Après des semaines d’incertitude sur son avenir, l’enseigne Tati, placée en redressement judiciaire, est finalement reprise par le groupe Gifi. 1 428 emplois sont ainsi sauvés sur les 1 700. Cette actualité a replongé les reporters du Bondy Blog dans leurs souvenirs d’enfance : ceux des longs moments passés dans les rayons de l’enseigne populaire.

« Pour ma famille et la mariée, la robe Tati c’était comme la pièce du dernier couturier en vogue »

Tati, ou devrais-je même dire… tata. Presqu’un membre de la famille, ce magasin m’a bercée et ouvert les portes de son intimité depuis mon plus jeune âge. Celui qui m’a permis de voir Paris pour la première fois, moi petite banlieusarde, en compagnie de ma mère qui faisait le guide. Celle-ci avait pour habitude d’aller là-bas pour dénicher les meilleures affaires surtout pendant la période estivale, avant le fameux retour au pays. La terre natale a profité de bien des collections de chez Tati. Le souvenir qui se dessine dans mon esprit, c’est quand il a fallu y aller pour préparer le mariage d’une fille de la famille en Algérie. Comme cadeau, ma mère lui avait offert sa robe de mariée et ses accessoires. Ainsi deux mois durant, Tati était devenu le QG de ses préparatifs. « Ferial… on va chez Tati mariage« , me balançait ma mère. Arrivée a destination, boulevard de Rochechouart, pas besoin de demander son chemin, Tati est présente sur les premières devantures du quartier, comme si l’enseigne était la tenante des lieux. Une entrée sobre, pas vraiment de déco, de grosses écritures et un monde à s’en perdre. Ma mère et moi tentions de nous frayer chemin entre les ventes flash, les rayons chaussures et les babioles en tout genre. Mais après quelque pas, enfin on y est ! Le grand rayon des robes de mariées est face à nous. La recherche commence, la galère aussi ! Trop simple, pas assez grande, blanc cassé et non pas blanc… ma mère était à la recherche de la perle rare, et moi j’étais la subordonnée. Donner mon avis, prendre en compte les directives… c’était mon rôle. Puis la concurrence était rude : ma mère n’était pas la seule à chercher une robe et encore moins à rentrer au pays ! Il fallait donc être efficace et rapide. Une fois trouvée, il fallait maintenant s’attaquer aux chaussures et aux accessoires. Tati avait plus d’un tour dans son sac et a su séduire ma mère comme il se devait. Comme sortant d’un marathon, épuisées par ces journées de recherche, la robe et les accessoires une fois achetés et emballés prenaient des airs de trophées dans nos mains. Ces présents furent source de joie inégalée au village. Ma famille et la mariée voyaient cette robe Tati comme la pièce du dernier couturier en vogue, alors que ce n’était qu’une pacotille bien trouvée. Pour Tati c’était encore une fois un triomphe, et ce même en dehors de ses frontières !

Ferial LATRECHE, 22 ans

« Tati faisait partie intégrante de la culture des quartiers »

Je les fréquente depuis toujours, ces petits carreaux blancs et rayés sur fond rose. Avant même de les avoir associé l’un à l’autre, « Tati », c’était une vanne balancée par un gamin pauvre à un autre gamin pour le traiter… de pauvre.  A l’époque, les stars de mon collège portaient des survêt’ Lacoste aux couleurs vives : vestes et pantalons vert crocodile, bordeaux, bleu électrique ou jaune canari… Ils les portaient comme un homme d’affaire porte un costume trois pièces. C’était le début des années 2000 dans le 20e arrondissement de Paris. La casquette et les baskets de marque faisaient office de Rolex et de cravate. Tous ces habits étaient hors de prix. J’ai toujours imputé cette attitude au désir d’ostentation que faisait naître l’argent facile dans les poches de ceux qui en manquaient. Dans ce contexte, un « Hé, ton sac tu l’as acheté à Tati ou quoi ! » envoyé dans la cour de récré un matin de rentrée pouvait provoquer l’hilarité générale. Plus qu’il ne désignait une marque, le mot « Tati » traduisait un concept : la mauvaise qualité moyennant un prix abordable pour tous. Il faisait partie intégrante de la culture des quartiers. Le rappeur Koma chantait : « Mon pote c’est parti, pas d’rimes à bas prix. Même si Scred connexion c’est l’groupe qui habite à côté de Tati », en référence à son quartier, Barbès, le quartier le plus pauvre de Paris et à son Tati légendaire affichant « les plus bas prix ».

Alban ELKAÏM, 30 ans

« Tati, c’était un peu le magasin de ceux qui n’avaient pas des millions, mais qui y trouvaient toujours un truc à acheter »

Quand j’entends Tati, j’ai immédiatement une pensée pour ma grand-mère. C’est la seule avec qui je suis allée dans l’enseigne de Barbès, boulevard Rochechouart. A l’époque, j’étais encore scolarisée en primaire et j’adorais prendre le métro avec elle le mercredi après-midi, pour me rendre dans ce grand magasin que je voyais un peu comme la caverne d’Ali Baba du haut de ma petite taille. Et s’il y a bien une chose que je retiens de Tati, ce sont ses grands cabas à carreaux rouge ou bleu. Vous savez, ces sacs en toile-plastique qui ont fait le tour du monde jusqu’à arriver éventrés sur le tapis de bagages de l’aéroport mais qu’on refusait de jeter. En général, on optait pour le gros scotch marron et la ficelle. On en achetait constamment surtout avant que ma grand-mère ne parte au bled, en Algérie. Ces sacs Tati, c’était un peu le « must have » des immigrés de retour au pays avec plein de cadeaux à l’intérieur. Ces mêmes immigrés qui n’oublient pas de rentrer avec, même lorsqu’ils sont vides. Tati, c’était un peu le repère des gens comme nous, ceux venant d’Afrique ou des pays européens voisins. Tati, c’était un peu le magasin de ceux qui n’avaient pas des millions, mais qui y trouvaient toujours un truc à acheter. J’y suis retournée une fois depuis les années 90, c’était fin 2016. Et ce n’était plus le Tati que j’ai connu. Les prix et produits n’étaient plus les mêmes, la clientèle non plus. Aujourd’hui Tati, je préfère le regarder depuis ma rame de la ligne 2, en pensant simplement aux souvenirs de mon enfance.

Inès EL LABOUDY, 27 ans

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