Dans un premier temps, nous n’oserons débuter cette tribune sans apporter notre soutien inconditionnel et toutes nos condoléances à la famille et aux proches de Mamoudou Barry, mort des suites d’une tragédie visiblement teintée de négrophobie.

Ensuite, nous tenons à préciser que nous n’avons pas vocation à parler en lieu et place des proches et de la famille du défunt que nous imaginons en proie à une insondable douleur. Ils ont perdu brutalement cet être cher qui semblait promis à un bel avenir et qui paraissait devoir rayonner sur lui, les siens et surtout l’Afrique. Raison pour laquelle au lieu de nous appesantir sur les circonstances qui entourent directement cette affaire (étant évident que nous n’étions pas sur les lieux de ce crime odieux), nous nous attarderons sur le contexte trouble qui s’est d’abord appliqué à invisibiliser la mort de Mamoudou Barry.

Pour cela, il nous semble important de tenter de replacer le drame qui l’a violemment frappé à l’intérieur d’un contexte sociétal qui garde en arrière-plan la Coupe d’Afrique des Nations de football. Il nous faut rappeler les débordements qui ont rythmé les victoires de l’équipe algérienne à cette compétition. Depuis un certain temps, les médias français nourrissaient fiévreusement leurs gros titres avec les épisodes en série de casse et de casseurs fêtant de manière originale la victoire de leur équipe. Ce jusqu’à se faire l’écho d’un débat politique pour savoir si, oui ou non, les Champs-Elysées allaient rester ouverts au public le soir de la finale de la CAN.

Un silence honteux et complice qui a étouffé la mort de Mamoudou Barry

En tant que porte-parole de la Brigade Anti Négrophobie, nous commencerons par ce qui pourrait être pris pour un hors-sujet, parce que nous pensons qu’il nous faut avant tout planter le décor médiatique et politique français qui, à notre avis, peut seul expliquer le silence officiel honteux et complice qui a étouffé la mort de Mamoudou Barry.

Ce silence médiatique muselant n’a offert aux membres de notre communauté d’autres alternatives que celles nous incitant à nous replier sur nous-mêmes. C’est en effet comme cela que nous avons pu être au fait de la mort tragique de Mamoudou Barry et non par un discours officiel qui l’a invisibilisée comme l’ont été, dans d’autres proportions racistes, les « tirailleurs sénégalais » des pages exagérément blanches de l’histoire de la libération française.

Bien sûr, en disant tout cela nous ne perdons pas de vue la mort tragique de feu Mamoudou Barry, qui dans ce récit reste notre seule boussole, au-delà des apparences présentées par cet introduction. Mais nous nous risquons à exprimer l’hypothèse que lui, sa famille et ses proches ont payé le prix fort l’arrogance d’une France qui, pour sauver à n’importe quel prix sa réputation, a désespérément voulu montrer au monde qu’elle pouvait mater le vent de colère mêlé à la liesse populaire de ceux que son racisme d’Etat avait arbitrairement enfermés dans le statut d’« indigènes » durant la période de sa colonisation affichée.

Soucieuse de sauver les apparences en montrant qu’elle était parvenue à remporter le dernier bras de fer sécuritaire qui opposait son ordre « civilisationnel » aux désordres que cherchait à faire régner cette « horde barbare » originaire d’Afrique, la France a préféré montrer que les symboles matériels de la République – telle l’avenue des Champs Elysées et ses vitrines protégées par une armée de policiers – avaient survécu à cette tempête de révolte joyeuse, au mépris de la vie humaine d’un Africain noir, vraisemblablement victime d’un crime odieux à caractère négrophobe : Mamoudou Barry.

Le racisme systémique a fait de tous ces êtres humains noirs des personnes sans nom ni visage

En effet, le prisme médiatique occidental qui dessine les frontières d’un universalisme raciste nous rappelle que la vie d’un noir ne vaut pas celle d’un blanc. L’assourdissant silence qui a entouré, dans un premier temps, la mort atroce de Mamoudou Barry rend absolument compte du point auquel notre image, nos vécus, nos trajectoires ne sont pas vendeurs et donc n’intéressent pas les médias forgeurs d’une opinion publique qu’ils taillent de façon subliminale à la gloire de la suprématie blanche. Car dans les faits, Mamoudou Barry est mort dans la même indifférence néocoloniale que celle qui entoure ces milliers d’expatriés africains noirs qui, dans l’espoir d’atteindre les rives d’un pseudo-rêve européen, se sont noyés dans une Méditerranée devenue leur ultime cimetière. Le racisme systémique a fait de tous ces êtres humains noirs des personnes sans nom ni visage pour nous faire oublier qu’ils ne sont que les fruits de la colonisation occidentale dont ils demeurent l’un des principaux symptômes.

Mais pour sortir du macroscopique et aller vers le microscopique, force est de constater que l’homme qui a froidement assassiné Mamoudou Barry était en quelque sorte la caisse de résonance humaine d’une négrophobie que la propagande raciste se refuse pertinemment de nommer comme telle. Comme pour nous rappeler qu’elle a elle seule le pourvoir de définir notre réalité en l’enfermant dans le terme volontairement flou de « racisme. » Or, les injures racistes dont l’agresseur de Mamoudou Barry l’a invectivé avant de lui asséner des coups mortels étaient chirurgicalement, viscéralement anti-noirs. Refuser de l’admettre politiquement et médiatiquement est en soi profondément négrophobe. Raison pour laquelle nous ne voulons pas tomber dans le piège qui nous invite à focaliser toute notre attention sur un racisme individuel qui n’est en fait autre que l’arbre qui cache la forêt du racisme systémique qui l’a accouché pour mieux nous discriminer silencieusement dans l’ombre de son pouvoir blanc.

Ce qui nous amène à rappeler que les premiers témoignages qui sont survenus sont sortis du ventre d’une émotion légitime emprunte d’une insondable douleur qui s’est sans nul doute laissé influencer par le contexte médiatique brûlant et partisan qui entourait la CAN. Mais force est de rappeler que s’agissant de la mort de Mamoudou Barry, la communauté noire était une fois de plus livrée à elle-même, aveuglée par un silence complice des médias mainstream qui n’ont pas estimé que la mort d’un homme noir était un sujet prioritaire. Comme lorsqu’il s’agit de lutter contre la négrophobie, qui est loin d’être une priorité d’Etat, nous avons donc dû nous replier sur nous-mêmes, nous auto-organiser pour obtenir des informations qui nous ont été exclusivement apportées par des médias communautaires négro-africains, et plus particulièrement guinéens (communauté d’appartenance du défunt).

Traiter une question qui fâche, la négrophobie populaire arabe

Mais, parce que même dans la plus mauvaise des expériences il y a une bonne leçon à tirer, cet épisode comme tant d’autres doit nous rappeler que le « communautarisme noir » n’est pas un gros mot et encore moins un crime ou les prémices d’un quelconque terrorisme. Il est le symptôme du viol colonial (français). Le visage d’une négrophobie d’Etat que la France refuse de regarder en face et cache désespérément sous le voile blanc de ses pseudo-principes droits-de-l’hommiste. Le traitement partiale, partiel, blanco-centré et donc raciste de l’information, et plus précisément de cette information, doit nous rappeler que si nous n’avions pas tout mis en œuvre pour rendre publique la mort de notre frère Mamoudou Barry, brutalement frappé par la négrophobie, il serait aujourd’hui enterré sous la tombe médiatique du « soldat inconnu ». Car c’est sous la pression, sous notre pression collective et communautaire que l’hypocrisie républicaine, à travers sa voix médiatique, s’est enfin résolue à faire comme si la vie de Mamoudou Barry comptait.

Preuve que face au ravage que commet la négrophobie structurelle alimentée par cet Etat qui permet officieusement notre discrimination raciale dans les domaines du logement et de l’embauche, la pratique généralisée du contrôle au faciès tout en sanctionnant par une pluie de non-lieux les crimes policiers racistes commis à notre égard, nous devons organiser la résistance, et ce, qu’elle soit ou non communautaire. C’est une question de (sur)vie.

Pour ce qui est de l’auteur présumé de ce crime odieux, les médias nous parlent à l’heure actuelle de ses antécédents psychiatriques et de sa présumée origine turque, affirmant que l’homme arrêté par la police aurait reconnu les faits.

Ce qui nous conduit à rappeler qu’avant son arrestation la rumeur parlait d’un supporter algérien, ce que les raccourcis les plus étroits ont traduit en « un Algérien. » Pour autant le fait que le présumé meurtrier n’appartienne pas (directement) à la communauté dite « arabe » ne doit pas nous interdire de poser la question de la négrophobie qui subsiste incontestablement au Maghreb : esclavage en Lybie, mauvais traitement des expatriés africains noirs… Car comme le souligne une internaute algérienne, « les supporters de l’Algérie ne sont pas tous algériens, mais on ne peut pas être à la fois heureux lorsque nous rassemblons autour de notre drapeau des Marocains, Tunisiens, Turcs, Palestiniens et autres, et faire comme si un arabe/musulman qui commet un crime négrophobe n’était pas de notre responsabilité collective. » Et, faut-il le rappeler, la réalité d’une négrophobie populaire arabe, bien qu’elle ne traduisait pas l’expression de toute une communauté, avait déjà commencé à s’exprimer sans filtres via les réseaux sociaux à la suite des successives victoires d’équipes maghrébines face à des équipes négro-africaines. Au vu de la haine raciale qui circulait alors, la chute tragique de ce vendredi n’est autre que la concrétisation morbide d’une opinion négrophobe assumée par certains membres de la communauté dite « arabe. »

Si nous n’abordons pas clairement cette question entre nous, comme des gens politiquement responsables qui ne se réfugient pas derrière une quelconque politique de l’autruche, le racisme d’Etat français l’instrumentalisera selon la logique du « diviser pour mieux régner » afin que nous nous entretuions. Peu importe ce qu’il ressortira de ces débats intercommunautaires, nous ne pouvons pas laisser l’impérialisme récupérer cette question qui fâche pour la traiter à notre place.

Franco LOLLIA, porte-parole de la Brigade Anti Négrophobie

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