Vous en avez rêvé mais vos petits doigts qui tapotent sur votre téléphone, votre tablette ou votre ordi, c’est plus fort que tout ? Alors pour vous, Latifa Oulkhouir a essayé une semaine sans internet. On y arrive mais à quel prix ! 

En m’envolant pour le très désertique et très rural sud-est du Maroc, j’ai cru avoir une idée de génie : ne pas me connecter à Internet pendant une semaine. Comme on mange un dernier carré de chocolat, j’ai envoyé un dernier Snap depuis l’aéroport, j’ai lu des tweets drôles (donc les miens), j’ai regardé les mains d’une dame faire un cheesecake en moins de deux minutes sur Facebook, j’ai liké deux posts Instagram avec de la nourriture dedans (oui encore), j’ai fait une recherche « accident avion orage » car le ciel était couvert puis il était temps de décoller.

Le poulet de la Royal Air Maroc aurait pu être meilleur, considérant la qualité et la réputation de la gastronomie marocaine, mais cela n’a pas empêché l’avion d’atterrir convenablement à Casablanca. Deux heures d’escale et en arrivant dans la salle d’embarquement, le premier réflexe est d’activer le wifi. Le code ne marchait pas et ce n’est qu’à ce moment-là que je me suis souvenue que j’étais en cure. Deux heures à tuer, je me suis rappelée que quelqu’un m’avait parlé des vertus de la « contemplation » (comprendre : ne rien faire). Alors, j’ai préféré me rabattre sur le numéro de « Psychologie positive » acheté dans un moment d’égarement à Orly. A l’intérieur, un test pour savoir si oui ou non, votre vie est épanouissante. Le test étant trop compliqué (il fallait faire des additions puis des divisions) j’ai très vite identifié ce qu’il aurait fallu à ma vie pour qu’elle soit plus épanouissante à ce moment-là : une viande de poulet plus tendre et avec un peu plus de ras-el-hanout et un code wifi qui fonctionne. Me rappelant que qui dort dîne (il y a d’ailleurs un excellent album de Garfield qui a ce proverbe pour titre, je le conseille), j’ai fait une petite sieste jusqu’à ce que le vent chaud du grand sud vienne me fouetter le filet de bave.

Jour 1

Tout se passe bien. L’iPhone dort dans le tiroir de la table de chevet. Je découvre que les petits cousins ont grandi et que d’autres sont apparus. Une seule chose que, naïvement, je n’avais pas anticipée : tout le monde ici se promène avec son téléphone à la main, ne jure que par Whatsapp et maugrée contre le rachat de Méditel par Orange car les recharges sont, parait-il, plus difficiles à enregistrer. J’ai moi-même échoué par deux fois à recharger le téléphone de ma cousine avant de terminer par un « mais puisque je te dis que c’est parce que je suis en cure ! ». Le village compte autant de téléphones que d’enfants en bas âge. Je me sens comme une camée qui essaie de décrocher en plein Woodstock.

Jour 2

L’iPhone n’est plus dans le tiroir mais sur la table de chevet. Je ne l’emmène pas avec moi mais quand je rentre, je me fais des petits suspenses. Combien de temps vais-je tenir dans la même pièce que lui sans le toucher ? Je me sens comme une bonne sœur en face d’un Michael Fassbender consentant ou dans une épreuve de Fort Boyard, les plus décisives, celles de la fin, contre les maîtres du temps. Et je m’imagine que quand Felindra active la tête de tigre, je gagne plein de gigas, une flopée de câbles ethernet avec lesquels je me fouette le dos et que plein de pouces, de cœurs et de smileys tombent du ciel.

Jours 3-4-5

Je m’imagine ce que doit être Twitter dans l’attente et à l’annonce du nouveau gouvernement. On me dit que le nouveau premier ministre s’appelle Edouard Martin (et dans ma tête Edouard Martin a la tête de Xavier Mathieu). Je sursaute, Emmanuel Macron aurait choisi un ancien syndicaliste ou est-il seulement devenu un monomaniaque des lettres EM ? Dans la foulée on m’annonce que la première visite de notre président sera chez Angela « Makrel ». On en profite pour me demander si le nouveau président va laisser les musulmans construire des mosquées et si le désormais secrétaire d’état franco-marocain, Mounir Mahjoubi, est marié. Le soir, je me pose devant le journal télévisé de la chaîne nationale histoire de remettre tout ça dans le bon ordre. Mon iPhone a toujours soif de connexion. Il est arrivé sous mon oreiller.

Jour 6

Je bloque devant les réglages du téléphone. Vous savez ceux qui permettent d’activer les données à l’étranger vous donnant accès à Internet depuis n’importe quel endroit en échange d’une facture avec plein de zéros avant la virgule au moment du retour en France. Je me souviens de la promesse que je me suis faite : mes doigts tremblent comme ceux de Christiane F. dans le livre. Je remets le téléphone dans le tiroir, dans ma tête, j’entends des hourras, entrecoupés, tout de même, par le braiment de l’âne de la voisine.

Jours 7-8

L’heure est proche. Pour rapprocher encore plus l’heure, je pars pour l’aéroport très tôt. En arrivant, je découvre que l’horaire du vol a été avancé et que je suis à deux doigts de rater mon avion. Dans mon berbère le plus hautain, j’exprime mon mécontentement au comptoir d’enregistrement. « Mais Madame, vous n’avez pas Internet ? On vous a prévenu du changement d’horaire ! Vous ne consultez pas vos mails ou quoi ? »

Latifa OULKHOUIR

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