Hocine Zaoui est éducateur spécialisé à Aulnay-sous-Bois. Habitué à travailler avec des jeunes, il regrette les anathèmes lancés contre les habitants des quartiers populaires. « Depuis des dizaines d’années, des jeunes se font agresser, humilier par des policiers et depuis des années, nous vivons une injustice, dénonce-t-il. A quand la justice dans nos quartiers ? »

Je suis éducateur, je travaille en Seine-Saint-Denis dans un foyer départemental de la protection de l’enfance. Je suis un habitant d’Aulnay-sous-Bois.

Je collabore avec plusieurs associations de ma ville. Chaque jour, je rencontre des jeunes ayant subi des violences et chaque jour nous essayons d’analyser en équipe la source de cette violence.

Aujourd’hui, comme à d’autres occasions de l’histoire de notre commune, il y a aussi une violence en réaction, une violence en réponse, une révolte, une colère, une gronde. Lorsque des faits aussi graves se déroulent en bas de chez nous, comme l’agression abominable dont a été victime Théo par des forces de l’ordre, on ne peut raisonner de manière pragmatique. C’est un sentiment par définition humain que l’on ne peut enrayer, surtout quand on est jeune.

Raisonner comme raisonnent certains médias revient à demander à celui à qui on coupe un membre de ne pas crier trop fort. Crier, se révolter, ne résout rien mais c’est un réflexe humain à la douleur de la même manière que le suicide social auquel nous assistons. La douleur c’est celle de Théo, c’est celle aussi des habitants d’Aulnay-sous-Bois, la douleur est collective.

« J’en ai trop souvent marre d’avoir l’impression de regarder une télé qui ne nous regarde pas, une télévision qui fait semblant de parler de nous sans chercher à comprendre »

Il est trop facile que des ministres conditionnent nos jeunes en leur répétant « nous sommes en guerre » et demander à ces mêmes jeunes de réagir de manière pondérée à l’horreur. C’est pour cela que je voulais m’exprimer ici. Car je le dis sans détour, j’en ai trop souvent marre d’avoir l’impression de regarder une télé qui ne nous regarde pas. Une télévision qui fait semblant de parler de nous sans chercher à comprendre.

Ma voiture a failli brûler hier soir. Je suis descendu de mon appartement qui se trouve juste en face du lieu du viol du jeune Théo par ces policiers. Un groupe de papas et de grands frères du quartier assurait une présence alors que les spots d’hélicoptères, les odeurs de souffre, de bombes lacrymogènes nous aveuglaient. Mes enfants se sont endormis dans les bruits de tirs et d’explosions.

Je ne peux donc pas être pour la violence mais il est trop facile de diriger le viseur sur ces jeunes en colère qui s’auto-mutilent en brûlant les voitures de leurs tontons, en cassant les restaurants où ils vont manger et en enfermant le quartier en zone sensible où facteurs, livreurs et bus ne passent plus.

« Chacun de ces cycles de révoltes de nos quartiers nous rappellent que nous n’avons pas avancé »

De plus, ces scènes ont l’air de surprendre les pouvoirs publics et les médias alors que depuis trop longtemps, chacun de ces cycles de révoltes de nos quartiers nous rappellent que nous n’avons pas avancé. Pas d’un centimètre. Rien.

Depuis des dizaines d’années, des jeunes se font agresser, violenter, humilier, insulter par des policiers. Depuis des dizaines d’années, nous vivons cette injustice. Depuis des dizaines d’années, les pouvoirs publics s’en servent lors des élections.

Chaque fois que nous ressentons le sentiment d’impunité des policiers, chaque agression maintiennent l’enclavement, à l’image de nos bâtiments qui sont rénovés de l’extérieur avec parfois une belle peinture toute fraîche mais toujours aussi vétustes à l’intérieur.

J’aimerais juste partager mon ressentiment et répondre à ceux qui ne connaissent pas nos quartiers que contrairement à ce que des ministres et certains médias leur vendent :

Non, nos quartiers ne sont pas un repère de cancres, de chômeurs et de terroristes en herbe.

Non, nous ne sommes pas en guerre !

Non, la majorité des habitants ne sont pas satisfaits de vivre dans cette violence.

Non, notre culture, notre religion et notre mode de vie ne sont pas incompatibles avec la République.

Oui, le vivre-ensemble nous le vivons chaque jour, la mixité ethnique, sociale, culturelle, nous la vivons au quotidien, chez nous, ce n’est pas un slogan !

Nous sommes dans tous les angles perdants car les voitures de nos parents brûlent, les transports en commun détournent nos quartiers, les assurances augmenteront après ces événements, le chiffre « 93 » sur un CV compromet la recherche d’emploi et les relations vont être encore plus tendues avec la police.

C’est un cercle vicieux où l’on peut juste s’interroger sur la justice de notre pays car c’est le seul moyen d’éteindre ces flammes et d’ouvrir le dialogue.

Que justice soit donc faite. Pour Théo. Pour nous tous.

Hocine ZAOUI, éducateur spécialisé, Aulnay-sous-Bois

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