Depuis dimanche 15 octobre, les incendies au Portugal ont fait à ce jour 41 victimes. Les moyens manquent pour faire face aux 700 départs de feux de forêt enregistrés et le gouvernement est pointé du doigt. Notre reporter Sabrina Alves, franco-portugaise, s’interroge : où est la solidarité de la France ?

Chaque année, je vis toujours le même cauchemar : je vois mon deuxième pays, le Portugal, brûler. Lorsque j’étais enfant, j’essayais de me convaincre que tout finirait par bien se finir, que quoiqu’il se passe, on parviendrait toujours à sauver la situation. Mon insouciance, sans doute. Du haut de ma vingtaine, aujourd’hui, la réalité est bien plus dure. On peut même dire, la misère. Depuis ce mardi, le pays observe un deuil national de trois jours en mémoire aux victimes des feux de forêt.

Les pompiers au Portugal sont majoritairement des volontaires. Pendant les périodes de sécheresse, ils sont complètement saturés et en sous-effectif. La plupart du temps, les habitants viennent prêter main forte avec les moyens du bord : seaux d’eau, tuyaux d’arrosage ou encore branches d’arbres… Une année, la situation s’était tellement aggravée que les pompiers de Lisbonne étaient venus jusqu’à chez moi. Nous habitons à deux heures de Porto environ. C’est comme si je vous disais d’appeler les pompiers de Paris pour venir éteindre un feu en plein centre de Lyon.

La polémique enfle. Le gouvernement est pointé du doigt : par les habitants, par l’opposition aussi, de ne pas avoir anticipé, de ne pas mettre les moyens suffisants, de ne pas avoir appris des leçons des incendies de juin 2017 où déjà 64 personnes avaient péri en raison des feux de forêt.

« Comme si on allait m’arracher les plus belles choses de la vie »

Aujourd’hui, des vies en cendres et un décor apocalyptique hantent mon esprit. J’aurais pu tout perdre ce dimanche 15 octobre. Les flammes dansaient dangereusement dans la ville de Melgaço, au nord du Portugal. Elles suivaient les villages à la trace, dont celui de mes grands-parents, Cavaleiro Alvo à quelques minutes à peine en voiture de Melgaço. Le feu a quasiment tout neutralisé sur son passage. Il encerclait les maisons. L’état de catastrophe publique a été décrété.

Prendre des nouvelles devenait difficile, puisque les lignes téléphoniques ont brûlé. Tout s’est fait par téléphone portable ou via les réseaux sociaux. Face au désespoir de ma famille à plus de 1 500 km de distance, je me sentais complètement impuissante et sous le choc. Aux dernières nouvelles, le feu était bien trop près des maisons. Derrière la bâtisse de ma grande tante, un arbre venait de s’effondrer à cause du feu. Mon cœur battait très vite, je ne voulais pas perdre ma famille, ni la maison de mes grands-parents. C’était comme si on allait m’arracher les plus belles choses de la vie.

Depuis dimanche, 41 personnes ont péri dans les flammes au Portugal

Heureusement, le travail mené par les pompiers a été remarquable. Ma tante m’apprend que le feu a été détourné des maisons et qu’il s’aventure à présent à plusieurs kilomètres dans la forêt. La pluie est arrivée, soulageant la situation. Malgré ces bonnes nouvelles, les battements de mon cœur ne se sont pas stabilisés avant d’avoir eu ma grand-mère au téléphone : « Tout va bien. Grâce aux pompiers, les maisons sont intactes. On a eu très peur, mais tout est fini. Il a enfin commencé à pleuvoir. Ne t’inquiète pas ». Comment ne pas s’inquiéter…

Même si ce cauchemar est fini -pour combien de temps de répit jusqu’aux prochains incendies – je ne peux m’empêcher de penser aux personnes qui n’ont pas eu cette chance. En effet, plus de 300 incendies ont eu lieu le même jour touchant près de la moitié du pays. Le bilan actuel s’élève à 41 victimes au Portugal, 71 blessés dont 14 dans un état grave et les dégâts matériels sont considérables. Au total, 350 000 hectares de végétation ont brûlé, un record depuis 2003. Je ne peux cesser de penser aux familles des victimes et à tous ces paysages réduits en cendres. La douleur est trop forte. Comment peut-on laisser mourir le pays de cette façon ?

Où est le soutien des pays européens, de la France ?

Vu le nombre d’incendies qui ont lieu chaque année dans le pays, mon père évoque souvent cette idée très répandue au Portugal : le mythe du criminel. Mon grand-père m’expliquait cet été que les mairies ne menaient pas à fond leur politique de prévention. « Le débroussaillage des végétations très inflammables comme les conifères et l’eucalyptus très utilisé pour l’industrie du papier, est mal fait ». Tout ce que je sais, c’est que face à ces fréquents incendies de forêt, il manque clairement les moyens et aucune politique de prévention n’est réellement mise en place. Je me souviens avoir entendu au journal télévisé, aux dernières vacances d’été, que le système de gestion des opérations en cas d’incendie n’a pas été revisité depuis quelques années.

Du côté de l’Union européenne, à ce jour, seule l’Italie a fourni un soutien en envoyant deux avions bombardiers d’eau. Réalité plutôt embarrassante quand on sait que de plus en plus de célébrités et de retraités européens, dont des Français, viennent s’installer au Portugal pour bénéficier d’une vie sans impôts pendant dix ans et d’une bonne qualité de vie. La dolce vita pour certains. À ce jour, la France n’a déployé aucune aide. Pire, aucun mot de solidarité n’a été exprimé par les autorités françaises à l’égard du pays ami. Ni les comptes Twitter et Facebook de l’ambassade de France au Portugal ni son site internet ne font état de la catastrophe que vit le pays. Les dernières publications annoncent des conférences et des projections de films. Déconnexion indécente, immense tristesse et incompréhension pour la Franco-portugaise que je suis.

Sabrina ALVES

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