En 2013, 3 673 cas de discrimination ont été recensés en France. La Maison des Potes organisait samedi 14 juin « les assises de la lutte contre les discriminations » à la Maison du Barreau, à Paris. Objectif : trouver des moyens juridiques afin de faire reculer le nombre de discriminations.

La Fédération Nationale de la Maison Des Potes (FNMDP), crée en 1989, se définit, sur son site internet, comme un « espace au service des habitants (…) pour leur offrir un relais face aux carences publiques auxquelles ils sont confrontés ». Clamant leurs motivations puisées dans les idéaux de justice sociale, d’antiracisme, de laïcité, les membres du collectif proposent leur aide, notamment aux victimes de discrimination, pour traduire la lutte sur le terrain judiciaire. Samuel Thomas, délégué général de la FNMDP, ancien vice-président de SOS racisme, compare leur « persévérance dans le combat contre les discriminations » à celles de Nelson Mandela dans un édito parut dans le magazine Pote à Pote du mois de mars 2014. Récemment, l’association a porté plainte contre le Front national pour « incitation à la discrimination », pointant du doigt le « guide pratique » pour les élus municipaux frontiste, les incitants à prôner la « priorité nationale » dans l’attribution de logements sociaux. « Au lendemain de la victoire électorale du FN, nous devons réagir vite et très fort contre le racisme » déclare l’association.

Censées commencer à 9h30, les assises ont finalement pris une heure de retard, certains intervenants coincés par les grèves des cheminots. Les membres de la Maison des Potes scotchent dans les quatre coins de la salle des affiches sur lesquelles est inscrit en caractère gras, le slogan « Faire de l’égalité une réalité ». Les intervenants prennent finalement la parole aux alentours de 10h30 afin de raconter leur histoire de victime ou d’opposant à la discrimination.

En 2002, Boualem Benabdelmoumene, la cinquantaine et les cheveux grisonnant, obtient un bon de visite, après deux ans de recherche, pour un appartement de France Habitation, situé à Bagneux (92). « Pour une fois qu’on ne me dirige pas vers un ghetto ! » pensait-il. Les problèmes surviennent lorsque ce salarié à l’accent méridional arrive au pied du bâtiment. L’apercevant, le gardien de l’immeuble refuse l’entrée à Boualem et ira même jusqu’à lui retirer son bon de visite. Impuissant et révolté, cet homme originaire du Gard contact SOS Racisme. Piégé par un testing organisé par l’association, la directrice d’agence apporte finalement une réponse à ce refus violent pour la visite en déclarant : « C’est impossible avec son nom que Boualem Benabdelmoumene obtienne cet appartement, dans cet immeuble, on ne peut pas y mettre d’étrangers ». Boualem lâche alors, « ça m’a fait du mal de n’être pas considéré comme un Français à part entière. Pourtant je suis né dans le Gard, je paie mes impôts… » Cet événement aurait pu rester sans suite, mais il a permis à certaines personnes de libérer leur conscience.

Réunis à la même table lors des assises, Boualem côtoie Vincent, ancien directeur d’agence de France Habitation : « Nous avons tous deux subis la même discrimination, mais pas de la même façon » commence-t-il dans son discours. Quelques années après la médiatisation de l’affaire, Vincent prend contact avec le vice-président de SOS Racisme. « Dans mes mains passaient des papiers sur lesquels étaient inscrits les chiffres 1 2 3 et 4. Logiquement je me suis interrogé sur la signification de ces mentions. Un jour mon supérieur m’a avoué que ces chiffres indiquaient les origines ethniques des demandeurs de logement, mais que c’était uniquement « pour la mixité sociale » ». Ces inscriptions permettaient alors à l’agence de répartir les appartements en fonction de la couleur de peau des aspirants. « Il y avait certains bâtiments où il ne fallait pas mettre de personnes d’origine africaine ou des Dom-Tom par exemple » raconte Vincent. En janvier 2013, malgré l’existence de preuves écrites, l’affaire débouche sur un non-lieu « au prétexte qu’on n’a pas pu identifier de victimes ». Mais pour la Maison des Potes, cette affaire se poursuit, « le combat continue ».

C’est ensuite à Alexandre Roffat de prendre la parole. Ce responsable des ressources humaines estime avoir été « victime et acteur de la discrimination ». En 2000, Alexandre entame sa dernière année de licence. Pour la valider, il décroche un stage chez le leader français de l’intérim, Adecco. Mais en entrant dans les ressources humaines de la filiale, celui-ci découvre avec surprise que les recrutements ne prennent pas seulement en compte l’expérience et la qualification du demandeur d’emploi, mais aussi la couleur de peau de ce dernier. Alexandre Roffat raconte que pour chaque fiche concernant un individu de type européen, il fallait ajouter la mention « BBR » (Bleu Blanc Rouge, en référence au drapeau français). « Les Maghrébines, les Noires et les femmes d’origine étrangère étaient forcément recalées« , commente Samuel Thomas dans un article parut sur le site d’information capital.fr.

Un élément semble particulièrement avoir frappé Alexandre : « Les individus mats eux-mêmes faisaient cette distinction ! », lui-même étant métis. Malgré son impuissance imputable à son statut de stagiaire, le jeune homme consulte un salarié de l’agence pour lui faire part de l’affaire. « Il m’a répondu que l’entreprise n’était pas raciste, que 80% des intérimaires étaient noirs et que justement, ils craignaient pour la sécurité des individus de couleurs s’ils avaient affaire à des gens louches. Et c’est pour ça que, d’après eux, ils demandaient aux clients si ça posait problème d’envoyer un Noir ! » Alexandre confie avoir poursuivi un temps son stage, appliquant cette directive discriminatoire, « même si j’avais du mal à vivre avec ça ». Au bout du compte, il décide d’arrêter son stage, quitte à rater son année de licence. « Comme ça je pouvais me regarder dans la glace (…) Mais comment faire pour lutter ? » Il appelle alors SOS Racisme qui l’aide à traduire en justice la société Adecco. Toutefois après 14 ans sur le terrain judiciaire, il n’y a toujours pas eu de procès. « Mon principal regret, déclare Alexandre, c’est de ne pas avoir poursuivis mon stage pour trouver plus de preuves ».

Abdoul Ba N’Gary est avocat contre les discriminations. « La Ve république est fondée sur la discrimination » assène-t-il. Il pense que le niveau de diplôme d’un individu ne suffit plus à faire carrière, que la couleur de peau de l’individu rentre en ligne de compte. « Regardez les élites françaises. Proportionnellement, elles ne représentent pas la population du territoire. On ne voit pas de général Mamadou Machin » s’exclame l’avocat. Personnage haut en couleur d’origine mauritanienne, Abdoul Ba N’Gary s’enflamme lorsqu’il évoque le FN, « comment peut-on cautionner ce parti fondé sur des bases racistes ? Comment peut-on laisser un élu de la République tenir ces propos ? On peut dire ce genre de choses et ne pas être éligible ? ». Il estime que la source du problème de la discrimination provient de l’Etat. « Si l’Etat lui-même discrimine, les Français se disent « et pourquoi pas nous » ? Si l’on veut couper un arbre, il faut d’abord s’attaquer à la racine ».

Dans les couloirs de la maison du Barreau, Samuel Thomas répond à nos questions. La quarantaine passée, les gens qui le côtoient le décrivent comme altruiste, « avec un cœur gros comme ça », parfois utopiste. Il déclare ne constater « aucune avancée dans la lutte judiciaire contre les discriminations » depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. « Ni dans l’accès au logement avec le refus d’en parler dans la loi « Duflot » sur les relations locataires-bailleurs ». La seule « petite avancée » selon lui est l’affichage du numéro de matricule du policier, auteur présumé d’un contrôle au faciès.

Au sujet du droit de vote des étrangers, Samuel considère que c’est encore possible avant octobre et la possible perte du Sénat par la gauche. « Il faudrait que trente parlementaires UDI votent aux côtés des parlementaires PS, PC et Verts ou qu’ils ne se présentent pas ce jours-là au congrès ». Néanmoins, il reste pessimiste, « le renoncement de Hollande, Fabius et Cazeneuve afin d’envoyer un message aux électeurs du FN (…) a donné la victoire au FN par anticipation ». Il exprime aussi sa « révolte morale » vis-à-vis de ceux qui ont voté pour le parti frontiste, « ces Français qui ont basculé dans le racisme ». D’après lui, cette victoire électorale permet de mettre en valeur le rôle des organisations antiracistes, « c’est sur elles seules que l’on peut compter aujourd’hui » pour lutter contre le parti mené par Marine Le Pen.

A la fin de la journée, Gwenaëlle Calves, professeur de droit public à l’université de Cergy, estime qu’avant de vouloir créer de nouveaux outils afin de lutter contre la discrimination, « il faudrait déjà simplifier et utiliser ceux que l’on possède aujourd’hui ». D’autres, quant à eux, estiment qu’il faudrait créer un pôle juridique dédié aux discriminations. Malheureusement, une chose n’est pas jugeable dans une affaire de discrimination : les préjudices sociaux, psychologiques et familiaux qu’engendre une injustice. D’autant plus que nous sommes tous une cible potentielle pouvant être frappée par la foudre de la discrimination. Discriminé à cause de notre couleur de peau, de notre physique, de notre sexe, de notre lieu de résidence, de notre âge, de notre milieu socio-économique…

Tom Lanneau

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