À 37 ans, le député et porte-parle a réussi a faire entendre sa voix, dans l’hémicycle, au parti socialiste et surtout dans les médias. retour sur la Syrie, l’affaire Gollnisch et son parcours.

Dans son bureau, au 128 rue de l’Université, près de l’Assemblée nationale, une grande photo est placardée sur l’armoire. Eduardo Rihan Cypel y figure aux côtés de celui qui l’a lancé en politique, Gilbert Roger (sénateur Ps et ancien maire de Bondy). Sur les étagères de la bibliothèque, Jean Jaurès y occupe une bonne place, avec quelques figures du socialisme. À 37 ans, le contraste avec les autres députés est saisissant : aucun cheveu blanc, démarche vive, jean, veste entrouverte et maîtrise parfaite de son smartphone. Mais, être jeune en politique, n’est pas forcément un avantage, il faut combattre le conservatisme politique, même si « dans ma famille politique, on laisse sa chance à la nouvelle génération […] Quand on regarde à l’Ump, ce n’est pas forcément ça ».

Eduardo Rihan Cypel est un homme pressé. L’iPhone greffé à la main, le député et porte-parole du Parti socialiste, est né de l’autre côté de l’Atlantique en 1975, à Porto Alegre, au Brésil. Arrivé en France à l’âge de 10 ans, il garde de son pays de nombreux souvenirs sur lesquels il aime s’étendre. C’est à Créteil (Val-de-Marne) qu’il débarque, sans parler la langue de Molière. Il l’apprendra en classe d’initiation pour non-francophones. Il rattrape ses lacunes et poursuit des études de philosophie à Paris XII, avec l’idée d’enseigner. En 2000, il passe le concours de Science Po Paris : « je voulais renforcer mon cursus universitaire (…), car un philosophe se doit de bien comprendre l’histoire et les enjeux économiques ».

À 22 ans, il obtient la nationalité française. L’actuel porte-parole du Ps s’est toujours intéressé à la politique, c’est « quelque chose d’essentiel pour n’importe quel citoyen ». S’il ne veut pas en faire encore son métier, il entend mener des combats sans être encarté. Mais le 21 avril 2002, c’est le choc. Le Ps est éliminé au premier tour contre le Front national. « Alors je me suis dit coco, tu peux pas uniquement vouloir jouer les intellos dans la cité, il faut à un moment être utile au combat politique pour que la gauche retrouve la place qui lui convienne dans la politique française ».

En 2004 il adhère au Ps, influencé par des figures Lionel Jospin, un des « plus grand ministre de la Vème république ! ». Son ascension politique est rapide : en 2008, il est élu conseiller municipal de Torcy (Seine-et-Marne). Deux ans plus tard, il devient conseiller régional d’Île-de-France. En 2012, député de la 8e circonscription de Seine-et-Marne, puis il se voit attribuer le rôle de porte-parole du Ps en 2013. « Je crois que la réussite d’un combat politique dépend de l’abnégation, dit-il après un long moment d’hésitation, de la détermination et des convictions profondes ». Il conclut avec un large sourire : « Est-ce que j’ai ces qualités ? C’est à la presse de me le dire ».

L’affaire Gollnisch

Le 3 août dernier, Bruno Gollnisch (député européen et conseiller général Fn) s’est attaqué au porte-parole du Ps, dans une vidéo postée sur son blog. Il le qualifie de « Français de relativement fraîche date », qui lui fait penser « à ces gens que vous invitez chez vous et qui, une fois qu’ils y ont pris pied, veulent faire venir un peu tout le monde ».

Eduardo Cypel ne s’attendait pas à cette attaque « blessante et méprisante ». Il n’y avait pourtant aucun précédent entre les deux hommes. « Cela ne me surprend pas en connaissant l’histoire de celui qui a porté l’attaque. Il est dans la droite ligne de l’extrême droite française […] Ces gens-là n’ont rien compris à notre nation et me refuseront toujours le droit d’être un français comme les autres. C’est contraire à l’esprit de la République française ». Cependant, Eduardo ne réagit pas à chaud, préférant garder son sang-froid afin de prendre de la hauteur « pour ne pas se laisser entraîner dans la spirale de la violence dans lequel ce monsieur m’appelait ».

Cette attaque est la preuve que « le FN reste fidèle à lui-même, contrairement à ce que raconte madame Le Pen. Un parti avec une idéologie raciste qui veut faire le tri parmi les Français en fonction de leurs origines ». Eduardo Cypel raconte qu’avant même l’attaque de B. Gollnisch, il recevait des lettres, des appels et des mails à caractère raciste, en particulier après ses apparitions médiatiques le confrontant à des hommes d’extrême droite : « j’ai toujours dénoncé les propos et les thèses de l’extrême droite qui sont pour moi insupportables, au fondement même de mon engagement politique [le 21 avril 2002] ».

Le parlementaire se targue d’être « en première ligne de défense républicaine face à l’extrême droite ». Sûrement le motif principal pour lequel B. Gollnisch a attaqué le porte-parole socialiste. « C’est peut-être pour se refaire une santé médiatique, lui qui était en perte de vitesse ». Il remarque d’ailleurs un « effet Gollnisch », il a « libéré la parole raciste », souligne-t-il avec dépit.

Par ailleurs, le député pointe le silence de Marine Le Pen dans cette affaire . « Elle n’a pas condamné les propos de Bruno Gollnisch […] ce qui prouve qu’elle consent à ce qu’il a dit ». Selon le porte-parole socialiste, cette non-intervention démontre que la présidente du Front national et le député européen se partagent les tâches de manière efficace : l’un « dédiabolise » l’image sulfureuse du parti, tandis que le second promulgue des idées ouvertement xénophobes.

Trois jours après l’attaque, Eduardo Cypel et son avocat décident de porter plainte contre Bruno Gollnisch. Cette plainte sera déposée en septembre.  « Il ne faut pas laisser passer cette attaque ni sur plan politique, ni sur le plan juridique ». Cependant, l’ancien numéro 2 du Front national ne l’entend pas de cette oreille. Il propose deux autres alternatives. Un débat, auquel il répond : « s’il est en manque de présence médiatique, c’est son problème ». Le tout, soulignant qu’il n’a nullement peur de débattre avec un membre de l’extrême droite et qu’il n’avait pas besoin de cette affaire pour sa visibilité médiatique. « Depuis que je suis porte-parole du parti socialiste, il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une émission télé, radio ou la presse écrite qui vienne me solliciter. D’autant plus que ce n’est pas agréable d’être attaqué sur son identité et son histoire personnelle ».

La seconde alternative proposée par Bruno Gollnisch, pareil à un mousquetaire, c’est le duel à l’épée ! À cette proposition, Eduardo Cypel répond sèchement, perdant son sourire « j’ai passé l’âge de tomber dans les provocations d’un vieux monsieur d’extrême droite ».

« On n’est pas sorti de l’Afghanistan pour aller en Syrie ! »

Qui a dit que la vie des députés se résumait aux fêtes et aux cérémonies ? Eduardo Cypel déclare être particulièrement occupé par la gestion du dossier Syrien. Soutien inconditionnel pour une intervention dans ce pays, il dit détenir des preuves « indéniables » de l’utilisation d’armes chimiques par Bachar El Assad.

Il rédige une dépêche le 2 septembre, critiquant la position de la droite sur la gestion de ce dossier. Position qu’il qualifie de « politicienne ». Le principal parti de l’opposition réclame un vote du parlement pour décider de la tournure des événements. D’ailleurs, le député affirme: « La France a une Constitution modifiée en 2008 par Sarkozy, soutenu par l’Ump, dans laquelle le vote préalable du parlement pour une intervention militaire n’est pas nécessaire, c’est la prérogative absolue du président ! ». Le porte-parole du Ps s’indigne alors du fait que l’Ump ne respecte pas la constitution « pour des revendications politiciennes » alors qu’ils se veulent héritiers du gaullisme, « aujourd’hui, les gaullistes sont au parti socialiste ! ».

Cependant, il semble judicieux de rappeler que François Hollande, en 2003 et en 2008, à propos de la guerre en Afghanistan, avait accusé Nicolas Sarkozy d’entretenir une « désinvolture à l’égard » du parlement pour avoir refusé d’organiser un vote à l’assemblée.

En France, la controverse ne cesse de croître due à l’hostilité du peuple, à 64% contre l’intervention en Syrie (étude Ifop, publiée par Le Figaro le 6 septembre). Eduardo Cypel, lui, souhaite intervenir à cause de « l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar El Assad ». Selon lui, le seul débat valable n’est pas de savoir si oui ou non, la France doit intervenir en Syrie, mais quel est le type de réponse appropriée à la situation. « Il ne s’agit pas d’intervenir comme l’ont fait les États-Unis et la Grande-Bretagne en Irak (…) puisque c’était fondé sur un mensonge d’état ».

Le message le plus « clair » que la France pourrait adresser à la Syrie serait quelques frappes ciblées. « Il n’y aura pas d’attaques au sol ou de bombardements par des avions. On n’est pas sorti de l’Afghanistan pour aller en Syrie ! ». Le porte-parole du Ps souhaite montrer que son parti a su tirer des leçons du passé. Notamment en évoquant la mise en place d’un processus politique. « Il n’y aura de sortie de crise que grâce à la politique », pour éviter de reproduire le même cas de figure qu’en Irak, en Libye ou en Afghanistan. Selon lui, dans cet entretien accordé avant l’accord américano-russe trouvé le 14 septembre, la Russie et l’Iran doivent faire partie de cette solution « afin de mettre fin à la guerre civile en Syrie qui a déjà causé environ 110 000 morts ».

Cypel avoue que cette guerre pèse sur la crédibilité des États-Unis et de la France puisque « le régime de Bachar El Assad a dépassé la ligne rouge fixée par les Américains en utilisant des armes chimiques ». Le député souligne le fait que les États-Unis et la France ont le pouvoir d’asseoir l’intervention en Syrie dans le cadre de la légalité. Ce grâce aux conventions internationales qui autorisent les états à intervenir dans les pays où des armes chimiques sont utilisées contre la population. Par ailleurs, Cypel refuse de parler du «suivisme de la France» vis-à-vis des États-Unis: « le président affirme depuis le début que le massacre chimique ne peut rester sans réponse et que la France est prête à adresser une réponse forte à Damas ». Et dans son intervention télévisée, le 15 septembre dernier, François Hollande, a réaffirmé sa position : « l’option militaire doit demeurer, sinon il n’y aura pas de contrainte« .

Le porte-parole socialiste est aussi spécialiste de la cybersécurité. Selon lui, les cyberattaques ont trois principales cibles : la défense nationale (hôpitaux, transports, télécommunications…), la protection de la souveraineté des individus, et l’économie. «Il y a un cyberespionnage pour voler des secrets industriels et des brevets de l’autre côté de l’Atlantique donc il faut protéger l’innovation! D’ailleurs, les entreprises doivent aussi nous aider dans cet effort. Aujourd’hui, il n’y a pas une seule entreprise française qui ne soit pas victime de cyberespionnage ».

« La gauche ce n’est pas le laxisme »

Il estime que le « cyberdomaine » doit être maîtrisé, car « il n’y a pas un conflit qui n’ait pas une entrée en matière par une cyberattaque ». C’est pourquoi le député de Seine-et-Marne considère que créer des emplois dans ce domaine serait réalisable, et non superflu. D’ailleurs, il évoque le nouveau budget qui va être alloué à l’armée durant les cinq prochaines années. Celui-ci considère comme une priorité le domaine de la cybersécurité et du renseignement : « cela va se traduire par plus d’investissement dans la recherche et le développement, 120 nouveaux postes dans l’Agence Nationale de Sécurité des Système d’information (ANSSI) pour se mettre à niveau».

Cypel invoque à plusieurs reprises la « protection de la souveraineté des individus sur le Net ». Cependant, lorsque l’on évoque le rapport « Global Governement Requests Report», publié par Facebook le 27 août, révélant que la France a effectué 1 547 demandes de données d’utilisateurs, le porte-parole se fait plus concis. Il dit ne pas être au courant de cette histoire. «Il y a beaucoup de vide juridique dans ce domaine qui fait l’objet de dérives (…) il faut trouver un équilibre entre liberté et sécurité ».

Quant au sujet de l’immigration, le porte-parole ne trouve pas que, compte tenu de son histoire personnelle, soutenir Manuel Valls soit un choix paradoxal même si ce dernier refuse de régulariser plus que sous Sarkozy (30 000 régularisations par an). « C’est le même Manuel Valls qui a supprimé la circulaire Guéant. Je suis favorable à régularisation économique et financière de la même façon que je suis favorable à la régularisation migratoire ». Il explique alors les avantages de la circulaire Valls : des conditions précises de régularisation (durée de travail, scolarisation des enfants,…). « Alors que la circulaire Guéant dépendait de l’arbitraire de chaque préfecture pour baisser le nombre de régularisation […] selon une idéologie proche de celle du FN qui vise à faire un amalgame entre insécurité et étrangers, ce qui est contre les valeurs républicaines». D’ailleurs, Eduardo Cypel souligne le fait que l’on accuse Manuel Valls de trop naturaliser (augmentation de 14% en un an alors que Nicolas Sarkozy avait divisé le nombre de naturalisations par deux). Cypel expose avec convictions ses arguments, le tout en insistant sur le fait que « la gauche ce n’est pas le laxisme ».

Le jeune député confie être parfois en désaccord avec le PS, mais « très rarement, car je suis fier de ce qu’a fait le gouvernement depuis le début de son mandat. De toute façon, lorsque je n’approuve pas l’action gouvernementale, je garde ses remarques pour les débats internes. Il faut être discipliné et savoir accepter la règle de la décision collective ».

Quant à la possibilité qu’il devienne, un jour, le premier président issu de l’immigration, il répond en rigolant. « Ah, si vous me donnez des idées… Il ne faut tirer aucun plan sur la comète pour réussir en politique, mais il ne faut jamais rien exclure dans la vie. Il faut d’abord faire son travail. Je souhaite en priorité que la gauche puisse travailler dans la durée, car elle a besoin de temps pour changer en profondeur la société française et je vais tout faire pour abonder dans ce sens ».

Tom Lanneau

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