BB : Vous venez de passer une semaine en Seine-Saint-Denis, pouvez-vous nous expliquer pourquoi et nous résumer les principaux enjeux de cette visite ?

Julien Denormandie : La politique de la ville est une politique prioritaire du gouvernement. On a encore dans notre pays un certain nombre de territoires où il y a des inégalités, où il y a un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale. Vous avez des problèmes d’accès aux services publics, vous avez des habitants qui pâtissent de l’insécurité et surtout vous avez des jeunes qui se demandent si la promesse républicaine est aussi faite pour eux, si la République leur permet d’être maître de leur destin. Il s’avère que dans un département comme la Seine-Saint-Denis, il y a des territoires où ce sentiment peut exister et moi, mon combat, mon engagement politique c’est de changer les choses, c’est de faire en sorte que cette promesse républicaine soit véritablement présente, pas dans les discours, pas dans les lois mais dans les faits, c’est de faire en sorte que les jeunes se disent que ça vaut le coup de faire des études après l’école parce qu’effectivement ça marche. Quand dans le même temps, il voit son grand frère qui a fait des études et qui n’a pas trouvé de job après, alors que d’autres qui ont fait les mêmes études ont trouvé des jobs, là, il faut changer les choses.

Moi, mon message est très clair : les quartiers ce n’est pas l’affaire des quartiers et c’est l’affaire de toute la France. L’objectif c’est celui de la promesse républicaine, c’est de faire en sorte que chacun puisse être maître de son destin. Et ma boussole, elle est unique, c’est que où que vous soyez né, en France vous devez pouvoir avoir les mêmes chances. Après, il y a des choses qui aujourd’hui vont très bien, il y a des choses sur lesquelles on a fait beaucoup de progrès, je pense à l’éducation, à la rénovation urbaine et puis il y a des choses qui ne vont pas assez vite, je pense par exemple à l’accès au travail.

Mais pourquoi le choix spécifique de cette forme d’action, la « permanence ministérielle » ? C’est de la communication ?

Pour moi, la nécessité absolue, c’est de mettre beaucoup plus de proximité dans nos politiques publiques. Quand vous faites une visite ministérielle, vous avez toujours un défi, c’est que vous courez après le temps. Le fait de venir, pendant une semaine, ici en Seine-Saint-Denis, de prendre le temps d’échanger en profondeur avec tous, ça permet de créer ce lien de confiance, d’enlever les carapaces et de rentrer dans des détails qui vous font trouver des solutions à des problèmes pour lesquels on n’en avait jamais trouvé.

On passe du temps sur le terrain, on écoute, on discute… Et finalement, qu’est-ce qu’il en reste à la fin ?

Vous aurez peut-être remarqué : j’ai passé mes journées avec un papier et crayon, j’ai noté des dizaines de problèmes évoqués par les acteurs et qui vont ensuite concerner différents ministères. Moi, mon boulot en tant que ministre de la Ville, c’est de mener mes politiques mais c’est aussi d’animer cette interministérialité. Cela me permet, demain, de dire au ministère du Travail : « Les amis, il faut qu’on avance encore plus vite là-dessus. » Ce matin, par exemple, on a passé deux heures et demi dans un collège de Clichy-sous-Bois à parler de la politique qu’on a lancée sur les stages de troisième. C’est passionnant parce qu’on avait réuni tous les acteurs, on a eu une discussion très constructive sur ce qui avait très bien marché et ce qui pouvait être beaucoup mieux.

Un an après l’enterrement du plan Borloo, est-ce que cette visite a aussi pour but de vous réconcilier avec les élus des quartiers prioritaires ? 

Franchement, il faut arrêter de dire « l’enterrement du plan Borloo ». C’est un truc qui m’insupporte.

C’est pourtant le sentiment qu’ont eu certains élus, des acteurs de terrain, des observateurs…

Tout le monde a parlé du plan Borloo mais personne n’a dit que Jean-Louis Borloo et moi avons partagé le même immeuble pendant toute la rédaction du rapport. Je le vois de manière extrêmement régulière, on est très proches. J’ai dit deux cent fois qu’une grande majorité des points pris par Jean-Louis Borloo, je les faisais miens. Hier, on a lancé les cités éducatives qui étaient un élément du plan Borloo.

Les élus locaux, il y en a énormément aujourd’hui, et il faut aussi entendre leur voix, avec lesquelles on travaille dans une relation d’extrême confiance, d’extrême proximité et parfois on n’est pas des mêmes bords politiques. En aucune manière que ce soit, cette semaine n’était une réponse à ce qui a pu se passer en mai 2018. Depuis mai 2018 et même avant, il n’y a pas une journée où je ne me lève très tôt et où je ne me couche pas très tard pour faire avancer les choses dans les quartiers, pas une. On a beaucoup, beaucoup bossé.

Pour quels résultats ?

Il y a des choses où nous avons bien avancé. Je suis satisfait par exemple de ce que l’on fait pour l’éducation. Avec le dédoublement des classes, on a touché 300 000 gamins ; on a lancé les cités éducatives, on a des bons retours ; les stages de troisième, ça a été une réussite même s’il faut la renforcer. Sur la rénovation urbaine, les résultats ne sont pas encore là mais la mécanique est complètement réenclenchée. Songez que depuis un an, on a lancé la réhabilitation de 70 000 logements et la création de 40 000 autres. Je suis satisfait de la nouvelle dynamique de mobilisation des entreprises, pas des résultats, de la mobilisation. On a participé à faire en sorte que les entreprises s’impliquent plus, on a lancé une grande initiative qui s’appelle Pacte avec plus de 80 entreprises qui la suivent. Par contre, il y a des sujets sur lesquels je ne suis pas encore satisfait.

Les emplois francs, par exemple ?

Oui, les emplois francs, l’accès à un job. Quand vous voyez le taux de chômage qui est 2 à 3 fois supérieur dans les quartiers que sur le reste du territoire, vous vous dites qu’il faut continuer à accélérer, qu’il faut mettre les bouchées doubles. C’est ça qui guide mon action.

Combien d’emplois francs ont-ils été créés en 2 ans ?

On en est à 6 800 emplois francs. Vous voyez, ce qui est très intéressant sur les emplois francs, c’est que je pourrais vous faire une réponse politicienne que jamais je ne ferai. Je pourrais vous dire que les emplois francs, ça marche super bien parce qu’on en a fait 10 fois plus que lors du précédent quinquennat. Eh bien, moi ce que je vous dis, c’est que je n’ai touché que 6 800 personnes. Ce n’est pas à la hauteur de ce que je veux faire. C’est pour ça que, quand on s’en est aperçu, on a pris des mesures correctrices. On a étendu les zones, on a facilité le système, on a poussé tous nos organismes, comme Pôle emploi, pour aller beaucoup plus fort. Vous voyez, mon discours ne peut pas être plus clair, je dis là où ça va bien, je dis là où ça ne va pas bien et je n’ai qu’une seule boussole c’est qu’à la fin, les jeunes de nos quartiers se disent ‘moi, j’ai cette espérance dans la vie et dans la promesse républicaine.’

Sur le dédoublement des classes de CP et CP1, l’Observatoire des inégalités dit que 70% des enfants qui devraient être concernés ne le sont pas parce qu’ils ne vivent pas dans les quartiers concernés. Ces dispositifs, comme les Cités éducatives, ne devraient-ils pas être élargis ?

Je pense que c’est l’une des décisions les plus importantes dans le domaine de l’éducation depuis très longtemps, en particulier dans les quartiers prioritaires. J’ai reçu plein de demandes pour faire partie de ce dispositif. Diriger, c’est choisir et moi j’ai fait le choix de limiter à un certain nombre de territoires pour mettre le paquet dessus. Comme je le disais hier, c’est un immense engagement, c’est 100 millions d’euros sur 3 ans. Moi, je crois beaucoup à la force de l’évidence, c’est-à-dire que le jour où on montrera que ces cités éducatives font énormément de bien, peut-être que d’autres financements vont être réorientés vers de nouvelles cités éducatives, d’autres territoires. Je crois beaucoup à ça. Quand vous lancez une politique, je pense qu’il faut la sectoriser sur un certain nombre d’endroits, pour qu’elle puisse faire ses preuves, qu’elles s’imposent et qu’à ce moment-là ce soit élargi.

Des choses sur lesquelles il faut profondément accélérer

Quand on interroge les habitants des quartiers, on a du mal à percevoir chez eux les résultats de votre action. Ce qu’on entend, c’est plutôt de la déception, de l’impatience, et beaucoup ont du mal à croire que ça va mieux…

Mais moi, je ne vous dis pas que ça va mieux ! Il y a une impatience énorme et je la partage. Il faut surtout que jamais cette impatience ne se transforme en résignation. Parce que cette résignation amène à des comportements que ni vous ni moi ne voulons voir prospérer.

Cette résignation, elle se traduit d’abord par un éloignement du politique et par une abstention très forte aux différentes élections. Depuis deux ans que vous êtes au pouvoir, vous avez l’impression d’avoir endigué un peu ce phénomène ?

En tout cas, j’ai la conviction que toute notre énergie est dépensée pour y arriver. Au gouvernement, avec les associations et les élus locaux, on est beaucoup à se retrousser les manches pour faire en sorte justement que cette réussite républicaine puisse être une réalité dans nos quartiers. Mais il y a des choses sur lesquelles il nous faut profondément accélérer.

Sur ces sujets-là et sur tous les autres, on aurait aimé vous interroger plus en longueur, entrer dans le détail des mesures qu’on a évoquées. Il y a une date qui est toujours symbolique pour nos quartiers, c’est la fin du mois d’octobre, parce que c’est l’anniversaire des révoltes de 2005, de la création du BB… Peut-on s’engager à se donner rendez-vous à ce moment-là pour un grand entretien sur l’action du gouvernement pour les quartiers populaires ?

Avec grand plaisir. Je m’y engage.

Propos recueillis par Héléna BERKAOUI et Ilyes RAMDANI

Crédit photo : HB / Bondy Blog

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