Du 3 au 9 octobre, les habitants de Sarcelles (Val d’Oise) sont appelés à donner leur avis sur un éventuel port d’armes des dix-huit policiers municipaux, aujourd’hui équipés de tonfas (bâtons de défense) et de gaz lacrymogène. Reportage.

Agnès Poulain Grelet, mère de six enfants, habite Sarcelles depuis douze ans. Cette infirmière de bientôt 50 ans, est nostalgique du temps où elle laissait ses enfants jouer seuls en bas de son immeuble, à proximité de la gare de Garges-Sarcelles. « Mes enfants se sont fait agresser à plusieurs reprises. On leur a volé leur téléphone. Il y a des gens qui ont des armes, ce n’est pas une légende, je l’ai vu sur mon parking ». Sa dernière fille n’a pas souvent le droit de jouer au pied de l’immeuble ou pas longtemps. Quand sa mère l’y autorise, elle jette un œil par la fenêtre toutes les trois minutes. « La situation sécuritaire de la ville s’est dégradée ces dernières années », estime-t-elle.

Manque d’informations

Agnès a décidé de voter oui à la concertation citoyenne. La question : « Souhaitez-vous que la police municipale de Sarcelles soit équipée d’armes à feu ? » Elle estime toutefois qu’armer la police municipale n’est pas anodin. « Il ne faut pas mettre les armes entre les mains de n’importe qui. Les policiers doivent être formés, ils doivent passer des tests psychologiques pour s’assurer de leur bon équilibre mental et de leur aptitude ». Son regret : le manque d’information de la part de la mairie sur les conditions du port d’armes par la police empêchant un vote en connaissance de cause selon elle. « C’est bien qu’on ait notre mot à dire mais on aurait dû avoir plus d’informations avant d’aller voter car les questions sont nombreuses. Est-ce que seuls les gradés seront armés ? Quels types d’armes auront-ils ? Il ne faudrait pas qu’on se retrouve avec des bavures non plus ».

La municipalité, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews, considère, dans un souci de démocratie participative argue-t-elle sur son site internet, qu’une telle question relève prioritairement du choix des habitants, même si le vote n’est que consultatif. Elle y précise également que cette demande de port d’armes est une initiative des policiers eux-mêmes qui demandent, depuis les attentats de janvier 2015, à être équipés en armes à feu pour assurer leur sécurité et celle des Sarcellois. Si le oui l’emporte, la municipalité s’engage, comme l’y oblige la législation, à déposer une demande d’autorisation auprès de la préfecture du Val-d’Oise. Depuis le 22 juillet 2016, l’article 16 de la loi prolongeant l’état d’urgence facilite l’armement des policiers municipaux.  En effet, il modifie le Code de la sécurité intérieure qui détermine les circonstances et les conditions de port d’armes pour les agents de police municipale en supprimant les mots « lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient« . Une circulaire du 23 juillet 2016 envoyée aux préfets confirme cette modification.

Tous les Sarcellois, âgés de plus de 18 ans, sans condition de nationalité mais sur simple justification d’une domiciliation dans la ville, pourront répondre à la consultation, y compris ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Jusqu’au 7 octobre, quatre points d’accueil sont mis à disposition, six la journée du dimanche 9 octobre.

« Je ne me suis jamais sentie en danger « 

Si l’armement des policiers municipaux se fait, leur équipement et leur formation auront un coût. Margarete Rennert, habitante de Sarcelles et retraitée, ne veut pas les payer avec ses impôts. « Je suis absolument contre. On n’arme pas la police gratuitement. Si le oui passe, le jour où on se plaindra de l’augmentation des impôts, on va nous dire, vous l’avez choisi. J’estime que nous ne sommes pas en guerre, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire souvent dans les réunions de quartier. J’ai vécu la seconde guerre mondiale. Ce n’est pas notre cas. J’habite Sarcelles depuis près de quarante ans, je ne me suis jamais sentie en danger », précise l’octogénaire, bénévole depuis plus de vingt ans auprès des jeunes notamment les primo-arrivants. « Je trouve ça dangereux pour notre jeunesse. J’ai peur que la police tire sur tout ce qui bouge. Ce n’est pas à nous de prendre cette décision, ce n’est pas de notre ressort. J’ai peur qu’il y ait beaucoup de personnes de mon âge qui disent oui sans vraiment connaître les conséquences. Et puis nous sommes à Sarcelles, l’abstention est énorme », précise Margarete, qui a officié dans un bureau de vote pendant vingt ans.

Collectif contre le port d’armes

C’est cette crainte de l’abstention qui est à l’origine de la formation d’un collectif de citoyens de Sarcellois défavorables au port d’armes. « Le taux d’abstention est déjà conséquent dans les élections à Sarcelles, notamment dans les quartiers populaires, alors une concertation citoyenne… « , explique une membre du collectif. Une dizaine d’habitants a écrit un texte qu’ils ont partagé sur les réseaux sociaux. « Nous allons aussi imprimer des tracts pour mobiliser les gens toute la semaine », promet une membre du collectif. Dans ce texte, on rappelle aussi les rôles des polices municipale et nationale. On dit aussi qu’on pourrait mettre ces financements ailleurs que dans l’armement, mais dans la prévention, l’éducation et la médiation », poursuit-elle.

« Les armer ne va pas leur permettre d’assurer leur sécurité face à des Kalachnikovs »

Des tracts en faveur du non ont déjà été distribués à la brocante de Sarcelles, sur le marché de Lochères, devant la Poste ces derniers jours. La section du Parti communiste de Sarcelles a imprimé une déclaration disant « NON à l’armement de la police municipale, OUI au renfort des effectifs de police nationale ». « Nous sommes dans un contexte marqué par les attentats, la question du terrorisme pèse lourdement dans les têtes », explique Manuel Alvarez, conseiller municipal PCF de Sarcelles. Ce n’est pas étonnant que les policiers municipaux demandent eux-mêmes à bénéficier d’une arme à feu. Nous y sommes totalement opposés. C’est illusoire de penser qu’une arme à feu règlerait le problème. Le fait de les armer ne va pas leur permettre d’assurer leur sécurité, face à des Kalachnikovs ou à des camions comme à Nice ». Pas question pour Manuel Alvarez de remettre en cause le professionnalisme des policiers municipaux, mais pour lui, l’armement n’est pas une solution aux problèmes de sécurité. « Ce dont on a besoin, c’est le renforcement de la police nationale et une clarification des missions des polices municipales et nationales. Il faut arrêter cette confusion pour les habitants. Le grand risque avec l’armement de la police municipale, c’est une éventuelle diminution des effectifs de la police nationale ». Et de s’insurger : « Ici, c’est d’abord une question d’insécurité sociale qu’il faut régler. Pendant qu’on parle de la police municipale, on ne parle pas de l’essentiel de la vie des gens ».

Rouguyata Sall

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