Quand on cherche du travail et que l’on postule à une offre d’emploi, mieux vaut s’appeler Nicolas ou Camille que Khalil ou Samira. Les inégalités à l’embauche ne sont pas nouvelles en France. En septembre dernier, le Bondy Blog publiait en avant-première les résultats de l’étude menée par le Défenseur des droits concernant les discriminations à l’embauche liées aux origines : 61% des répondants déclarent avoir été « souvent » ou « très souvent » confrontés aux discriminations dans l’accès à l’emploi. Cette fois, c’est le ministère du Travail qui révèle les résultats de son enquête « Discriminations à l’embauche selon l’origine ». L’étude réalisée par l’ISM Corum auprès de 40 grandes entreprises françaises de plus de 1 000 salariés confirme, chiffres à l’appui, la discrimination à l’embauche dont sont victimes les Français au nom à consonance maghrébine.

La campagne nationale de « testing » (ou « test de situation ») a été menée entre avril et juillet 2016. Chaque société a été testée entre 30 et 40 fois. Au total, 1 500 paires de CV comparables ont été envoyées, avec à chaque fois le même sexe, le même âge, la même nationalité française, la même formation, la même expérience professionnelle et le même lieu ou quartier de résidence. La seule différence : le nom. L’un est à consonance « hexagonale ». « On pourrait dire des ‘Blancs’, des ‘Gaulois’, des ‘Français de souche’, des noms supposés sans ascendance migratoire », explique Eric Cediey, directeur général d’ISM Corum, le cabinet qui a remporté l’appel d’offres du ministère pour mener l’enquête. L’autre nom est à consonnance maghrébine. Résultats de l’étude : Céline Parmentier et Guillaume Clerc ont été bien plus souvent invités à passer un entretien que Djamila Bachiri et Malik Bouna.

Une tendance de fond, une réponse de forme

Toutes entreprises confondues, 47% des candidatures « hexagonales » ont décroché un entretien contre seulement 36% des candidatures « maghrébines » soit un écart moyen de 11 points. « Des chiffres très significatifs », assure Fabrice Foroni, chargé d’études et de Formation à l’ISM Corum. Les écarts en défaveur des candidatures « maghrébines » s’observent aussi bien pour les recrutements d’employés que de managers, qu’ils s’agisse d’hommes ou de femmes.

Les résultats diffèrent fortement d’une entreprise à l’autre, y compris au sein d’un même secteur d’activité, culminant à 35 points dans le pire des cas. Douze entreprises se singularisent ainsi par des résultats « particulièrement mauvais ». « L’inégalité de traitement selon l’origine supposée est une tendance de fond », estime Myriam El Khomri, qui a souhaité que des campagnes de testing soit désormais menées « tous les ans » par le ministère.

Pas de poursuites judiciaires

Le testing repose sur « des candidatures fictives, donc nous ne pouvons pas, dans ce cadre, mettre en œuvre des mesures de justice », a expliqué Myriam El Khomri, alors que l’association La Maison des Potes avait demandé dans un communiqué que les « résultats détaillés soient remis au procureur de la République » pour « faire comparaître [les auteurs des fautes] devant le Tribunal correctionnel ». « Ce ne sont pas de vraies personnes qui ont candidaté et qui ont été discriminées, donc sur le plan juridique, nous partons battus d’avance », a répondu le cabinet de la ministre.

Chaque DRH des 40 entreprises ayant fait l’objet du testing a été reçu au ministère du Travail. « Elles sont toutes venues, elles étaient tendues, sidérées par le résultat global, précise Anoushesh Karvar, directrice adjointe du cabinet de la ministre du Travail. Certaines sont tombées de leur chaise à l’écoute des résultats, notamment celles qui ont développé des programmes de promotion de la diversité ».

« Ce testing, d’une ampleur inédite dans notre pays, montre bien que l’inégalité de traitement à l’embauche est criante », a réagi la ministre du Travail, qualifiant ces discriminations de « faute morale » et « d’absurdité économique ». Et d’ajouter : « Mon enjeu est de faire changer les comportements ».

Inciter plutôt que punir

Les entreprises pour lesquelles « un risque significatif de discrimination a pu être décelé » devront « présenter un plan d’actions conséquent pour corriger leurs pratiques ». Et si leurs « propositions d’actions correctives », qui devraient être examinées par un organisme auquel sera peut-être associé Jacques Toubon, Défenseur des Droits, début 2017, sont jugées insuffisantes, le ministère « n’hésitera pas à [les] désigner publiquement ».

Les résultats de cette enquête « Discriminations à l’embauche selon l’origine » – qui aura coûté 204 800 euros au ministère, selon nos informations – met à mal la « promesse d’égalité républicaine », selon la ministre du Travail, venue s’expliquer uniquement dans l’après-midi, ce lundi, face aux radios et aux TV, juste avant de signer avec le Défenseur des Droits, une convention contre les discriminations dans l’emploi. Pour autant, pas question de se lancer dans une opération de « name and shame ». « Nous ne voulons pas jeter de noms en pâture », justifie l’entourage de Myriam El Khomri. Le ministère refuse également de donner la liste ou même de citer les secteurs d’activité concernés. Il faudra donc se contenter d’attendre, encore, pour « faire changer les comportements ».

Leïla KHOUIEL

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