MUNICIPALES 2014. Partie intégrante du Grand Lyon, Givors vit depuis quelques jours dans le rythme de la campagne. Entre inauguration d’un local, tractage d’un FN longtemps inexistant et indifférence des habitants qui font leur marché, Givors la timide s’affirme.

De Bondy à Givors, d’une rue Roger Salengro à une autre. La petite bourgade dans la banlieue sud de Lyon s’est développée autour de la métallurgie et de la sidérurgie.

IMG-20140216-00491IMG-20140216-00491Le port et la ligne de chemin de fer ont transformé la ville, une articulation stratégique entre Lyon et Saint-Etienne, deux bassins ouvriers. Un même univers. Une identité qui s’est enrichie des vagues successives d’immigration (Polaks, Ritals, Bougnoules) au 20e siècle. En TER ou en voiture, on y marque un arrêt pour observer ses vestiges. Vieux reste de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le « Liberté, Égalité, Fraternité » déteint sur la gauche de la façade de Saint-Nicolas. C’est au pied de cet édifice de style gréco-romain que notre découverte de la ville commence. Dimanche, dix heures, la messe est dite concernant l’affluence du marché que nous entendons au loin. Sur le chemin, halte est faite devant la rue Malik Oussekine. Nous restons interdits. Comment se fait-il que Givors décide de se souvenir ? De reconnaître une souffrance française qu’on aborde si peu ? Givors en impose, force le respect et la déférence à la manière d’une clé de bras qui vous plaque face contre terre.

Sévèrement rossés, nous battons en retraite. A l’angle de la rue Charles Simon, un groupe de personnes nous salue en regardant curieusement notre enregistreur. Serrage de mains. Dans un silence religieux, nous exposons notre projet : « On suit la campagne à Lyon et on s’était dit qu’on allait couvrir Givors ». Une dame nous interpelle avec un plateau chargé de mini-viennoiseries. A croire que nos gestes ont une portée messianique. Nous marchons sur l’eau dans ce joyeux chaos où règne un sentiment d’euphorie palpable. Tous les espoirs semblent être permis. Ils s’offrent à nous, sans compter, sans calcul.

7307594_origSans avoir pris rendez-vous, nous arrivons à l’inauguration d’un local de campagne. Celui de Monsieur Boudjellaba, candidat pour la seconde fois consécutive aux municipales à Givors. Les discussions politiques sont vives. A proximité, des militants du mouvement Bleu Marine tractent, « ils sont juste derrière, ne rentrons pas dans leur jeu ». « C’est la première fois que le FN s’invite aux municipales à Givors » nous dit-on. Un journaliste du quotidien régional Le Progrès en tenu de cycliste nous salue. Le candidat nous présente par ce que nous appelons entre nous « une grosse punchline » : « Ce sont des jeunes du Bondy Blog, ils viennent de Paris et ils sont à l’heure ». Les enfants jouent dans le local, une personne âgée parle des camions qui bloquent la circulation de la ville. Nous notons avec amusement un certain accent, quand on prononce le mot jeune, ici « c’est le jeûn » accent perdu entre le Forez et le Rhône.

Un « jeûn » de la ville parle de l’apport de l’entrée de Givors dans le Grand Lyon. « Des constructions nouvelles, de routes, des transports… mais pour les jeunes j’ai rien vu. On est obligé d’en faire plus ici pour avoir les mêmes choses qu’ailleurs. On n’a qu’un seul BTS dans cette ville je ne suis pas d’accord. » Il tient à en dire plus sur la perception que les Givordins ont d’eux-même. « Tu vas voir les banlieusards qui vont te dire qu’à Givors, ce n’est pas pareil, c’est pas Villeurbanne ici, on est loin, tout le monde se parle c’est un village ». Notre matos interpelle les passants, l’un d’entre eux hésite à nous répondre et se lance : « Il y a des problèmes, bien sûr, mais je ne vais pas détailler. J’envisage de partir d’ici, je n’irai pas voter parce je ne pense pas qu’en votant il y aura des changements ».

IMG-20140216-00490Le candidat nous reçoit après avoir donné des phrases à gratter dans le calepin du journaliste du Progrès. Sourire et grande respiration pour évacuer le stress, il confie avoir pris ses congés pour s’engager pleinement dans la campagne à partir du 28 février. Dans notre discussion il aborde les questions sociales, familiales, et surtout d’éducation : « Il faut réinvestir l’humain, le problème ici c’est qu’on est moins dans la culture et moins dans le social ». L’identité givordine ? Il nous parle de son enfance, de ses 400 coups, de son rapport à la ville. Il sait d’où il vient : « Je suis du quartier des Vernes, qui a mauvaise réputation ».
Après les politesses échangées, nous décidons de quitter l’euphorie de l’inauguration. Direction le marché. Le déjà-vu frappe : un autre local de campagne, avec une liste déjà annoncée en toute transparence sur la vitrine. En l’espace de quelques mètres, nous sommes face à deux oppositions de styles qui s’affrontent sur le scrutin républicain. Un seul point commun, leur parlé givordin. L’accueil, à défaut d’être dans l’allégresse, est plus professionnel, moins spontané. Nous avons affaire au maire PC sortant : Martial Passi. Cernés par les militants qui vérifient si nous filmons ou pas les lieux, nous proposons un entretien avec l’autorisation du chargé de communication venu nous saluer et prendre la température. Ficelé et professionnel, nous rencontrons un élu reconduit depuis 1995, vice-président du Grand Lyon. Il n’y a aucun tâtonnement, ses gestes sont maitrisés : « Je reconduis une liste parce que je pense avoir encore de l’énergie et du dynamisme pour continuer le bon travail que nous avons réalisés ». Pour l’élu, affronter plusieurs listes lui semble « bon et souhaitable pour vivifier le débat politique ». Il est chagriné par la campagne négative faite « d’attaques personnelles ». C’est la fin du marché. Nous reviendrons, sans doute vers l’entre-deux-tours. On nous fait comprendre que la messe sera dite au premier tour.

changement-de-jour-et-rafales-de-vent-le-marche-du-centre-ville-fait-chou-blancAu marché situé sur la place de la mairie, certains clients sont des habitués de ces crépuscules de marchandises qui se bradent après quelques hautes négociations. C’est à la fin du bal que nous retrouvons les virtuoses du ramassage de produit abandonnés. C’est un voyage de vision en vision, comme si la politique et la campagne avaient déteint en bon vestige de ce mur imaginaire installé, qui sépare le marché des gens du quotidien, et la politique. « Bondy Blog ? Connais pas ! ». Les caméras ne sont pas les bienvenues, les questions sur les municipales non plus. L’euphorie de l’arrivée triomphale retombe. Avec du recul, venir sur la place du marché et imposer une projection autour de produit politique difficilement décryptable et décrié relève de l’hérésie. Les municipales, c’est comme demain, c’est loin et ça ne remplit pas le frigo. Ils préfèrent parler de la « vraie vie ».

Ici, les marchands sont les tripes de la ville. Ils passent à table. Leur gouaille suinte le vécu. Ils sont au chevet de Givors, ils l’aiment et la comprennent. Attentifs, ils sentent ses moindres poussées de fièvre. Du haut de ses dix années d’expérience, un vendeur de fraise décrypte la situation : « On les voit tracter. On a l’habitude vous savez. Ils viennent et ils disparaissent ». La défiance envers la politique, les journalistes, il a son idée sur la question. « C’est la France le problème ! Elle ne se regarde pas en face ! » Un écorché vif, à l’intelligence instinctive, nous parle d’une cicatrice qu’on a essayé de soigner avec du sel. Il aborde la guerre d’Algérie qui n’a jamais été « digérée des deux côtés ».

Le théâtre du marché ferme son rideau opaque et quitte la place de la mairie où chaque dimanche, jusqu’au 23 mars, se joue un drame. La quête du pouvoir dans l’indifférence, de ceux qui sont venus, en période de vache maigre, apporter du contenu à leur frigo. La caravane des municipales se rappelle à leur bon souvenir. Les candidats aboient et eux… ils passent.

Que reste-t-il de notre passage à Givors ? L’image d’un marchand qui jette un regard profond en disant : « La France n’assume pas son visage. Vous êtes français, je suis français. Ne laissez jamais personne dire le contraire. Faut se battre pour ça ! »

Saïd Harbaoui et Balla Fofana

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