Le 14 mai dernier, les sénateurs ont voté un texte de loi visant à réformer les conditions de travail des stagiaires. Ce dernier devait revaloriser la gratification de 87 euros, limiter la présence à 35 heures de présence ou encore abaisser la durée maximale non rémunérée (passant de 2 à 1 mois). Mais, lors de la commission mixte paritaire du 3 juin dernier, réunissant députés et sénateurs, le texte de loi a été en grande partie remodelé. L’augmentation de 87 euros ne sera effective qu’en septembre 2015 tandis que la durée maximale non rémunérée restera inchangée et la limitation de 35h de présence par semaine passera à la trappe.

En réaction à ce qu’ils considèrent comme étant une « trahison du gouvernement qui, écrasé par les lobbys des grandes entreprises, a fait pression sur les parlementaires pour retoquer la loi », le collectif Génération Précaire a décidé de lancer une action le 5 juin dernier, à 18h30, devant l’hôtel de Matignon. Leur but : remettre à Manuel Valls une carte d’adhésion au Medef (Mouvement des entreprises de France), et ce à une semaine du vote solennel du nouveau texte de loi.

A 18h30, une vingtaine de personnes se rejoignent à quelques pas de la résidence du premier ministre. La plupart d’entre eux ont entre 25 et 30 ans. Ophélie Latil, porte-parole de Génération Précaire, confie en souriant « j’imagine qu’on ne va pas tarder à se faire virer ! ». En effet, 5 minutes après, avant même d’avoir entamé leur action, une dizaine de gardiens de la paix barrent la route au groupe. « Il y a plus de policiers que de manifestants » ironise l’un d’entre eux.

Bloqués sur le trottoir, les membres de Génération Précaire branchent un micro à une enceinte afin de faire entendre leur voix. C’est Ophélie qui s’y colle. « En 2012, nous avions rencontré François Hollande. Les yeux dans les yeux, il nous a promis des avancées pour les stagiaires. Mais aujourd’hui, le gouvernement de gauche s’est laissé écraser par les lobbys ». Elle estime que les stagiaires représentent une « variable d’ajustement pour les entreprises ». En 2013, elle confiait à Libération « la France tourne en ce mois d’août avec ses stagiaires », main d’œuvre payée moitié moins que le seuil de pauvreté (814 euros) « alors que la plupart d’entre eux sont déjà formés » tient-elle à préciser.

M. Dubois, chargé de l’accueil et de la sécurité à Matignon vient à la rencontre des manifestants, accompagné de 2 policiers. Il explique aux groupes qu’ils ne peuvent remettre la carte d’adhésion au MEDEF à Manuel Valls car « celui-ci est absent avec les commémorations du débarquement ». Il conseille alors à la porte-parole de génération précaire « d’adresser un courrier au premier ministre ».

Ophélie nous explique qu’il y a 9 ans, le collectif avait déjà offert une carte d’adhésion au premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin. « Il était de droite mais ça va aussi très bien aussi à Valls non ? » lâche-t-elle en rigolant. Elle fait ensuite par de sa propre expérience de stagiaire « j’ai fait 2 ans de stage. Je participais grandement au chiffre d’affaire de l’entreprise, je passais plus de temps sur mon lieu de travail que mon tuteur et pourtant on me payait comme un travailleur chinois. Au bout du compte, on se retrouve avec des stagiaires plus compétents que leur encadrant, et ça, c’est pas normal ! » S’exclame-t-elle. Margot approuve : « aujourd’hui, ce sont les stagiaires qui font le boulot des salariés avec un salaire de 400 euros ! Alors qu’on ne me dise pas qu’une augmentation de 87 euros ça va forcer les entreprises à mettre les clés sous la porte ».

Une action à portée limité ? Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie les Verts, répond : « ce n’est pas parce qu’on n’est pas entendu qu’il faut s’arrêter de crier ! Et puis notre rassemblement n’est pas vain Aujourd’hui, nous avons obtenus un rendez-vous avec des parlementaires le 11 juin prochain, veille du vote solennel de la loi ». Il ajoute que le groupe Génération Précaire a déjà fait avancer les choses, grâce à son travail de lobbying. « Dans le texte de loi qui sera voté prochainement, les stagiaires seront enfin inscrits sur le registre du personnel, et l’entreprise se chargera en partie du remboursement des frais de transports. Sera aussi mis en place un nombre maximal de stagiaire par entreprise, afin d’éviter le dumping. Enfin, le texte comprend une limitation de stagiaire par tuteur afin que ces derniers puissent mieux les encadrer ».

Quant à lui, alors qu’il était titulaire d’un master, Julien a effectué 6 stages différents avant de trouver un travail en CDI. « Les stages sont nécessaires afin d’affirmer notre orientation professionnelle. Malheureusement, ils ne sont réservés qu’à ceux dont la famille possède les moyens ».

« On nous parle souvent du dumping social international avec les pays émergents… Mais il ne faut pas oublier qu’il existe aussi un dumping intérieur. D’ailleurs, depuis la crise de 2008, le nombre de stagiaires en France a quasiment doublé ! » affirme Ophélie. Si en 2006 les enquêtes dénombraient près de 800 000 stagiaires, en 2012, nous en comptions près de deux fois plus. Toutefois il est difficile d’en donner le nombre exact puisque ces dernier ne sont ni recensés par le ministère de l’Enseignement supérieur, ni par le registre du personnel des entreprises.

Tom Lanneau

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