Il a 18 ans. Il s’appelle Léo. Il est allé manifester pacifiquement, avant-hier, à République, pour le climat. Un peu plus loin, dans un quartier bouclé jusqu’aux dents, les présidents du monde aux costumes sombres se serraient la main et souriaient sur la photo de famille. Léo raconte son arrestation, sa garde à vue, son combat pour le climat et ses désespoirs soudains. Récit. 

« En fait, moi, à la base, avec des amis, j’étais venu pour une manifestation autorisée, entre Oberkampf et Nation, qui était une chaine humaine organisée par différentes associations alter-mondialistes. Et puis, j’ai vu que des choses se passaient à quelques mètres, près de République. On s’est souvenus qu’il y avait une pétition pour qu’une manifestation se tienne quand même là-bas. On y est allés. Il y avait des gens qui manifestaient de façon très calme. On a décidé de rester. Il y avait des chaussures partout pour montrer que, symboliquement, les gens marchaient pour le climat. Il y avait des gens sans aucune appartenance politique, qui étaient juste là pour dire d’être là. D’autres jouaient de la musique. C’était un vrai mouvement pacifique. Plus tard, des associations sont arrivées, ça a commencé à chauffer, ils ont commencé à provoquer les forces de l’ordre. Ils étaient masqués mais je ne pensais pas du tout que la situation allait dégénérer. L’ambiance était tranquille, il n’y avait pas de sommation de la part de la police de se disperser. On était au centre de la place, on était nombreux.

J’ai 18 ans. Ça me paraît important de manifester. C’est pour ça que je trouve absurde l’interdiction de manifester. La démocratie, c’est créer un cheminement et des solutions ensemble. En ce qui concerne le climat, c’est un sujet qui m’importe beaucoup. Montrer que la société civile est derrière. Même si c’est un sujet urgent et compliqué. Les chefs d’état disent que la COP21 est le dernier sommet, qu’il faut trouver des solutions sinon ce sera trop tard, mais à chaque fois, on repart sur des traités qui ne sont ni contraignants, ni révolutionnaires. Les conséquences sont dramatiques sur le long terme et on commence à les percevoir doucement. Il faut agir très vite. Mais ça ne se résout pas en deux semaines, comme ça, autour d’une table, en se disant : « bon, allez, faut trouver quelque chose vite fait » ! Il faut partir sur quelque chose de durable.

Par ailleurs, je comprends que ce sujet ne passionne pas. C’est complexe, technique. Ça demande de l’obstination. J’ai du lire énormément de choses pour commencer à m’y intéresser. Je me suis mis à me poser des questions sur le monde qui m’entourait. Ça fait très longtemps que je vois la même classe politique à la télévision avec des solutions qui ne marchent pas. Je trouve important de montrer qu’on est là et qu’il y a une population qui ne demande qu’à être entendue.  Souvent, je suis pessimiste, je me dis qu’on fait tout ça pour rien. Et si c’est pour finir en garde à vue, ça sert à rien…

Donc avant-hier, à la fin de la manifestation, un groupe de militants pacifistes (dont moi) a été isolé sur le nord-ouest de la place. Nous avions été regroupés par les forces de l’ordre. Aucun n’avait le visage masqué. Certains chantaient, d’autres discutaient par terre. La police nous entourait. Je pensais vraiment qu’ils allaient s’éloigner et nous laisser rentrer chez nous. Mais il y a eu des provocations de leur part : ils ont pris des gens au hasard et leur donnaient des coups de matraque sous mes yeux. Moi, j’étais prêt à coopérer, à partir, rentrer chez moi. Je me suis retrouvé devant un policier, il m’a chopé par le bras, m’a insulté, puis m’a dit : « ferme ta gueule, petit con » et « tu vas crever, fils de pute ». Mon trousseau de clefs est tombé de ma poche. Il a enchainé en disant : « on s’en bat les couilles de tes clefs, avance ». Ils m’ont embarqué. On était une trentaine dans le bus. C’était la première fois de ma vie que je me retrouvais en garde à vue. Des gens me disaient ce qu’il fallait faire : trouver un avocat, comportement à adopter en garde à vue, etc. La plupart étaient militants sans être affiliés à quoi que ce soit.

Ça a été très, très long. Dans le premier commissariat, nous étions quarante par cellule. Dans un autre, nous étions quatre ou cinq. Enfin, dans un dernier commissariat, nous étions seul par cellule. Ma garde a vue a duré vingt-quatre heures. On m’a dit que j’étais là parce que j’avais bravé l’interdiction de manifester et que j’avais refuser de coopérer face aux policiers, ce que j’ai contesté. Mais sur le coup, c’est un vrai choc.

Aujourd’hui, je me dis que je ne veux plus me retrouver dans une telle situation. Mais d’un côté, il y a une incompréhension et une vraie colère face à ce gouvernement qui multiplie ce genre de choses. Je veux pas me laisser faire et je veux continuer à me battre pour mes convictions. Du coup, je suis dans un entre-deux. C’est un gouvernement vicieux. On se rend compte maintenant de la réalité. Des moyens et de la violence démesurés à République. Des centaines de cars de policiers. Aujourd’hui, avec mes potes, on ne les appelle pas « la gauche ». C’est pas ce qu’on imagine de la gauche. C’est totalement absurde. Quand on voit que la France demande à enfreindre les droits de l’Homme, quand on voit que l‘état d’urgence permet de concentrer les pouvoirs… Même la droite n’aurait pas osé.

En sortant de mes vingt-quatre heures de garde à vue, j’ai lu quelques articles sur la COP21. Pour moi, il n’y a plus beaucoup d’espoir. On ai foiré les vingt premières fois, ça m’étonnerait que l’on réussisse cette fois-ci. Il faut limiter à deux degrés le climat, mais quand on voit comment ça commence, il n’y a pas une grande motivation. Enfin, il faut continuer, ne pas baisser la tête. Tout ce qui se fera dans le futur ne se fera pas grâce aux partis politiques : il faut que les gens continuent de se parler, de se voir, de partager, ainsi ils se rendront compte de ce qui se passe.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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