Mot en vogue à l’image du « hipster » ou « du geek », la « Beurette » reflète l’évolution d’une société friande de néologisme. Ce mot n’est pas vraiment nouveau. On retrouve son utilisation en 1983, pendant la Marche pour l’égalité et contre le racisme : le quart de la cinquantaine de marcheurs était des marcheuses. En 2007, ce mot a fait une irruption particulière lors de la campagne présidentielle, lorsque le FN a choisi de représenter une demoiselle typé maghrébine-métisse dans une affiche électorale. Le célèbre : « ils ont tout cassé ! » a surpris beaucoup d’observateurs et dérangé jusqu’en interne dans le cercle resserré du clan Le Pen.
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En 1995, et comme un signe annociateur, l’un des tous premiers personnages de femme d’origine maghrébine au cinéma monochromique français de l’époque était interprété par l’ancienne actrice porno Tabatha Cash dans le célèbre Raï, de Thomas Gilou. Ironie d’un destin qui place aujourd’hui le terme beurette à des années-lumières de sa version masculine dans sa connotation. Entre thème pornographique et tue-l’amour moderne, ce mot est devenu une appellation sulfureuse, une réduction misogyne, une insulte qui s’entend, se lit de plus en plus sur Facebook par l’intermédiaire de groupes et sur Twitter dans des hashtags improbables qui font très souvent des tops tweets France.

La beurette est la mise à jour d’une nouvelle mais misérable Bovary. Elle oublie son raffinement d’antan pour épouser un style surfait, conforme à un monde sans saveur, où l’homme et la femme se séduisent virtuellement. Les frustrations des uns, se mêlent aux pudeurs plus ou moins traditionnelles des autres. On s’offusque de l’amour, la génération Raï’n’b ne sait plus quand il faut changer de chaîne pour ne pas être honteuse vis-à-vis des parents. On réduit tout à un mot, comme on réduit la séduction à un prétexte pour qualifier l’homme de canard, et la femme d’objet de désir inaccessible. La victimisation sentimentale est mutuelle, partout on cherche les boucs émissaires de nos échecs à l’eau de rose, et sans aller trop loin, nous nous retrouvons face à des beurettes, prisonnières du harem de Delacroix.

Pas de combats sans mots, mais certains mots sont à combattre. Ils dégagent quelque chose de pénible, de stigmatisant. La racaille, ce caïd immature qui aime le foot, les voitures et la bagarre, doit obligatoirement serrer une beurette. On percute trop facilement les esprits d’images. La fantasmagorie orientale n’est plus celle des artistes mais des artisans du mauvais goût, la femme française d’origine maghrébine se coltine un fardeau lexical, on la soupçonne d’être une beurette, nouvelle insulte d’origine contrôlée.

Prononcer le mot « beurette »  est un acte très aisé que j’ai réalisé. Pardonnez les limites de mon esprit habité parfois par le mépris gratuit des femmes puériles, matérialistes, superficielles, inintéressantes, insupportables michetonneuses de bars à chichas. Selon la légende, elles se sentent mieux dans leurs Louboutins en sortant du salon de bronzage, la peau assortie à un cerveau d’orange. Mais après le mépris humain, la réflexion simple est nécessaire. Et si cette rapide analyse était erronée ? Et si la beurette n’existait pas et qu’elle ne régnait que dans nos petits cerveaux de frustrés ? Il faut aussi aborder quelques exemples qui expliquent cette généralisation.

La télé-réalité a « sali la feuille » comme on dit dans mon quartier. Le phénomène Nabilla a matérialisé cet imaginaire biaisé par les codes faciles de la bimbo orientale à la légèreté excessive. Certains rappeurs français de premier plan ont aussi joué le jeu de cette imagerie, aux travers de quelques punchlines : « le beurre, l’argent du beurre, et le cul de la beurette » de Rohff par exemple. Le clou a été récemment enfoncé par El Matador avec l’inaudible et opportuniste morceau « Les beurettes aiment ». Quand t’entends ce morceau, il y a malaise qui va avec.

La légende dit que le phénomène est générationnel et que le problème vient de celles qui jouent le jeu du cliché. Ce n’est pas l’Insee qui le dit, la légende raconte que les beurettes existent vraiment et qu’elles portent aussi la responsabilité de la mauvaise image d’une communauté. Mais Ipsos et la légende ne nous poussent pas à savoir si cette appellation est un boulet pour la personne qui correspond aux critères que j’ai rudement énoncés.

Ce mot est un bracelet électronique, une peine aménagée qui nous concerne tous et qui nous rappelle que le progrès passe par la symbolique. Celle de la beurette est un recul. Sans chercher à faire le féministe de parking, je m’interroge sur cette histoire, en essayant d’établir l’autopsie d’un mort-né lexical.

La France baigne dans une fascination historique et artistique pour l’orientalisme. L’exotisme d’une littérature et de certaines peintures françaises du 19e siècle contraste avec l’incarnation vulgaire et sans relief de cette beurette, triste odalisque.

Saïd Harbaoui

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