Nous sommes devenus des réactions. Nous nous agaçons à l’infini. Nous montrons notre « mécontentement ». Nous ne sommes « pas contents ». Nous réagissons pour ne pas mourir quand on nous dit qu’on sur-réagit. Nous pourrions passer tout notre temps à dire « non ». A ne pas être d’accord. A gueuler contre un projet de loi, une déclaration fumeuse d’un élu de seconde zone, d’un intellectuel à l’aube de la mort. Nous dirons qu’ils sont « l’écume ». Nous finirons par nous lasser d’être « contre ». D’écrire pour dire que « cette phrase est malheureuse » ou que « cette pensée est indigne ». Peu à peu, nos énergies se consument. Nos réactions prennent trop de places dans nos vies. Il faut désormais choisir entre « réagir » et « ne plus réagir ».
Si on réagit, au rythme où s’enchaînent les horreurs, on prend le risque de ne plus être écouté. On devient alors une « réaction officielle » qu’on attend, qu’on entend et qu’on oublie aussitôt jusqu’à la prochaine. Si on ne réagit pas, on se demandera si on fait bien de fermer sa gueule quand la honte ne les fait pas taire. Et puis un jour, on n’arrivera plus à se contenir. Quand une ministre française parlera des femmes voilées en ces termes : « Bien sûr qu’il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres américains qui étaient pour l’esclavage ».
Certes, Twitter se soulève : les tweets pleuvent, une pétition compte déjà plus de 30 000 signatures pour demander « la démission de Laurence Rossignol ». Certes, quelques tribunes ont été publiées et remarquées -remarquables, notamment celle de Mehdi Thomas Allal dans Libération : « Outre que l’affirmation est choquante, elle est complètement irrationnelle, puisqu’elle compare une façon de se vêtir à un système d’exploitation qui a fleuri dès le XVIe siècle et saigné l’Afrique pendant des décennies ». A part ça, pas grand chose. La rue n’a pas bronché. Les JT n’ont rien dit. Il fallait accepter cette phrase comme toutes les autres. Se dire qu’une ministre « socialiste » avait le « droit ». Qu’il n’y a rien « rien de choquant » là-dedans.
Peut être a-t-on déjà trop réagi avant, pour qu’on nous écoute aujourd’hui. Peut être que nos réactions ne valent plus rien. D’ailleurs, peut être qu’elles n’ont jamais vraiment compté. Ou peut être que nos réactions meurent aussitôt qu’elles existent -écrites, publiées, oubliées. Dans une époque où les informations se tuent les unes après les autres, sans doute y-a-t-il autant de réactions qui se succèdent sans aucune portée. Nous vivons aussi bien dans un monde saturé de « news » que d’indignation. Nous-mêmes n’arrivons plus à faire la part des choses : A quoi faut-il réagir ? Une réaction est-elle forcement « l’indignation » ? Ne pas réagir est-ce une forme de soumission ?
Dans ces moments là, se surprendre soi-même de la rage qui vit en soi, qui se déploie comme un feu de camp maladroit, paré pour tout brûler sans pitié. Dernièrement, Manuel Valls, premier ministre chéri de lui-même et quelques sombres adorateurs, a dit : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille ». C’est comme ça et pas autrement ! Par ses mots, Manuel Valls venait de tuer la Pensée telle qu’on nous l’avait brièvement appris à l’école. L’idée qu’on n’est pas tous d’accord, mais qu’on peut s’écouter, s’opposer : réagir. Parce que nos réactions appartiennent à nos sentiments. Il nous faut réagir quand on entend les propos de Laurence Rossignol. Ou quand, la même semaine, on voit la police battre les lycéens comme s’ils étaient devenus des ennemis de guerre. Quand encore, on tombe sur le dessin islamophobe de Plantu sur Twitter, le 30 mars dernier. Comment réagir quand autant de choses s’abattent d’un coup ?
Le visage de Laurence Rossignol quand elle dit « nègre », sa façon de dire ce mot comme une évidence. Rien ne lui semble compromettant dans ses propos. Tout est normal. De toute manière, quoi qu’elle dise, elle n’aura pas à s’expliquer puisque d’après le même Valls : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». Quand il dit ça, il parlait du djihadisme, en fermant la porte à la sociologie. Pour lui, le djihadisme = l’horreur = l’horreur ne s’explique pas = s’expliquer, c’est s’excuser. Dans sa bouche, cette phrase vaut pour bien plus que pour les attentats, elle vaut pour tout. On comprend par là que Valls n’aime pas être « encombré par la Pensée ». Quand il a décidé quelque chose, il estime que c’est la bonne décision, peu importe ses opposants qui pourront crier plus fort que lui, il ne les écoutera pas. Le débat sur la déchéance de nationalité n’est-il pas la preuve qu’il commet une erreur de penser comme cela ?
Quand on a dit ça, on a presque rien dit du cas Rossignol. Elle aurait pu s’abstenir de se réveiller ce matin-là et rester la ministre des droits des femmes anonyme qu’elle était jusqu’ici -qu’a-t-elle fait pour les Droits ? A-t-elle fait avancer une cause ? Par cette déclaration, elle insulte, elle méprise. Que sait-elle du quotidien des femmes voilées ? A-t-elle discuté avec certaines d’entre elles et entendu la difficulté de vivre avec un voile en France avant de les comparer à des « nègres américains qui étaient pour l’esclavage »?
Les femmes musulmanes qui portent le voile sont-elles forcément soumises à leurs maris musulmans -donc violents- comme elle veut nous le faire croire ? Sa déclaration est une nouvelle infamie pour ce gouvernement « socialiste ». Après le ministre du Budget chargé de traquer la fraude fiscale qui avait lui même un compte caché en Suisse et à Singapour, Francois Hollande nous gâte un peu plus : il y a désormais la ministre des Droits des femmes qui insulte des femmes. Une honteuse déclaration qui semble déjà passée. Et les réactions avec.
Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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