Le Bondy Blog : L’association Article 1 est née de la fusion en janvier 2018 de deux associations de lutte contre les inégalités sociales, Frateli et Passeport Avenir. Pourquoi cette union ?

Leslie Morvan-Fortier : Frateli et Passeport Avenir se sont associées pour renouer avec la promesse républicaine faite dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.  On ne connaît souvent que la première partie, je cite : “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.  Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune“C’est un point très important sur lequel on a voulu insister en s’associant, et on a voulu agrandir notre ambition ensemble, pour aller plus loin. Aujourd’hui l’ambition que prône Article 1, c’est deux choses : changer les visages de la réussite, c’est-à-dire faire en sorte que tout étudiant puisse à la fois s’orienter et s’insérer professionnellement, indépendamment de ses origines sociales et culturelles. Et dans un second temps, changer la vision de la réussite. Cela veut dire qu’on tient à montrer que la réussite est due à l’entretien de liens sociaux et à l’engagement social.  

On tient à montrer que la réussite est due à l’entretien de liens sociaux et à l’engagement social

Le Bondy Blog : Quels sont les programmes phares de l’association ?

Leslie Morvan-Fortier : Pour répondre à l’ambition qui est de changer les visages de la réussite et la vision de la réussite, nous avons développé trois pôles au sein d’Article 1. Le premier permet aux jeunes issus des milieux populaires de mieux s’orienter : c’est le pôle Orientation, avec notamment le programme « Inspire » qui permet à tout lycéen d’identifier des pistes de formation qui correspondent à ses ambitions et son potentiel sur une plateforme digitale, ou dans des lycées. Pour chacune de ces pistes, il peut échanger avec des éclaireurs (des étudiants). Le deuxième pôle, c’est le programme « Mentorat ». L’objectif est d’accompagner tous les étudiants ayant décroché leur bac et ayant un potentiel académique, à réussir leurs études supérieures sur tout le territoire français. Dans ce programme, on retrouve la dimension binôme, car chaque étudiant est accompagné par un mentor, c’est-à-dire un bénévole professionnel qui l’accompagne sur un cycle d’études. La seconde dimension est collective : d’une part, on a ce qu’on appelle le « Parcours », avec tout un tas d’évènements et de dispositifs pour renforcer l’apport du mentorat individuelDonc le jeune qui entre dans le programme de mentorat a à la fois son mentor et la possibilité de participer à des événements qui ont vocation à l’aider à réussir ses études. Et d’autre part, pour celles et ceux qui veulent aussi s’engager pour une société plus juste et agir ensemble dans leurs environnements respectifs, il y a le collectif « Different Leaders ». On peut l’intégrer quand on est étudiant, mais aussi quand on est déjà dans le monde du travail, pour poursuivre son engagement dans l’esprit d’Article 1, tout en bénéficiant d’un programme de développement de leadership responsable. 

On sait très bien que ce n’est pas la mention qui détermine l’implication dans les études

Le Bondy Blog : Vous dirigez le programme Mentorat. Concrètement, en quoi consiste ce programme ?

Leslie Morvan-Fortier : Avec Mentorat, Article 1 met en relation un jeune avec un mentor qui va l’accompagner dans la réussite de ses études. Le mentor est là en appui pour la réussite des études. Il doit apporter un soutien moral, il apporte de la motivation pour ne pas que le jeune décroche, et pour qu’il soit accompagné, surtout s’il n’a pas les contacts nécessaires dans le secteur qu’il souhaite découvrir. Article 1 met en relation les jeunes et les mentors. Après, la relation doit s’installer entre eux, et le mentor accompagne le jeune comme il le peut. Nous on fait le suivi derrière, on choisit les profils pour la mise en relation. Pour les étudiants en cycle 1 (Prépa, BTS, DUT, Licence), on les met en relation avec quelqu’un qui a fait les mêmes études – c’est hyper important pour s’accrocher. Pour les étudiants en cycle 2 (master), le but est de mettre les jeunes en relation avec un mentor qui exerce dans le secteur qui les intéresse pour travailler la construction du projet professionnel. Ensuite, les « matchings », on les fait un à un. Quand on a validé le profil du jeune, on choisit au mieux le mentor qui correspond à son profil. 

Le Bondy Blog : Comment sont sélectionnés les étudiants qui bénéficient du programme Mentorat ?

Leslie Morvan-Fortier : Pour le programme Mentorat, les jeunes sont sélectionnés sur trois critères : la situation personnelle, le potentiel académique et la motivation. Les étudiants que nous accompagnons sont en général boursiers ou nous expriment un besoin d’accompagnement. S’agissant du potentiel académique, ce sont des jeunes très motivés par les études : soit ils ont eu une mention « bien » ou « très bien » au bac, soit ils ont eu la note de 14/20 sur leur dernière année d’étude. Si les notes ne suivent pas, ils peuvent également présenter une lettre de recommandation d’un professeur qui atteste de leur sérieux pour les études. Parce qu’on sait très bien que ce n’est pas la mention qui détermine l’implication dans les études. 

Le Bondy Blog : Si je vous dis, » Je suis un étudiant lambda issu d’un quartier populaire (ou non), je travaille beaucoup à côté de mes études et mes notes ne suivent pas forcément : elles tournent aux alentours de 10 ou 11 de moyenne »,  comment pourrais-je présenter ma candidature et avoir une chance d’être pris ?

Leslie Morvan-Fortier : Tu peux demander une lettre de recommandation à un professeur pour justifier de ton potentiel académique. Mais il y a également le deuxième critère, qui est le critère de la situation personnelle. On n’accompagne pas tout le monde, par exemple un jeune dont les parents sont cadre dans l’informatique et qui veut devenir cadre dans l’informatique n’a pas forcément besoin d’un mentor. Alors qu’un jeune qui a besoin d’un accompagnement parce qu’il n’a pas l’entourage nécessaire, on peut l’accompagner dans ses études. On ne se pose pas la question de l’échelon trois ou sept [de la bourse sur critères sociaux, ndr], ça ne change rien. Mais la motivation va compter comme troisième critère. Il n’y a pas de profil-type, à part le fait que l’étudiant boursier très bon élève est vraiment la cible. 

Le Bondy Blog : Avec l’association Frateli, il fallait obligatoirement avoir une mention au bac pour intégrer le programme. Qu’est-ce qui a fait changer ce critère chez Article 1 ?

Leslie Morvan-Fortier : Pour harmoniser les deux programmes, on a décidé de prendre en compte la lettre de recommandation, pour ouvrir au plus grand nombre de personnes motivées. L’idée est d’accompagner des jeunes qui ont les capacités et qui se projettent sur des études longues de type Bac + 5. 

Le Bondy Blog : Si le secteur qui intéresse le jeune est très particulier ou rare, comment faites-vous pour trouver le mentor ?

Leslie Morvan-Fortier : Ce qu’on apporte au mentorat, en dehors de la mise en relation, c’est le suivi des binômes. Si un jour il a un problème, il sera toujours accompagné par l’association. J’ai un petit exemple où un mentor a accompagné une jeune depuis le début de ses études. Elle voulait travailler dans l’aéronautique, un milieu très particulier. Normalement, le mentorat se termine quand le jeune termine ses études, mais le mentor l’a accompagnée après ses études car ils ont créé une relation. 

L’idée du mentorat est aussi de conforter les jeunes dans la poursuite de leurs études

Le Bondy Blog : Le mentor a-t-il un programme pré-défini à respecter ?

Leslie Morvan-Fortier : Le mentor, en s’engageant au sein du programme de mentorat, s’engage au sein d’un programme avec des modalités à respecter. Après leur inscription sur le site Internet, chacun des mentors est appelé afin qu’on puisse présenter le programme dans ses détails et valider ensemble sa candidature. Le mentor doit accepter alors les modalités d’inscription, de formation, de matchings, de suivi et d’évaluation. Ensuite, dans le fond, il accompagne simplement le jeune au mieux dans la réussite de ses études. Les mentors n’ont pas les réponses à tout, donc Article 1 propose des programmes et événements en complément. En revanche, le mentor est formé par Article 1. Le mentorat, c’est beaucoup de bon sens, mais cela pose aussi des questions de positionnement, jusqu’où va son rôle etc. Donc on a un programme de formation, en présentiel et digital, proposé à tous les mentors. Dans le cadre de ce programme de formation, on précise bien ce qu’on attend des mentors. On le précise au moment de leur recrutement, c’est la définition du cadre mentoral. Le mentor doit accompagner son associé (l’étudiant) par du soutien méthodologique, sans que ce soit du soutien scolaire. C’est plus de l’organisation dans le travail, sur le projet d’orientation, du soutien moral et une aide à l’insertion professionnelle : aider l’étudiant à rédiger un CV, une lettre de motivation, expliquer ce qu’est un réseau, comment on le mobilise ou le construit, et également lui faire visiter son entreprise. Le mentor n’est pas engagé sur un cycle complet : si au bout d’un premier cycle, les binômes n’ont pas envie de continuer, la relation peut s’arrêter là. Si des jeunes ne sont pas sûrs de faire de longues études, qu’ils n’hésitent pas à candidater, car c’est l’idée du mentorat est aussi de conforter les jeunes dans la poursuite de leurs études.  

Le Bondy Blog : Comment Article 1 est-elle financée ?

Leslie Morvan-Fortier :  On a des financements publics. On est financé par exemple par plusieurs ministères, notamment par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Nous avons également des financemens privés [l’association a par exemple un partenariat avec Dassault, ndr].

Le Bondy Blog : L’union de Frateli et Passeport Avenir a-t-elle aussi eu lieu pour des raisons budgétaires ?

Leslie Morvan-Fortier : Non, pas du tout. De manière transparente, l’idée est d’avoir un projet de plus grande ambition et de pourvoir être l’interlocuteur unique des différents partenaires des projets qu’on pouvait avoir de part et d’autre. C’est plutôt une question de simplification des enjeux partenariaux.

Notre ambition, c’est de changer d’échelle et de réussir à donner plus de visibilité à notre combat pour l’égalité des chances

Le Bondy Blog : Comment parvenez-vous à mobiliser des jeunes de milieux sociaux divers, ceux qui viennent des banlieues populaires par exemple?

Leslie Morvan-Fortier : On fonctionne beaucoup par bouche à oreille, c’est aussi tout l’enjeu de pouvoir communiquer largement pour notre programme. Nous avons également une centaine d’établissements partenaires avec qui nous travaillons, on les choisit car ils sont situés dans des zones rurales ou des quartiers populaires [principalement en Ile-de-France, ndr]. On essaie de développer d’autres partenariats, comme avec le CNOUS [Centre national des œuvres universitaires et scolaires, ndr] pour communiquer auprès des boursiers. 

Le Bondy Blog : Quelles sont vos ambitions pour la suite ?

Leslie Morvan-Fortier : C’est déjà d’accompagner le plus de jeunes possible. Notre ambition, c’est de changer d’échelle. L’objectif est d’accompagner près 200 000 jeunes en 2021 sur tous les programmes de l’association. L’autre ambition est de réussir à donner plus de visibilité à notre combat pour l’égalité des chances, sensibiliser notre écosystème, et l’outiller aussi : on met en place des plateformes digitales qui peuvent être des éléments de réponse aux problématiques sur lesquelles on se penche. Par exemple, on a développé une plateforme qui s’appelle Inspire, pour aider les jeunes à mieux s’orienter, ou Job Ready, pour développer les compétences des jeunes. Et le but est également de sensibiliser non seulement notre écosystème, mais aussi les politiques. 

Propos recueillis par Natalia ODISHARIA

Pour s’inscrire au programme Mentorat, rendez-vous sur le site web de l’association Article 1 :  https://article-1.eu/engagez-vous/  

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