[#PRÉSIDENTIELLE2017] À moins de dix jours du second tour de l’élection présidentielle, le Bondy Blog ouvre ses colonnes à Rayan Nezzar, économiste. Grandi à Montreuil de parents immigrés et passé par l’ENA, enseignant à Sciences Po Paris a décidé de voter Emmanuel Macron. Il nous explique pourquoi. Tribune.

Nous vivons une drôle de campagne. Au fil des semaines, la présence du Front national au second tour s’est imposée comme inéluctable. Pire, ses thèmes de campagne, de la sortie de l’Europe à l’immigration zéro, ont été banalisés. Comme si l’élection de Marine Le Pen pouvait finalement constituer un événement ordinaire. Cette « dédiabolisation » du FN s’est achevée au soir du premier tour lorsqu’on a présenté son score, historique pour une candidate d’extrême droite, comme une relative déception.

Dans le même temps, tout au long de cette campagne, nous n’avons cessé de diaboliser Emmanuel Macron. Le banquier. L’oligarque. Le fraudeur fiscal. Celui qui braderait les intérêts économiques du pays, au profit d’on ne sait quelles puissances étrangères. En un mot, le traître, aux classes populaires et à son pays.

Un jour peut-être nous demanderons-nous quel curieux retournement, quelle triste perte de repères ont bien pu collectivement nous conduire à diaboliser un centriste au moment même où nous normalisions l’extrême droite.

Mais pour l’heure, il nous faut choisir. Choisir Macron, Le Pen ou l’abstention. Pour ma part, j’ai choisi le programme d’Emmanuel Macron et j’aimerais vous dire pourquoi.

J’ai d’abord choisi le projet d’Emmanuel Macron pour ce qu’il ne contient pas. Contrairement à Marine Le Pen, il ne remet pas en cause le principe de laïcité. Il protège la liberté de croire ou de ne pas croire. Mais il n’impose en rien aux individus de dissimuler leur religion ou de l’exclure de l’espace public. Nul besoin d’interdire le voile à l’université, où les individus sont majeurs et autonomes, ou dans l’entreprise, dès lors que les salariés n’exercent pas une mission de service public. Car derrière le masque de la laïcité, le Front national recycle en réalité une rengaine bien connue : expurger du corps national tout ce qui ne rentre pas dans le cadre d’une France « de souche » fantasmée. Qui lui dira pourtant que Mayotte était française avant la Savoie ? Que les Auvergnats montant à Paris au XIXème siècle étaient tout aussi moqués pour leur accent que le sont aujourd’hui des milliers de familles immigrées ?

Contrairement à Marine Le Pen, le programme d’Emmanuel Macron ne remet pas non plus en cause la liberté de la presse ou l’indépendance de la justice. Comment faire confiance à celle qui se réfugie derrière l’immunité parlementaire pour échapper aux juges ou qui annonce fièrement vouloir quitter la Convention européenne des droits de l’homme ? Comment lui faire confiance quand elle dit s’inspirer de Vladimir Poutine ou Donald Trump, peu connus pour leur attachement aux libertés publiques ? Nulle remise en cause des libertés chez Emmanuel Macron, qui confortera les moyens de la Justice, œuvrera pour des conditions de détention plus dignes dans nos prisons et protègera le droit des femmes à disposer librement de leur corps.

Mais j’ai surtout choisi le programme d’Emmanuel Macron pour ce qu’il contient. Pour la vision de la société qu’il porte : faire que le modèle français soit une chance pour tous et non pour quelques-uns seulement. Et cela commence dès le plus jeune âge car on sait que les inégalités se creusent à l’école primaire. À qui profitera la réduction à douze élèves des classes de CP et CE1 en zones d’éducation prioritaire ? Certainement pas aux enfants de banquiers d’affaires ! À qui profitera le plan de 15 milliards d’euros investis dans la formation des demandeurs d’emplois de longue durée et des décrocheurs aujourd’hui sans solution ? À toutes celles et ceux que l’on a depuis trop longtemps assignés à résidence, mis dans des cases, en considérant qu’ils étaient inemployables.

Voilà enfin un programme qui investit sur le potentiel de chacun. Voilà un programme qui redonne une valeur au travail. Car le travail nous forge une place dans la société. Combien d’enfants immigrés ou de condition modeste ont pu s’élever par l’école et par le travail ? C’est le travail qui permet l’émancipation, le dépassement de sa condition de naissance. C’est le sens du projet de société porté par Emmanuel Macron : la formation tout au long de la vie, la revalorisation du pouvoir d’achat de plus de 100 euros au niveau du SMIC, l’encouragement à la prise de risque des entrepreneurs et des salariés qui pourront toucher le chômage s’ils font faillite ou s’ils démissionnent. Parce que notre jeunesse doit aimer la réussite et ne pas redouter l’échec, Emmanuel Macron propose de bâtir une société du travail pour tous sans naïveté quant à la pénibilité de certains métiers ou à ses effets sur l’espérance de vie en bonne santé, qui sera prise en compte dans un calcul plus juste des retraites.

Voilà un programme qui libère l’économie tout en protégeant les plus modestes des excès de la mondialisation. En ramenant l’imposition des sociétés dans la moyenne européenne, tout en poursuivant la lutte contre l’optimisation fiscale, Emmanuel Macron concilie innovation économique et justice fiscale. En supprimant la taxe d’habitation, impôt injuste car il est trois fois plus élevé en région qu’à Paris, et en déployant partout le très haut débit, il soutient le développement de la « France périphérique ». Elle ne doit plus être la grande perdante de l’ouverture économique. En assurant la prise en charge à 100 % des soins optiques, dentaires et auditifs, son programme évite que nos concitoyens les plus modestes se privent de soins essentiels.

Le choix de ce second tour est donc un choix de société. Que l’on s’oppose à tel ou tel point du programme d’Emmanuel Macron, que l’on discute sa personnalité ou son parcours, c’est légitime. Mais dans l’élection qui nous attend, il ne s’agit pas de savoir si nous aimons mieux l’un ou l’autre des deux candidats. Il s’agit de décider de l’avenir de notre pays. Alors que les autocrates triomphent partout, après Trump, après le Brexit, quel message allons-nous envoyer au reste du monde ? Quelle histoire allons-nous façonner pour les générations qui nous succéderont ?

Dans ce contexte, et pour ce qui me concerne, enfant de l’immigration et des quartiers populaires, le vote pour Emmanuel Macron s’impose comme une évidence.

Rayan Nezzar, économiste et maître de conférences à Sciences Po Paris et l’université Dauphine

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