[#LÉGISLATIVES2017] Farida Amrani, candidate soutenue par la France Insoumise, affrontera dimanche l’ancien Premier ministre, Manuel Valls, dans l’Essonne. L’Evryenne et son suppléant, Ulysse Rabaté, veulent apporter une alternative citoyenne au « clientélisme » local, disent-ils. Nous les avons suivis pendant l’avant-dernier jour de campagne à labourer les terres de la circonscription. Reportage.

« J’espère qu’on peut compter sur vous dimanche ! » Il est 14h30, ce jeudi après-midi, sur une place bitumée d’Evry, en plein cagnard. Farida Amrani alpague elle-même les passants sur le point de franchir les portes automatiques du centre commercial de l’Agora. La candidate, qui se présente à la députation de la 1ère circonscription de l’Essonne, est accompagnée du militant Jérôme Gouge.

Dotée d’une assurance et d’un calme déconcertants, elle est arrivée seconde au premier tour des législatives du 11 juin dernier, avec 17,61 % des voix. Manuel Valls, lui, a recueilli 25, 45 %. Ni le Parti socialiste ni En Marche ! n’avaient investi de candidat face à lui. Il ne reste désormais plus que deux jours à Farida Amrani pour convaincre les électeurs et espérer succéder à l’ancien Premier ministre à l’Assemblée nationale.

« Farida, j’ai vu son programme, elle défend le droit du travail et les ouvriers »

« Je peux prendre une photo avec vous ?” Hassan Assouari, agent de sécurité de 39 ans, a voté pour le candidat socialiste Benoît Hamon à la présidentielle. Ce dimanche, il votera « Farida« . « Je n’ai pas aimé ce qu’a fait Valls, là, se présenter sans étiquette. Il est passé hier, je l’ai même pas calculé. Farida, j’ai vu son programme, elle défend le droit du travail et les ouvriers. C’est une bonne candidate pour l’Essonne ! » lance ce fidèle électeur du Parti socialiste.

Investie par la France Insoumise, la femme de 40 ans est aujourd’hui aussi bien soutenue par les Verts, les communistes que par Benoît Hamon. « Le message qu’on essaie de faire passer, c’est qu’on représente la vraie gauche contre la droite incarnée par Manuel Valls« , explique la candidate. Et pour cause : à l’issue des résultats du premier tour, l’ancien maire d’Evry a reçu les soutiens du responsable local du mouvement d’En Marche! ainsi que celui des cinq maires de droite de la circonscription. Le sénateur LR, Serge Dassault, condamné en février 2017 pour blanchiment de fraude fiscale à 5 ans d’inéligibilité et deux millions d’euros d’amende (il a fait appel), a également appelé à voter en faveur de l’ancien Premier ministre.

Au marché de Courcouronnes, Farida Amrani cherche à convaincre les nombreux jeunes qui ne sont pas allés voter au premier tour.

Un retraité interrompt la candidate dans son tractage pour la saluer. « Et votre père ça va ? » Ici, Farida Amrani ne manque pas de notoriété. Durant le trajet, en route vers son prochain rendez-vous, nous traversons les Aunettes. Ce quartier de 5 000 habitants, pourvu d’une petite place avec boulangerie, grec et coiffeur, la Franco-Marocaine y vit depuis son arrivée en France. Elle avait 2 ans lorsqu’elle et ses parents ont quitté la ville de Berkane à quelques kilomètres de la frontière algérienne. « Les Aunettes, c’est un endroit agréable à vivre. Mes parents habitent la rue en face de la mienne », nous confie la militante, fille d’un père ouvrier et d’une mère au foyer. Elle est l’aînée d’une fratrie de 5 enfants. Ses deux soeurs sont conseillère en assurance et auto-entrepreneure ; ses deux frères, électricien et fonctionnaire territorial.

« Nous citoyens, prenons-nous en main ! »

Quand on lui demande d’où lui vient son engagement, cette mère de famille – elle a trois filles de 6, 12 et 18 ans – ne cite ni une rencontre ni un événement. Farida Amrani parle d’évidence. « C’était ancré en moi. Mes parents n’étaient pas du tout engagés mais ils nous ont transmis le sens du partage, le respect de l’autre et nous ont toujours rappelé qu’on était égaux ». Diplômée d’un BTS en transport de personne, elle débute sa vie professionnelle au STIF, syndicat des Transports d’Ile-de-France. En 2003, elle y monte une section syndicale CGT dont elle est encore responsable aujourd’hui, tout en étant désormais adjointe aux espaces naturels à la communauté d’agglomération « Cœur d’Essonne ». « À chaque fois que j’ai senti qu’il y avait des injustices, je n’arrivais pas à me retenir, j’étais obligée de m’insurger« .

Puis, il y a eu son expérience de parent d’élève, un élément déclencheur dans son engagement. « En 2013, ils ont voulu appliquer la réforme des rythmes scolaires sans aucune concertation, ni avec les parents ni avec les enseignants. Nous n’étions pas d’accord et nous sommes venus avec des propositions concrètes. Mais le maire d’Evry, Francis Chouat, nous a alors rétorqué : ‘Si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à monter une liste aux municipales’. Je me suis dit ‘Ok, nous citoyens, prenons-nous en main !’ et  je l’ai fait ».

« Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos »

Vers 15h30, Farida Amrani rejoint une dizaine de militants, tous affairés à tracter sur le marché de Courcouronnes. Le monde grouille entre les étals. « Amrani, elle va gagner Incha’Allah », glisse une femme en réglant ses « msemens », ces sortes de crêpes typiques d’Afrique du Nord. Pour Mohammed Taibi, imprimeur à la retraite de 64 ans, « ce qu’a dit Valls, c’est irrecevable pour les immigrés ». L’habitant évoque la fois où, en juin 2009, l’ex-socialiste avait eu cette phrase : « tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos » lors d’une balade dans une brocante visiblement trop colorée à son goût. Un sujet sur lequel la candidate de la France Insoumise rebondit franchement, se disant « fière » de sa double culture. « Pour moi, contrairement à ce que peuvent penser certains, c’est une richesse ».

« Manuel Valls compte sur l’abstention pour gagner. Il ne communique pas, ne veut surtout pas instaurer d’ambiance de duel et veut qu’on oublie son bilan »

Elle le sait, la clé d’une éventuelle victoire de sa candidature sera liée à la participation. Dimanche dernier, seuls 40% des inscrits se sont déplacés pour voter. « Manuel Valls compte sur l’abstention pour gagner. Il ne communique pas, ne veut surtout pas instaurer d’ambiance de duel et veut qu’on oublie son bilan. Alors que notre combat à nous, c’est le terrain. On rappelle sans cesse que son bilan, il est bien là : c’est le 49.3« , martèle Farida Amrani.

L’équipe de campagne a installé sa permanence aux Epinettes à Evry à 18h30 et restera en place jusqu’à minuit !

« On cherche à inventer une gauche nouvelle, citoyenne, ouverte et en rupture avec le Parti socialiste »

Pour réussir à convertir un maximum d’abstentionnistes, la joyeuse équipe met le paquet, arpente les quartiers à la rencontre des électeurs. 18h : direction le quartier populaire des Epinettes, à Evry. L’équipe de militants grossit, ils sont désormais une vingtaine rejoints par quelques sympathisants du coin. Ulysse Rabaté, le suppléant de Farida Amrani, revient, lui, d’une sortie d’école, un classique. Lui et Farida sont désormais inséparables depuis qu’ils se sont lancés dans cette campagne. Ulysse, 30 ans, cadre de la fonction publique à Villeneuve-saint-Georges, est conseiller municipal d’opposition à Corbeil-Essonnes. Le militant a déjà une sacrée expérience derrière lui. Candidat Front de gauche aux élections législatives de 2012, il s’est fait remarquer avec son film En attendant Coco, un court-métrage où il raconte l’aventure d’une liste citoyenne en banlieue. De la fiction à la réalité. « J’ai rencontré Farida en 2014, quand elle a monté sa liste aux municipales. J’ai tout de suite apprécié son courage à un moment où personne ne lui disait d’y aller ». Une de ses fiertés : la composition de leur équipe. « On a une immense majorité de gens qui ne sont membres d’aucun parti politique, qui cherchent surtout à inventer une gauche nouvelle, citoyenne, ouverte et en rupture avec le Parti socialiste ».

Une campagne financée par un prêt personnel de 25 000 euros

Ici, on revendique une chose : le refus des pratiques habituelles politiciennes. Mais qui dit absence de parti dit absence de soutien financier et logistique. Conséquence : l’équipe se finance avec un prêt de 25 000 euros contracté personnellement par la candidate. Pas de permanence pour le binôme : les réunions se font au domicile d’Ulysse. « Bien loin des moyens déployés par Manuel Valls. Les gens nous disent que ses équipes mobilisent les électeurs à grand renfort de phoning ciblé », déplore un militant de l’équipe de Farida Amrani.

Chaque soir, c’est la même méthode : l’équipe de campagne installe table et affiches en bas des tours avant que le groupe ne se sépare en binômes pour démarrer méthodiquement les opérations de porte-à-porte. Farida Amrani enfile les marches des escaliers des bâtiments accompagnée d’une militante. « Salam Aleykoum, je n’ai pas le droit de vote« , s’excuse une première dame. « Vous connaissez bien des gens qui peuvent voter donc, tenez,  je vous laisse mon tract », rebondit la candidate. À la porte suivante, une mère de famille répond que la politique « ne l’intéresse pas » et qu’elle n’ira pas voter. Farida Amrani ne lâche rien. « Les problématiques, je les connais. Je travaille aussi, j’ai des enfants. Je suis en campagne mais ce matin j’étais à l’école pour déposer ma fille. Et vous savez qu’il ne reste plus que deux candidats ? » Plus loin, une jeune femme, guillerette, accrochée au bras d’une copine s’exclame : « Ah j’ai jamais voté de ma vie mais vas-y, là, je vais voter pour toi ! »

Un militant de la France insoumise en discussion avec Simon Gweha, aux Epinettes, à Evry.

Devant l’alimentation générale des Epinettes, Simon Gweha, postier de 33 ans qui a grandi dans la cité, discute avec un militant de la France insoumise. « Les gens à Evry en ont marre de Valls, c’est vrai. Mais tu vois, Francis Chouat, c’est son poulain. Ils ont un petit système. Je connais beaucoup de familles qui ont des associations et qui reçoivent de l’argent grâce à eux. Alors, ils préfèrent rester avec ce qu’ils ont déjà et ne pas prendre le risque de perdre cette aide« . Un son de cloche souvent entendu chez les militants opposés à l’ancien maire. Ulysse Rabaté a d’ailleurs co-écrit avec Bruno Piriou, le directeur de leur campagne, élu d’opposition à Corbeil-Essonnes comme lui, un ouvrage intitulé L’argent maudit – au cœur du système Dassault, décrivant ce qu’ils appellent  le « clientélisme » mis en place par le marchand d’armes à Corbeil-Essonnes. Pour le co-auteur de l’enquête, « le clientélisme se nourrit d’abord des inégalités de la société et, pour le combattre, il faut aussi construire une gauche neuve ». Avant les grandes ambitions, les petites mains de la campagne de Farida Amrani continuent leur tournée à frapper aux portes pour convaincre les électeurs et les abstentionnistes jusqu’au coucher du soleil.

Lina RHRISSI

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