Guidés par leur professeur, Ilyas, Zackaria et Mamadou, décident d’assigner l’État pour « discrimination raciale ». Ces trois lycéens d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) avaient été contrôlés par des policiers gare du Nord lors d’une sortie scolaire.

Lundi 10 avril, rendez-vous était donné aux journalistes au cabinet de Slim Ben Achour. Sont présents, Elise Boscherel, professeur de lettres et d’histoire-géographie au lycée Louise-Michel d’Épinay-sur-Seine et les trois lycéens, Mamadou, Ilyas et Zackaria. L’annonce est faite : les trois élèves ont décidé d’assigner l’État en justice pour « discrimination raciale ».  Le 1er mars dernier, gare du Nord à Paris, des policiers avaient soumis ces trois jeunes à un contrôle d’identité durant une sortie scolaire. Un contrôle tendu. Leur professeur a fait de cette histoire un cas emblématique du problème des contrôles au faciès en France.

« Nous ne pouvons plus laisser notre jeunesse, nos enfants, maltraités de la sorte »

Me Slim Ben Achour, est un avocat reconnu dans la lutte contre les discriminations. Il a réussi, pour la première fois, en novembre 2016, à faire condamner l’État français, pour faute lourde en raison de contrôles d’identité discriminatoires. « Une action en vue d’engager la responsabilité de l’État va être lancée (…) Nous ne pouvons plus laisser notre jeunesse, nos enfants, maltraités de la sorte », estime l’avocat qui annonce que l’assignation sera déposée devant le tribunal de grande instance de Paris ce mercredi au plus tard.

Les requérants comptent également saisir le défenseur des droits, Jacques Toubon. De son côté, l’enseignante, Elise Boscherel, a interpellé la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour lui demander l’interdiction des contrôles durant les sorties scolaires. Elle demande même qu’une circulaire soit prise en ce sens. Sans réponse pour le moment. Une affaire qui prend forme alors qu’un important débat de société s’est installé sur les questions des violences policières après la mort d’Adama Traoré et de Shaoyao Liu et le viol de Théo.

« A l’école, on me dit ‘Mamadou, la devise de la France, c’est liberté égalité fraternité’. Mais c’est faux »

Mais ce matin, celui qui a la voix qui porte, le plus déterminé, c’est Mamadou. Il est celui des trois lycéens qui a subi le contrôle le plus poussé et le plus humiliant. Du haut de ses 18 ans, il fait un porte-parole redoutablement efficace. « Nous irons jusqu’au bout, je ne suis pas le seul à vivre ça. Nous sommes des milliers, des milliers. Beaucoup de gens nous écoutent. Je leur dis ‘Ne vous laissez pas faire !’ Ce n’est pas normal de se faire contrôler parce qu’on est d’origine maghrébine, africaine ou asiatique’. La première fois que nous avions rencontré Mamadou, c’était à la médiathèque d’Epinay, un grand cube posée sur une dalle à l’orée d’une forêt de tours. Le contexte était bien moins formel. Avec Zackaria et Ilyas, ses deux camarades de classe, ils s’envoyaient des vannes dans le langage universel des ados. Aujourd’hui, il a endossé le costume. Devant la trentaine de journalistes qui se serrent dans le cabinet de Me Ben Achour, à deux pas de la place de la Madeleine, à Paris, Mamadou pèse chaque mot qu’il prononce. Bluffant. « Il s’est bien préparé hein ? » « Oui« , lâche son camarade dans un sourire. Ses mots sont choisis, mais traduisent toute sa révolte face à cette injustice ordinaire qu’il vit au quotidien. Et les propos sont forts dans la bouche d’un gosse de 18 ans.

C’est que la cause leur tient à cœur. « A l’école, on me dit ‘Mamadou, la devise de la France, c’est liberté égalité fraternité’. Mais c’est faux. Libre, peut-être, mais pour certains seulement. Ce pays, c’est le pays des droits de l’Homme. Alors, ce qui nous arrive, je ne peux pas l’accepter ». Ces réflexions sont pourtant récentes chez lui. « Mes amis ont très peu d’espoir en fait. Ils se disent :  »Ca ne va aboutir à rien, c’est comme ça. Tu te fais contrôler parce que tu es noir… » Avant, je me disais la même chose ». La dernière fois que nous les avions rencontrés, on sentait le questionnement bourgeonner chez les trois ados. Depuis, il a éclos. Les trois camarades s’approprient peu à peu le combat entamé par leur professeur.

Une lettre ouverte signés de leurs trois prénoms a d’ailleurs été diffusée à la fin de la conférence. Ils y ont ces mots : « On a décidé d’écrire parce que des millions de jeunes comme nous ne savent plus comment demander d’arrêter ces contrôles qui ne reposent que sur notre visage, et se sentent tous les jours blessés dans ce qu’ils sont. On a décidé d’écrire aussi à tous ceux qui ont le pouvoir de faire en sorte que nos rapports avec les forces de l’ordre ne soient plus systématiquement régis par la défiance et la confrontation. On a enfin décidé d’écrire parce qu’aujourd’hui même dans le cadre d’une sortie scolaire avec notre lycée nous ne nous sentons plus protégés. Alors oui, pour nous, pour nos familles, il est grand temps que cela s’arrête ».

Voici leur lettre ouverte :

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Alban ELKAIM

Crédit photo : Julien AUTIER

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