Au coup de sifflet final, la France n’est plus qu’un cri de joie !

Une foule tricolore inonde les rues. Klaxons rythmés, pétards, grondements de deux roues résonnent dans tout Paris, mais rien ne parvient à couvrir la liesse populaire. Pour la deuxième fois de son histoire, la France est sacrée championne du monde de football. Et dans cette parenthèse de bonheur collectif exaltent particulièrement ceux qui – comme moi – n’ont pas vécu la première fois.

« Caïds de banlieue hier », héros aujourd’hui

En 1998, je n’avais que deux ans. Je n’ai vécue l’épopée des Bleus d’Aimé Jacquet qu’à travers les récits d’autres. Il aura fallu attendre vingt ans pour vivre un moment comparable. Vingt ans c’est long, cela laisse le temps à beaucoup de choses de changer. Le mythe de la France « Black Blanc Beur » a été successivement enterré par le 21 avril 2002, les émeutes de 2005 ou plus récemment les attaques terroristes sur le territoire national. Jusqu’à récemment, les joueurs de l’Équipe de France cristallisaient encore les crispations identitaires d’une partie de l’opinion publique : héros d’hier, ils n’étaient plus que des « caïds de banlieue » refusant de chanter la Marseillaise, parfois même accusés d’être davantage à l’image d’une équipe africaine qu’à celle de la France.

Mais contre toute attente, en renouvelant la sélection et sa communication officielle, Didier Deschamps est parvenu à regagner l’adhésion populaire. L’Euro 2016 a consacré une nouvelle équipe, plus jeune et plus lisse. La sympathie de ces talents, pour certains encore inconnus du grand public il y a quelques mois, les a transformés en favoris des Français. Ce dimanche soir, c’est elle qui a offert la victoire à des millions de supporters, et à nous notre « 2018 ».

La banlieue appréciée à sa juste valeur

Or, dans le contexte actuel, cette célébration est particulièrement libératrice. C’est un plaisir rare de voir la France célébrer sa sélection pour ce qu’elle est, c’est à dire un bloc soudé de jeunes issus de milieux divers, notamment populaires. Née en Seine-Saint-Denis, cette jeunesse banlieusarde, je le connais. Elle est plus habituée à inspirer la méfiance que la gratitude, abonnée aux représentations médiatiques négatives et souvent fantasmées.

Dans la première victoire des Bleus, on a maladroitement voulu voir le signe de l’intégration réussie des jeunes issus de l’immigration. Comme si cela restait jusqu’alors à prouver

Pourtant, cette banlieue a déjà produit des héros qui ont rarement autant fait l’unanimité. La voilà appréciée à sa juste valeur, la gloire à sa portée, même le temps d’un instant. La comparaison avec l’illusion d’unité éphémère de 1998 est compréhensible. Mais dans la première victoire des Bleus, on a maladroitement voulu voir le signe de l’intégration réussie des jeunes issus de l’immigration. Comme si cela restait jusqu’alors à prouver.

Des Français à part entière, une jeunesse plurielle

En 2018, la question devrait être obsolète : cette victoire n’affirme plus une quelconque intégration, elle consacre plutôt des Français à part entière et à travers eux, une jeunesse plurielle qui n’a de compte à rendre à personne. C’est un pied de nez à ceux qui s’obstinent à nier son appartenance au peuple. Ceux qui matérialisent en elles leurs fantasmes rances, qui l’essentialisent en la renvoyant à ses origines, comme si elle était condamnée à constituer une catégorie de Français à part. Que ceux-là soient rattrapés par la réalité : « Je veux incarner la France », disait Kylian Mbappé le 13 juillet dernier. La France, ces derniers temps, a rarement été mieux incarnée.

Si le football a une portée symbolique, ce n’est évidemment pas lui qui réglera les problèmes à adresser dans notre pays. Ce 15 juillet ne signifie pas la victoire d’un quelconque modèle social français. Il ne soulagera pas la précarité en France, il n’effacera pas le mal-être qui règne dans certaines quartiers de banlieue. De plus, les lendemains de la victoire de 1998 nous l’ont montré, les moments de communion nationale sont généralement éphémères.

Les Bleus champions, dose de bonheur collectif

Bientôt la célébration sera noyée sous le retour des controverses habituelles. Mais il ne faut pas pour autant s’en priver. Pour la société française, divisée par des années de polémiques identitaires et toujours meurtrie par le souvenir des attentats terroristes, ces moments représentent une bouffée d’air frais rare. Une dose de bonheur collectif dans la morosité ambiante, qu’il faut savoir apprécier.

Que ce « 2018 » serve également d’exemple. À travers sa convergence inespérée, le peuple a montré qu’il était capable de faire abstraction de ce qui le divise pour célébrer ensemble sa nouvelle génération. Si le geste est positif, cette consécration est malheureusement un symbole qui ne devrait plus en être un. Ce n’est pas le rôle de vingt-trois joueurs de football que de porter la responsabilité d’un modèle social. Cette identité plurielle ne devient pas soudainement légitime parce que ses représentants désignés remportent des compétitions ou fondent des start-ups. Ne répétons pas les erreurs du passé et sachons plutôt apprécier l’image de la France diverse en tout temps simplement parce qu’elle reflète la réalité de notre pays.

Inès MHEDHBI

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