Il est 2 heures du matin, boulevard Magenta, Paris 10e. Après avoir bien profité avec des amis de la « Nuit Blanche » organisée depuis sept ans dans la capitale au mois d’octobre, je rentre à Bobigny avec l’un d’eux. Les autres préfèrent finir la nuit en boîte. Pas trop mon trip… Le métro, ligne 5, à cette heure-ci, il n’y en a plus, alors qu’il fonctionne sur les lignes 10 et 14. Le taxi est donc la seule option, à l’exception de la marche à pied qui nous ferait arriver chez nous à 5 heures du mat’.

Mon ami se met au bord de la route pour arrêter un taxi. Un, deux, cinq, trente passent sans s’arrêter. Certains d’entre eux pourtant, s’arrêtent 50 mètres plus loin pour prendre d’autres clients, alors que pas plus que nous, il ne se trouvent à une station de taxis. Mais eux sont blancs (comme moi d’ailleurs), alors que mon ami est black. Pas comme ce groupe de jeunes femmes blanches qu’un taxi se fait un plaisir de prendre à son bord. Ce petit manège durera près de 3 heures ! En changeant de rue toutes les demi-heures. Du coup, retour au point de départ, à hauteur de la station République. Il est 5h20 du matin… Mes pieds sont gelés et crispés dans mes talons par le froid, ma petite robe ne me réchauffe guère, encore moins le châle dans lequel je m’enroule…

Miracle ! Un taxi nous voit et fait signe à mon ami de venir. Il y va pendant que j’annonce à mon frère que j’ai peut-être un taxi. Cela fait près de 30 minutes qu’il me supporte au téléphone alors qu’il est avec sa petite amie. Ça y est, on peut enfin monter dans un taxi. Vous n’imaginez pas le bonheur que ça a été pour moi que de m’asseoir au chaud. Le chauffeur, un jeune Black d’environ 25 ans, nous dit :

« Punaise ! Depuis quelle heure vous attendez un taxi ? – Depuis 2 heures du mat… – J’ai eu le temps de faire six courses avec des clients et à chaque fois que je passais par le boulevard, je vous voyais, raconte le taximan. Malheureusement, j’étais déjà occupé, autrement je me serais arrêté. Mais en toute honnêteté, si là, je suis venu vous prendre c’est parce que ta place, jeune homme, je l’ai eue avant. Eh oui ! T’es jeune, black, les taxis ils ont peur des Noirs, surtout à cette heure aussi tardive ! T’aurais dû envoyer la minette et te mettre en retrait : avec sa robe et ses talons, ils se seraient sûrement arrêtés. Mais en te voyant, ils se disent directement que tu vas en banlieue et qui dit banlieue dit racaille ! »

« (Moi) Tu ne penses pas que tu stigmatises votre couleur de peau, là ?! – Non, autrement je ne me serais pas permis de le dire mais c’est ce qui se raconte en centrale. Je n’invente rien, j’ai parlé avec des collègues et ils m’ont clairement dit que malgré tout le respect qu’ils avaient pour moi, ils ne s’arrêteraient jamais pour un jeune Noir. Ils en ont carrément peur, à croire qu’ont est des bêtes ! Mais bon, que veux-tu… »

En écoutant ces explications, je me suis demandé ce que mon ami ressentait : « Pour moi, dit-il, c’est du racisme, sous prétexte que je suis noir je ne peux pas être pris par un taxi comme tout le monde… Mais bon, que veux-tu que je fasse ? Il faut que je passe mon permis et m’achète une voiture, comme ça, je ne rencontrerai plus jamais ce problème. »

Son visage triste m’a attristée. Arrivés à destination, il paye le monsieur sans récupérer sa monnaie et en le remerciant mille fois de nous avoir pris. Une fois dans ma chambre, le corps encore tout tremblotant de froid, je repense à cette nuit d’attente dans la rue, et je me dis qu’en 2009, le racisme, c’est ressenti et ça blesse avec peu. Bien que je n’aie pas été visée par ce « refus de black », j’ai été blessée par le raisonnement bête et puéril des chauffeurs de taxis. Va-t-on en créer des spéciaux pour Paris-banlieue ?

Inès El laboudy

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