles), un mouvement citoyen d’agriculture urbaine participative. « On s’est dit que ça allait nous permettre de produire un petit peu de légumes bio en bas de chez nous. Et que c’était une activité qui allait créer du lien« , raconte Manu. Ils demandent alors l’autorisation au bailleur, Val d’Oise Habitat, qui non seulement accepte mais en plus finance le projet. Banco !

« Ici, pas d’inscription ! Tu viens, tu es membre, tu participes, tu es membre »

En janvier dernier, Manu commence à installer des palettes pour délimiter le terrain. « J’étais tout seul au début, je galérais. Comme toutes les fenêtres donnent sur le jardin, les gens se posaient des questions, me demandaient ce que je faisais car ils trouvaient ça bizarre. Et spontanément, ils sont venus aider. Ca c’est le premier super souvenir, » se remémore Manu. « Ici, poursuit-il, il n’y a pas d’inscription ! Tu viens, tu es membre, tu manges, tu es membre, tu participes, tu es membre. C’est ça le principe ‘engrainage’ : on engrène les gens à rentrer dans notre délire jardin !« 

« Au jardin, on se rencontre, on se parle », Dieynaba, Sarcelloise depuis 30 ans

Dieynaba, Sarcelloise depuis 30 ans, « Mamie Engraineuse » de la première heure.

Mission accomplie auprès de Dieynaba, qui à 60 ans, vient au jardin dès qu’elle s’occupe de ses petites-filles. « Engraineuse » fidèle au poste, elle n’a même pas encore dégusté ses légumes partagés . »Le jour où on a récolté la salade, je l’ai laissée aux autres car j’en avais à la maison« . Tout sourire, elle raconte les premiers mois du jardin, les premières semences, le terreau déversé… « Aujourd’hui, il y a des pommes de terre, des oignons, des épinards, des salades. Moi, j’habite à Sarcelles depuis 30 ans mais seulement depuis un an ici. Au jardin, on se rencontre, on se parle, mes petites-filles jouent avec les autres enfants. Je suis contente d’avoir cela.« 

Samedi 15 juillet, les « Engraineurs » fêtaient les 6 mois du jardin collectif autour d’un barbecue.

Deux grands pots verts fluo signalent l’entrée du jardin. Ils accueillent un cerisier et un pommier, à quelques mètres de deux autres jeunes arbres : un prunier et un petit olivier. Dans la dizaine de bacs, tomates et navets, choux et courgettes, salades, persil, échalotes, poireaux et radis. Plus loin, des plantes aromatiques, du basilic un peu fatigué, du thym et à côté, un gros trou, car la coriandre a fait des heureux !

L’équipe n’a pas manqué de récolter les graines pour l’année prochaine. Les associations dans les bacs sont parfois anarchistes mais quand on observe les plants de haricots qui grimpent sur les tiges des tournesols, on sait que c’est réfléchi. Tout comme la décision de jardiner dans des bacs, pour les personnes à mobilité réduite, ou pour les personnes âgées, aussi nombreuses que les enfants, qui peuvent prendre une chaise et travailler la terre sans se baisser.

Ici, le jardin collectif des « Engraineurs ».

Une seconde jeunesse pour le square et la cité 

Le jardin des « Engraineurs » a donné une seconde jeunesse au square Saint-Saëns. Autour, un rectangle d’immeubles de quatre étages dont la plupart des stores blancs sont baissés. Chaleur ? Stores défectueux ? Vacances ? Pas pour tous. Samedi, peu avant 18 heures, des enfants dessinent, s’amusent au milieu des bacs, puis vont se rafraîchir au brumisateur à quelques mètres, pendant que les plus grands s’affairent pour la Block party organisée pour fêter les six mois du jardin. Deux femmes enfilent à toute vitesse des morceaux de viande sur des pics à brochette. Parmi elles, Marceline, venue gentiment filer un coup de main. « Hier on a frappé à ma porte pour me dire de passer. De ma fenêtre, je vois les enfants qui jouent, viennent jardiner mais je n’avais pas encore visité« , raconte-t-elle en regardant les bacs avec curiosité.

La monnaie d’échange des enfants pour les sandwichs : des dessins du jardin !

Pendant ce temps-là, d’autres s’affairent au barbecue. Nicolas s’apprête à cuire les dix kilos de merguez prévus pour l’occasion, qui ne seront pas de trop « car les petits sont gourmands« . Depuis 35 ans, il habite ce quartier par intermittence.

Nicolas, chef barbecue des Engraineurs

Il n’était pas de la team hyperactive au jardin mais il file des coups de main et s’y met petit à petit. C’est son épouse qui a finit par le convertir. Elle fait même maintenant pousser des tomates et des salades sur le bord de leur fenêtre. « Vu que ce sont des amis qui ont initié le projet, on se voit plus souvent. C’est cool. Avant il n’y avait que du sable, même pas d’herbe, nous montre-t-il. Les gens jouaient au foot, au tennis, ils faisaient du vélo. Et quand on voulait se faire des petites ambiances, on allait au jardin sur la nationale. Il fallait aller choper les clés, le groupe électrogène. Là, s’il manque un truc on peut monter à la maison et on peut même dérouler des rallonges« .

« Can you dig this » : un film documentaire sur les jardiniers gangsters

Une rallonge pend en effet d’une fenêtre du premier étage. Elle rejoint une tente sous laquelle Jonathan prépare le projection de « Can you dig this » : ce film documentaire réalisé par Delila Vallot et produit par John Legend en 2015, raconte le mouvement de jardinage urbain dans le sud de Los Angeles. « Le thème du film était sûrement le plus parlant par rapport à ce qui se passe ici. Pour nous, le documentaire c’est un super outil d’éducation populaire. On travaille à la fois sur la diffusion de films et sur des ateliers de réalisation dans des lieux assez différents, les lycées, les établissements pénitentiaires. Toujours dans une dynamique de permettre de mieux comprendre comment la société fonctionne, et de mieux imaginer d’autres moyens de fonctionner », explique Jonathan, qui est aussi membre de l’association « Les lucioles du doc ». La tâche n’a pas été simple pour cette première diffusion française, un long travail pour récupérer la copie, les droits, sous-titrer le documentaire. « Maintenant que c’est fait, peut-être que ce film va continuer à être diffusé en France » se réjouit-il.

« Je fais partie du gang des mains vertes« 

Pendant la projection, petits et grands sont tout ouïe, même pas dérangés par les avions en provenance de Roissy, ni-même par le fait que le film est bien en anglais. Devant les quelques rangées de chaises, une bâche accueille les plus jeunes assis en tailleur. Certains font des allers-retours vers la machine à pop-corn puis reviennent écouter ces habitants d’un autre continent qui, comme eux, verdissent leur cité. A quelques kilomètres d’Hollywood, dans leur quartier à la réputation dangereuse, des habitants ont nettoyé les parcelles jonchées d’ordures. Ils racontent que le jardinage permet d’apprendre la patience, la persistance, de comprendre le fonctionnement d’un écosystème et ainsi de voir autrement les choses de la vie. « Et aussi de manger quand on n’a plus d’argent« , raconte une petite Américaine devenue « policière du jardin » et cuisinière de légumes pour son père qui « mange tous les jours du poulet et a des problèmes à ses artères« . A la fin, l’un des jardiniers revient après un passage par la case prison et déclare tout souriant qu’il fait dorénavant partie du gang des mains vertes !

Après la projection, Manu remercie chaleureusement les bénévoles et les invités car « les Engraineurs  » font aussi pousser des liens en dehors de leur quartier. Comme avec l’ »Association de l’autre Champ » qui a lancé une initiative similaire à Villetaneuse (93), pour au-delà du partage de la récolte, « transformer nos lieux de vie et y fédérer des énergies« . D’autres sont venus de Lille, Nantes où de Notre-Dame-des-Landes où les activistes zadistes se sont installés pour protéger les terres désignées il y a 40 ans pour l’accueil d’un nouvel aéroport. La convergence des luttes au pied de l’immeuble !

Rouguyata SALL

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