A quelques pas de la gare de Gagny (93), devant l’entrée de sa permanence, une photo de Claude Dilain côtoie celles de la campagne du candidat François Hollande en 2012. Élue de Seine-Saint-Denis, département qui s’est abstenu à près de 70 % lors des élections départementales de mars dernier, elle propose d’allonger les périodes d’inscription sur les listes électorales, mais également d’en moderniser le fonctionnement pour « revitaliser notre démocratie ». En plus d’une abstention qui ne cesse de croitre, nous comptons aujourd’hui environ 3 millions de non-inscrits et près 6,5 millions de mal-inscrits sur les listes électorales françaises.
Bondy Blog : Avec Jean-Luc Warsmann (UMP), vous êtes rapporteuse d’une loi visant à moderniser les listes électorales. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Élisabeth Pochon : En faisant notre rapport de mission, en décembre 2014, on s’est rendu compte que l’une des raisons pour lesquelles les gens ne s’inscrivaient pas ou peu, c’était quand le moment de clôture des inscriptions sur les listes électorales était très décalé de la date des élections parce l’envie d’aller voter vient dans les dernières semaines avant le scrutin. C’est à ce moment-là que les candidats sont connus et qu’il y a une forme de dynamisme qui s’inscrit dans la campagne électorale. Or, aujourd’hui, les élections régionales sont repoussées jusqu’en décembre 2015 et pour aller voter, il faut être inscrit avant le 31 décembre 2014, quasiment un an avant. Tous ceux qui n’y ont pas pensé ou qui auront déménagé auront le bec dans l’eau et ne pourront pas aller voter aux élections régionales. Donc la première de mes propositions est de rouvrir exceptionnellement les listes électorales, de permettre à tous les citoyens français d’aller s’inscrire entre juillet et septembre.
Cette proposition ne serait donc valable que pour les élections régionales de 2015 ?
De cette mesure exceptionnelle est née une plus grande ambition, une autre loi que nous sommes en train de préparer, à la demande de François Hollande qui a demandé à ce que l’on puisse s’inscrire jusqu’à un mois avant un scrutin. Mais il y a des manipulations techniques entre l’INSEE et les mairies qui nécessitent du temps, il faut donc réformer plein de choses à ce niveau-là. Notamment les procédures informatiques parce que les échanges entre l’INSEE et les mairies se faisaient à 90 % sur papier ! Donc tout ça nécessite de travailler sur le long terme. Il y avait cette urgence puisqu’en décembre nous avons les élections régionales, mais l’année 2016 est normalement une année sans élections et la suivante est celle de la présidentielle. Donc nous avons 18 mois pour rendre cette loi applicable pour 2017. Il est alors prévu que les gens puissent s’inscrire en continu, jusqu’à un mois du scrutin.
Est-ce que ces difficultés sont une spécificité française ?
On est pratiquement les seuls en Europe à avoir une position aussi stricte parce qu’il y a beaucoup de pays qui ont opté pour la domiciliation. C’est-à-dire que quand vous déménagez, la mairie met en place des fichiers qui se mettent automatiquement à jour, et cela concerne notamment les listes électorales. En France, c’est une obligation de s’inscrire sur les listes électorales, mais il n’y a pas de sanction si vous ne le faites pas et en plus vous n’êtes pas inscrit une fois pour toutes. Si vous déménagez, même dans la même ville, c’est à vous de faire la démarche pour être inscrit au bon bureau de vote. Or, il y a plein de gens qui pensent que cela se fait automatiquement. Donc il y en a qui changent de villes, qui n’ont pas fait les démarches, et qui ne peuvent pas voter. C’est ce qu’on appelle les mal-inscrits. On veut moderniser toute une administration, et puis aussi la sécuriser, il faut que la liste électorale soit fiable. Car sinon, elles peuvent être instrumentalisées.
Est-ce que cette proposition de loi est liée au fait que le département où vous avez été élu est celui qui s’abstient le plus en France métropolitaine ?
C’est certain. Mais ça vient aussi de plus loin pour ma part. J’ai été CPE dans des établissements scolaires de Gagny (93) et il se trouve qu’une des fonctions d’un CPE est la citoyenneté des élèves. Donc j’ai toujours été extrêmement attentive à ce que les élèves, qui sont des citoyens en herbe, connaissent le fonctionnement de leurs institutions et sachent comment voter. J’organisais par exemple des élections avec des cartes d’électeurs, des registres et des dépouillements pour le conseil général des jeunes afin de leur apprendre comment et pourquoi on vote.
Mais c’est vrai, nous sommes dans un département où les citoyens ne se jettent pas facilement dans la participation. Donc ce n’est pas uniquement l’inscription la problématique. On sait bien que les facteurs sont sociaux, économiques, politiques… Mais je crois quand même qu’il y a une part de difficulté à surmonter une partie administrative. Parfois quand on se déplace à la mairie, on n’a pas le bon papier, vous n’avez pas le même nom que la personne qui a le bail etc. Donc si vous n’êtes pas totalement mobilisé, si en plus on ne vous simplifie pas le travail et que vous êtes seul pour faire les démarches, la tâche est d’autant plus compliquée. Et puis certaines lois ont du mal à être mises en place. En 1997, il avait été décidé que tous les jeunes de plus de 18 ans devaient être inscrits de façon automatique. Donc normalement, on ne devrait avoir personne de moins de 35 ans qui ne soit pas inscrit. Ce n’est pas le cas.
Et où en est votre loi dans son parcours parlementaire ?
Elle a été approuvée par l’Assemblée nationale en première lecture au mois de mars. Mais les sénateurs ont décidé qu’elle ne leur plaisait pas. C’est d’abord une question de posture, car ils ont très mal vécu le redécoupage des régionales et se sont donc montrés sévères en disant « vous ne nous avez pas écouté et fait les régions comme vous voulez, tant pis pour vous ». Ils ont également opposé le fait que notre loi était un bidouillage électoral. Or, comme notre rapport le montre, la mal-inscription concerne majoritairement les classes plutôt aisées pour des raisons de mobilité professionnelle. De quel bord sont-ils ? Je pense que personne ne peut dire quel parti cela favorisera. Le Sénat quant à lui propose d’ouvrir à ceux qui ont déménagé une liste d’exception d’inscription jusqu’à dix jours avant les élections qui était jusqu’ici destinée aux militaires, aux nouveaux naturalisés…
Mais comment aurez-vous la preuve d’un déménagement ? Et ces rares exceptions jusqu’à dix jours mettaient l’INSEE et les mairies dans une posture délicate puisque ça se déroulait au dernier moment. Or avec la proposition du Sénat, il risque d’y avoir un afflux important sur les listes d’exception ! On estime qu’il y a 15 % des gens qui bougent dans une année. Et 15 % des gens qui viendraient s’inscrire dans les 10 derniers jours, l’INSEE et la mairie vont exploser et on aura des listes qui ne seront pas sécurisées. Comme le Sénat n’a pas ratifié la proposition de loi votée par l’Assemblée, on aura la semaine prochaine une commission mixte paritaire pour avoir un espace de médiation. Mais les sénateurs risquent de tenir une position ferme. Et je ne sais pas si on aura le temps de faire des relectures dans le calendrier parlementaire et législatif d’ici les régionales. Si ça n’aboutit pas, les votants seront les inscrits du 31 décembre 2014. Donc les sénateurs porteront le chapeau de ne pas avoir permis à des gens de se réinscrire, ce qui pouvait constituer une remobilisation électorale.
Est-ce que vous avez une idée du nombre de personnes que votre projet est susceptible de ramener aux urnes ?
Non. L’appétit électoral varie en fonction des élections. Les présidentielles plaisent, il y a peu de soucis de mobilisation, car les gens se sentent concernés et médiatiquement ça prend toute la place, personne n’ignore qui est candidat. Pour les autres, ça demande déjà de se pencher sur les choses. Et puis le mode militant a changé, car dans le temps, les militants habitaient dans le creux des cités, aujourd’hui, quand vous êtes dans un parti, vous travaillez à côté, vous communiquez par des tracts, vous allez dans les quartiers une fois de temps en temps, c’est plus compliqué de rentrer en communication directement avec les gens. Alors il faut d’abord retrouver cette proximité, en passant peut-être par les réseaux sociaux pour redonner aux gens l’appétit de l’engagement. On entend « les politiques tous pourris », mais j’ai envie de dire, si vous voulez les changer, il ne tient qu’à vous ! Personne n’oblige Balkany à être réélu six mandats de suite, sauf les gens qui ont envie que ce soit leur maître ! C’est le paradoxe. Pareil, les gens râlent contre le cumul des mandats alors qu’ils élisent des cumulards.
Est-ce que vous croyez que le vote obligatoire, défendu par Claude Bartolone, soit réellement une solution pour renouer le contrat démocratique en France ?
C’est une idée qui ne me plait pas particulièrement. Déjà, techniquement, c’est impossible. Qui dit vote obligatoire dit sanction à l’égard de ceux qui ne voteront pas. Mais comment être sûr que tous les Français sont inscrits pour voter, sans y adjoindre une obligation de domiciliation ? Est-ce qu’on va punir ceux qui sont inscrits et laisser ceux qui ne le sont pas ? Sur le plan symbolique, est-ce que c’est ça le message qu’on envoi ? Voter sous condition punitive ? Moi je suis comme Ségolène Royal quand elle dit qu’elle ne veut pas d’écologie punitive, c’est une chose à laquelle on doit adhérer. Je pense qu’il faut que les politiques et les citoyens travaillent ensemble pour faire des votes ou des refus d’adhésion. Et puis, avec le vote obligatoire, il faudrait également changer le vote blanc, car actuellement il est reconnu, mais il n’est pas comptabilisé dans le résultat final sinon ça fragiliserait trop les moyennes. Or, si tout le monde votait, on pourrait comptabiliser le vote blanc comme un autre.
En 2012, François Hollande avait promis le droit de vote aux étrangers, ce n’est aujourd’hui qu’un vœu pieux ?
Moi j’étais une fervente partisane du droit de vote des étrangers, c’est même le dossier que j’ai demandé à la commission des lois quand je suis arrivée. Mais je crois qu’on s’est un peu fait avoir par le calendrier et qu’on aurait dû le faire dans les 6 premiers mois. Je ne pense pas qu’on aurait réussi, car il aurait fallu réunir un congrès et obtenir les 3/5ème des suffrages, ce qui est au-delà de notre majorité. Il nous fallait environ 60 députés de droite qui votent pour cette proposition, et dans les discussions informelles, on ne les avait pas. On peut aussi évoquer un début de mandat difficile entre l’augmentation du chômage, les fermetures d’entreprises…
Je pense également qu’aujourd’hui cela a plus une valeur symbolique. D’ailleurs, la demande émane principalement des jeunes, un peu comme une reconnaissance pour leurs parents. Or, nous avons obtenu que la naturalisation des plus de 65 ans se fasse dans des conditions de vitesse record, cela fait partie de la loi vieillesse. Donc je pense qu’ils sont de moins en moins dans le cas de figure de la loi sur le droit de vote des étrangers. Cela reste quand même un thème très important, mais plus nous avançons vers les présidentielles, plus le sujet va être compliqué quand on voit ce vers quoi tourne Nicolas Sarkozy, la méfiance à l’égard étranger et les problèmes réanimés par les événements de janvier.
Propos recueillis par Tom Lanneau

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