Amal Bentounsi se trouvait ce mercredi 7 juin dans le quartier de la Pierre Collinet de Meaux où elle a grandi. Alors qu’elle filmait et diffusait sur Facebook le contrôle de jeunes par la police dans le quartier, elle a fait l’objet, elle aussi, d’un contrôle avant d’être interpellée et menottée par les fonctionnaires. Ils lui reprochent d’avoir diffusé des images lui répétant que cela est illégal. Pourtant, rien ne l’interdit.  

Amal Bentounsi se trouvait ce jeudi en fin d’après-midi aux alentours de 19h dans le quartier de la Pierre Collinet à Meaux « pour une visite chez sa mère », nous indique un proche. C’est un quartier qu’elle connaît bien puisque elle y a grandi et y retourne régulièrement. Amal Bentounsi est la soeur d’Amine Bentounsi, tué à 29 ans d’une balle dans le dos par un policier qu’il tentait de fuir. C’était le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec. Depuis, elle en a fait le combat de sa vie : en mars 2017, le policier, Damien Sabundjian, est condamné en appel par la cour d’assises de Paris à 5 ans de prison avec sursis et l’interdiction de porter une arme pendant 5 ans. Une victoire pour celle qui a fondé un collectif de lutte contre les violences policières « Urgence Notre police assassine ».

Amal Bentounsi a vent de l’arrestation d’un jeune, selon sa proche, et se rend en bas du quartier. Elle assiste au contrôle par la police de plusieurs jeunes et décide de filmer. Sa vidéo, diffusée sur le compte Facebook du Collectif Urgence Notre police assassine, dure une quinzaine de minutes. Au bout de trois minutes, un agent de police s’approche de la militante. « J’ai le droit de filmer« , lui lance-t-elle. « Oui vous avez le droit mais j’ai le droit de vous contrôler aussi, vous allez le mettre sur internet, c’est un délit« , affirme le policier lui demandant alors une pièce d’identité qu’elle lui tend. Elle l’informe alors faire partie du collectif « Urgence, notre police assassine ». Le policier indique à son tour à Amal Bentounsi qu’il est lui aussi en train de filmer au moyen de sa caméra piéton qu’il lui montre. « Je vous rappelle que la diffusion est un délit « , poursuit le policier. « Ah non, je connais très bien les textes de loi, ne vous inquiétez pas monsieur ».

« Si jamais je vois des images sur internet, vous serez poursuivie »

Voilà qu’un autre agent s’approche indiquant à Amal Bentounsi qu’il lui est « interdit de filmer« . Le premier policier, qui contrôle à ce moment-à l’identité de la militante lui répond qu' »elle en a le droit ». « Je fais partie d’un collectif, l’Observatoire national des violences policières, je filme au cas où, c’est par sécurité », explique Amal. Dans l’exercice de vos fonctions, j’ai le droit de diffuser la vidéo et je ne vous filme pas le visage ». Réponse du policier : « Madame, je veux que ce soit enregistré. Tous les policiers ici présents s’opposent à ce que leurs visages soient divulgués pour des raisons de sécurité. Si jamais je vois des images sur internet, vous serez poursuivie ». Puis, il ajoute : « Je vous rappelle également que si vous diffusez des images en direct, c’est la même chose ». 

« Est-ce que c’est volontairement pour mettre en danger la vie des fonctionnaires ici, de façon à ce qu’il y ait des vindictes comme on le vit sur les réseau sociaux ? » demande l’un des fonctionnaires. « C’est uniquement par sécurité car de temps en temps il y a des fonctionnaires qui se permettent des excès de zèle (…) C’est une vidéo citoyenne », lui répond Amal.

« Contre une arme de poing et une grenade, faut bien se défendre », un policier à Amal Bentounsi au sujet de la mort de son frère Amine Bentounsi

S’ensuit alors une discussion hallucinante entre Amal Bentounsi et les fonctionnaires de police :

– « Et les violences des jeunes, vous en faites quoi ?, demande un des autres agents.

Vous êtes dans votre rôle, moi je suis dans le mien, rétorque Amal Bentounsi.

Mais on n’est pas au Mexique, hein, vous savez.

Moi, mon frère a été tué par la police.

Ah on y vient, d’accord, on y vient.

Je sais très bien comment ça se passe. J’ai gagné mon procès et le policier a été condamné. Une balle dans le dos.

Je ne connais pas votre affaire alors.

– Ah, d’accord, celui qui avait une arme de poing et une grenade. Un innocent madame, un innocent en fuite.

– Je me passe de vos commentaires. En tous les cas, il est coupable, il a été jugé et il a été condamné le monsieur.

– En tout cas, c’était un innocent c’est sûr… Non, non il n’a pas été condamné. Vous vous trompez.

– Bien sûr qu’il a été condamné. Pourquoi vous dites cela ? Vous avez assisté au procès ? Oui, il a été condamné à 5 ans de sursis.

Non : non lieu, lance un autre policier.

Pas du tout, vous ne suivez pas les affaires messieurs, 5 ans de prison avec sursis.

– Ah c’est parce que le policier s’est mal expliqué madame.

– C’est surtout qu’il y a eu des écoutes téléphoniques et 6 témoins à l’appui.

Contre une arme de poing et une grenade, faut bien se défendre ».

« C’est une femme perdue ça« , un policier au sujet d’Amal Bentounsi

Les agents reviennent alors sur l’enregistrement d’Amal Bentounsi répétant qu’ « elle n’a pas le droit de diffuser. C’est illégal de diffuser ». « Je vous filme dans le cadre de vos fonctions« , répond Amal Bentounsi. « Vous avez le droit de filmer, vous n’avez pas le droit de diffuser« .

L’un des agents lance :

–  « C’est une femme perdue ça.

–  Je vais me passer de vos commentaires monsieur.

– Je déposerai plainte madame. Vous êtes en train de diffuser sur Facebook là ? Donc on s’y oppose. (…) Vous ne respectez pas la loi madame. Vous n’avez pas le droit de diffuser ».

Un autre :

« Vous serez mise en cause si jamais il arrive quoi que ce soit à mes hommes, je vous le garantis ».

Publié par Collectif urgence notre police assassine sur mercredi 7 juin 2017

« Vous êtes interpellée pour la diffusion d’images qui est interdite », un policier à Amal Bentounsi

Quatre minutes plus tard, les agents reviennent vers Amal Bentounsi qui continuait à filmer en direct sur Facebook.

« Vous coupez le téléphone, vous êtes interpellée pour la diffusion d’images qui est interdite », lui lance l’un d’entre eux. Vous allez venir avec nous madame« , dit un autre. À ce moment-là, un des agents arrache le téléphone des mains d’Amal Bentounsi coupant net la vidéo.

Dans une autre vidéo très courte, diffusée par le collectif,  on voit Amal Bentounsi entourée de 4 agents de police. Trois d’entre eux la tiennent de manière musclée pour la menotter. « Même chose, si vous diffusez vous serez poursuivie », avertit l’un des agents à la personne qui filme. On entend la personne filmer dire : « Non mais là c’est choquant, c’est grave ce que vous faîtes ».

https://www.facebook.com/Urgence.notre.police.assassine/videos/1158275180985073/

Depuis, Amal Bentounsi est en garde à vue au commissariat de Meaux. « A priori, elle devrait sortir dans la matinée, nous indique son avocat Michel Konitz qui ne l’a pas encore vue et qui se dit « scandalisé » par cette arrestation. « C’est du harcèlement, elle avait déjà été poursuivie en justice ». En janvier 2013, la militante était l’objet d’une plainte en diffamation par Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur, pour ces propos : « Vous voulez commettre des violences et crimes en toute impunité sans jamais être inquiété ? La police recrute et la justice vous protège« . Elle sera relaxée en mai 2014. « Quand son frère a été tué, tous les jours elle se faisait contrôler par la police. Les policiers qu’on voit dans la vidéo qu’elle a diffusée hier, on les connait. Et ils connaissent très bien Amal », affirme un proche.

« Il est exclu d’interpeller la personne effectuant l’enregistrement »

Les policiers ont arrêté et placé en garde à vue Amal Bentounsi pour « diffusion d’images« . Les policiers n’ont cessé de lui répéter qu’elle n’en avait pas le droit. Est-ce vrai ? Non. Une circulaire datant de 2008 intitulée « Enregistrement et diffusion éventuelle d’images et de paroles de fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions », indique que « les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droite à l’image hormis lorsqu’ils sont affectés spécifiquement dans les services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage« , ce qui n’est pas le cas en l’espèce ici. « Il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support ». « Une telle action exposerait son auteur à des poursuites disciplinaires et judiciaires », poursuit le ministère de l’Intérieur dans cette circulaire.

Par ailleurs, la circulaire précise bien que « la publication et la diffusion des images et de sons peut être réalisée par le fait tant de la presse que d’un particulier ».

Contactée, la police nous a renvoyés vers le parquet de Meaux, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Le collectif « Urgence notre police assassine » appelle à un rassemblement devant le commissariat de Meaux ce jeudi soir à 18h.

Nassira EL MOADDEM

Mise à jour, jeudi 8 juin à 15h40  :

Amal Bentounsi a été libérée du commissariat de Meaux en début d’après-midi, nous annonce son avocate.

Mise à jour, jeudi 8 juin à 16h30  :

Une proche d’Amal Bentounsi nous indique que « le procès-verbal a été annulé quand une Officier de Police Judiciaire a rappelé que rien n’interdit à un citoyen de filmer une intervention policière. On lui a alors reproché de ne pas s’être laissée arrêter« .

De son côté, Amal Bentounsi porte plainte pour « violences » à l’encontre des fonctionnaires de police qui l’ont interpellée et pour menaces de mort proférées par un membre de la BAC au commissariat de Meaux, nous précise son avocate.

Suite à la libération d’Amal Bentounsi, le rassemblement prévu à 18h devant le commissariat de Meaux est finalement annulé.

Circulaire de 2008 « Enregistrement et diffusion éventuelle d’images et de paroles de focntionnaires de police »

[gview file= »http://www.bondyblog.fr/wp-content/uploads/2017/06/20081223_Circulaire-2008-8433-photospolice.pdf »]

Articles liés