Difficulté de trouver un emploi, scolarisation peu encadrée par les enseignants et peu suivie par les familles, ghettoïsation des banlieues : autant de raisons qui provoquent, chez certains jeunes, malaise identitaire, exclusion sociale et fuite dans la délinquance. C’est le cas de Samir*, 39 ans, d’origine marocaine. A seize ans, il a pris son « destin » en main. Sentiment de fatalité ou pas, il devait s’assurer « financièrement comme tous les gars du quartier puisque » ses « parents n’avaient pas d’argent ». Cet argent, il est allé le chercher dans la rue.

Il quitte alors l’école : « C’est ma conseillère d’orientation qui a contribué à mon échec scolaire. C’est vrai, je n’étais pas un élève brillant mais j’ai toujours aimé les chiffres. Je voulais travailler dans la comptabilité. Elle m’a dit : « Pour toi ce sera chaudronnier ». Elle ma cassé dans mon délire. » Cette passion pour les chiffres, il la retrouve ailleurs : durant 15 ans, il travaille à son compte dans la restauration, l’import-export, la vente de matériel informatique. Mais il a tout abandonné : « Comme beaucoup d’autres commerçants. L’État nous surtaxe énormément et je n’arrivais plus à suivre. » Aujourd’hui Samir consacre sa vie au travail clandestin. Et il s’en réjouit : « L’Etat ne perçoit plus la TVA sur ma pomme, ils sont baisés et j’en suis fier ! »

Son credo ? « Là où il y a de l’argent à prendre, vas le chercher ! » Les vêtements, les parfums, l’électroménager, le trafic de voitures sont des marchés prospères. Il se met en contact avec les fournisseurs et « limite les intermédiaires ». Pour les parfums, il s’approvisionne à Paris. Comment s’opère la transaction ? « Je me rends à l’entrepôt. Le fournisseur me propose des lots qui peuvent aller de 600 à 1 000 flacons, en principe destinés à l’exportation. Sur ces parfums, il y a une taxe douanière mais lui me vendra des parfums sans taxes. Sur son fichier, le fournisseur faussera les écritures, tout simplement. La bouteille de parfum sera vendue entre 20 et 30 € mais le prix varie en fonction du poids et de la marque. » Samir a également songé à exporter son « business » de parfum au Maroc mais cela n’a pas été possible : « C’est le business du roi. Trafique ce que tu veux, mais ne touche pas au parfum. »

Mais l’activité dans laquelle il rencontre le plus de succès, c’est les vêtements. « Il y a beaucoup de marge à se faire. » Ce sont des lots de 300 à 500 pièces qui lui sont vendus. « La marchandise c’est moi qui la choisit mais il arrive parfois que le fournisseur me l’impose. » Quant au prix de vente, il est séduisant. Pour une chemise femme vendue en boutique 50 € environ selon le modèle, Samir l’achète 10 € et la revend 20.

Le commerce de Samir n’a selon lui rien de répréhensible : « Moi je suis dans la légalité sauf que je ne paye pas de taxe, c’est tout. En revanche, celui qui est en fraude, c’est le fournisseur. Cela dit, il établit une facture pour justifier la marchandise que je lui ai achetée, donc si je me fais arrêter avec la marchandise, je dis aux flics d’appeler le fournisseur et il leur présente une facture. Au pire, si je me fais attraper je n’aurai qu’une amende mais pas de prison. »

Dans le monde du « business », on est jamais très communicatif sur ses plans, un trafiquant ne révèlera jamais exactement le prix d’achat d’un produit. Plusieurs raisons à cela. D’abord parce qu’il ne « faut pas filer les clefs de notre trafic aux flics : si on dit tout, ils nous attraperont », m’explique Aziz*, un confrère trafiquant de Samir. Sans compter, qu’on ne peut pas trop faire confiance à ses « partenaires » : « Tes plans, tu dois les garder pour toi, ça ne se dit pas. Dans le business, on est tous des chiens. »

Samir ne se contente pas de revendre, il fait aussi dans la contrefaçon de vêtements. Au Mans, il en est le parrain. Le processus est identique mais il doit sortir de l’Hexagone pour se procurer la marchandise. « Je bosse avec une usine au Portugal. Je suis livré trois fois dans le mois. L’usine me fabrique du Armani, Hugo Boss, Versace. »

Pourquoi se tourner vers des vêtements de grandes marques ? « Les jeunes aiment porter de la marque et c’est la classe, même si le vêtement est contrefait. » L’intérêt, pour ces jeunes, c’est de montrer qu’eux aussi ont la possibilité de porter des grandes marques, que ce n’est pas réservé qu’à ceux qui en ont les moyens.

Samir ne voit pas trop de quoi son avenir sera fait. Mais une chose est sure, il n’est pas prêt d’arrêter son « business ». Avec une rémunération de 5 000 à 10 000 € par mois, il se « fiche pas mal du RMI, je ne suis pas à 400 € près. Je ne suis pas prêt de m’arrêter. J’en vis trop bien ! »

Mimissa Barberis

*Prénoms fictifs

Articles liés

  • Dans les quartiers, le nouveau précariat de la fibre optique

    #BestofBB Un nouveau métier a le vent en poupe dans les quartiers populaires : raccordeur de fibre optique. Des centaines d’offres d’emploi paraissent chaque jour, avec la promesse d’une paie alléchante. Non sans désillusions. Reportage à Montpellier réalisé en partenariat avec Mediapart.

    Par Sarah Nedjar
    Le 18/08/2022
  • Privatisation : les agents de la RATP défient la loi du marché

    Après une grève historique le 18 février 2022, les salariés de la RATP, s’estimant négligés par la direction, se sont à nouveau réunis pour poursuivre leur mobilisation. En cause, toujours, des revendications salariales, mais surtout, une opposition ferme au projet de privatisation du réseau de bus à l’horizon 2025. Reportage.

    Par Rémi Barbet
    Le 26/03/2022
  • Dix ans après Uber : les chauffeurs du 93 s’unissent pour l’indépendance

    Une coopérative nationale de chauffeurs VTC, basée en Seine-Saint-Denis, va naître en 2022, plus de dix ans après l'émergence du géant américain. En s’affranchissant du mastodonte Uber, les plus de 500 chauffeurs fondateurs de cette coopérative souhaitent proposer un modèle plus vertueux sur le plan économique, social, et écologique. Après nombre de désillusions. Témoignages.

    Par Rémi Barbet
    Le 14/02/2022