Aymane (je t’entends dire : « Ay-men, monsieur, on dit Ay-meeeen ») n’est pas du genre à passer inaperçu.
Le verbe haut et l’esprit vif, il aime se mettre en scène, sauter sur un jeu de mot, attirer les regards. Un comédien. Un comédien à la tête dure.

Nous, tes profs, on savait pas vraiment comment te prendre tu sais. Oui je te tutoie. Pour te faire plaisir.
Tu me l’as assez dit en classe : « Pourquoi vous dîtes ‘vous’ ? Me dîtes pas ‘vous’ à moi. Je suis pas un  ‘vous’ moi ».

Les marques de politesse en forme d’ampoule, très peu pour toi. À l’école, les règles du jeu sont déjà suffisamment tordues comme ça, on va pas en rajouter. On sent qu’en classe, tu avances sur un terrain mouvant. Et qu’il est difficile d’y garder l’équilibre.

Ce regard sérieux. Il te va bien.

Toi, c’est sur le ring que tu as le pied ferme. Qualifié aux championnats de France ? Là tu m’impressionnes.
Je te reconnais à peine sur ces photos au club de boxe thaï. Droit comme un i, tu savoures ta victoire.
Ton coach, ta famille – ceux qui comptent vraiment – tout le monde est là. Rien que pour toi. Aux anges. On célèbre cette médaille bien trop grosse autour de ton cou et ce petit diplôme. Je ne t’avais jamais vu ce regard de fierté. Ce regard sérieux. Il te va bien.

Boxer, c’est aussi un art de l’esquive. Et au lycée, ta botte secrète, c’est ton sourire. Aymane a une gueule d’ange. Des joues et des yeux d’enfant qui s’allument quand il sourit. Il veut être vétérinaire. Ou boxeur… ou quelque chose comme ça. Un métier de contact. De rapports directs, sans toutes les prises de têtes.

Nous, tes profs, on savait pas toujours comment te prendre.

Les conversations pleines de mots, les raisonnements compliqués, les conseils pleins d’impératifs t’angoissent un peu. Alors tu rassures (« c’est bon, c’est bon ») et tu souris pour te faire pardonner. Te faire pardonner de quoi d’ailleurs ?… tu sais pas bien. D’être là peut-être ? De réagir à tout ? De prendre de la place ? De pas avoir de mots pour jouer au bon élève ? En tout cas tu sens qu’on te le demande souvent ça, au lycée, de t’excuser.

Et ça t’amuse pas tellement. On sent même parfois une pointe de lassitude te gagner. L’envie d’être ailleurs. Front plissé sur un nez amoché – un blason de boxeur – et qui ne rentrait jamais sous ton masque, on te sentait aussi un peu inquiet. Sur le qui-vive.

Non. Nous, tes profs, on savait pas toujours comment te prendre. On devinait juste une force brute qui avait encore tout le temps devant elle pour s’exprimer. Tout ce temps devant toi.

Pour te rendre fier. Comme à la boxe. Pour te faire grandir encore, sourire encore et quitter définitivement tes habits de petit garçon. Ouh, là tu protestes. Ça tu n’aimerais pas l’entendre.

C’est la fin des vacances et la fin d’une vie. 15 ans.

Tu as raison. Tu n’étais plus tout à fait un petit garçon. Mais tu sais, c’est parfois difficile de vous voir autrement. Pas pour vous faire plus petit que vous n’êtes, mais pour se rappeler, toujours, que notre travail c’est aussi de vous protéger. Ou plutôt de vous apprendre à vous protéger vous-même. Quand on le peut. Quand on y arrive.

Plus un enfant donc. À peine un jeune homme. Un ado. Un ado qui avait un peu peur qu’on l’oublie. Un ado qui ne voulait pas subir les autres et qui avait décidé de se défendre. Au point de parfois peut-être de ne plus savoir distinguer les mains tendues des poings serrés, les petits dangers des alertes rouges.

On te pleure ici, Aymane.

Les témoignages d’affection qui pleuvent depuis vendredi prouvent pourtant que tu as su en saisir des mains. Et en rendre des sourires. T’aimais ça, faire plaisir. « Un gars en or », lit-on dans le journal. T’aurais sûrement aimé l’entendre ça aussi. Un vendredi après-midi. C’est la fin des vacances et la fin d’une vie. 15 ans.

On te pleure ici, Aymane. On pleure, mais aussi on parle, tu vois. On raconte. On veut te célébrer. Dire que tu as vécu. Et qu’on s’en souviendra.

E.Z, un enseignant d’Aymane

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