#BESTOF Un décret publié le 20 juillet détaille les restrictions budgétaires des ministères. La politique de la ville sera privée de 46,5 millions d’euros sur un budget de 411 millions, soit 11% de son budget. Lors de sa campagne, Emmanuel Macron avait pourtant multiplié les déclarations d’intention en faveur des quartiers populaires. Le Bondy Blog avait passé au crible son programme. Retour en arrière.

Radicalement opposés sur l’écrasante majorité des sujets, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se rapprochent sur un point : ils ont tous deux accordé une place exigüe à la question des quartiers populaires dans leur campagne. Emmanuel Macron y a bien fait un ou deux coups de communication, comme l’annonce de sa candidature à Bobigny à l’automne 2016, ou sa récente visite à Sarcelles la semaine dernière.

Le retour des « emplois francs », mesure abandonnée par Hollande

Pour trouver une mesure spécifique aux quartiers populaires dans le programme du candidat d' »En Marche ! », il faut bien creuser. Il n’y en a qu’une pour lutter contre le chômage, par exemple : le retour des « emplois francs ». Un dispositif qui offre à chaque entreprise 15 000 euros en échange de l’embauche d’un habitant de quartier populaire. Et une mesure qui n’a rien d’une innovation, puisqu’elle avait été lancée puis abandonnée par François Hollande entre 2013 et 2015. Depuis son bureau de Bercy, l’ancien ministre de l’Economie a dû voir passer cet échec cuisant : fin 2014, seuls 250 jeunes avaient été embauchés grâce à ce dispositif. Cela n’a pas rebuté Macron, qui le relance donc mais avec une prime réhaussée, de 5 000 à 15 000 euros, et une limite d’âge à 30 ans supprimée. Reste à savoir si cela sera suffisant.

Pour le reste, Macron n’adresse pas de discours spécifique aux quartiers qui disposent quant à eux bel et bien des problèmes spécifiques. Il veut que ses solutions plus globales aident à tirer vers le haut les habitants des banlieues. Mais ses solutions sont difficiles à évaluer. Il veut par exemple lancer un « effort national » pour « former 1 million de jeunes et 1 million de demandeurs d’emploi ». L’intention est louable. Mais le candidat à l’élection présidentielle ne précise à aucun moment quand, comment, avec quels moyens et par qui ces millions de personnes seront formées.

Des zones d’ombre sur la question de la lutte contre les discriminations

Même flou sur les questions de discriminations. L’ancien locataire de Bercy parle bien de « priorité » à ériger, mais pour le reste… La seule précision est la suivante : « Nous développerons des opérations de contrôle aléatoires et imprévues à grande échelle en matière d’accès à l’emploi et au logement ». Là encore, Macron trouve ses recettes dans les vieux pots. Le contrôle et les multiples opérations de testing ont été tentées, retentées et re-retentées par les gouvernements successifs. Si bien qu’il paraît aujourd’hui facile à prouver que, oui, des discriminations existent en France pour accéder à un emploi, un logement… Mais Macron ne répond pas à la question principale : que fait-on contre ceux qui s’en rendent coupables ? Attribuera-t-il des moyens exceptionnellement importants à cette cause « prioritaire » ? Sur la question des discriminations, le collectif « Pas sans nous » a par exemple proposé à tous les candidats à l’élection présidentielle des solutions concrètes. Parmi elles, la création de commissions citoyennes indépendantes de vigilance des institutions judiciaires et policières, le report à 5 ans du délai de prescription en matière de discrimination, le renforcement des prérogatives du Défenseur des droits… Emmanuel Macron n’a pas répondu à l’appel et aux propositions du collectif.

Pas plus de gestes aux acteurs de terrain sur le terrain de la sécurité. Pour lutter contre le contrôle au faciès, par exemple, Macron propose… les caméras-piétons. Déjà testées et adoptées par l’actuel gouvernement (sous l’impulsion de Manuel Valls, à l’Intérieur puis à Matignon). Ces fameuses caméras déclenchées au gré de la volonté des policiers et dont les procédures de visionnage et de contrôle des images déçoivent les associations. En revanche, rien sur le récépissé, abandonné en rase campagne par Hollande après son élection en 2012.

La police de proximité, oui mais combien et où ?

Autre mesure, là encore pas sortie du chapeau de Macron : le retour de la police de proximité, lancée par le gouvernement socialiste en 1998 puis abandonnée en 2003. À l’époque, elle n’avait pas montré son efficacité. Et aujourd’hui ? Macron ne dit pas de combien d’hommes elle sera composée ni à quels quartiers en particulier elle sera affectée. Il indique en revanche qu’elle aura des droits renforcés et des possibilités plus grandes de « sanctions immédiates » : contraventions mais aussi interdictions de « fréquenter le quartier » pendant un certain temps. Une mesure d’éloignement décidée « sous le contrôle » d’un juge, précise Macron, mais qui interroge en matière de libertés individuelles.

Enfin, sur la problématique de l’éducation, Emmanuel Macron propose, en REP et REP+, la division par deux des effectifs des classes de CP et CE1. Il promet également que les jeunes enseignants tout juste diplômés ne seront plus affectés en REP+, sauf choix volontaire et rémunéré (une prime de 3000€ par an). Des mesures qui devraient être saluées par les acteurs de terrain, mais dont le financement posera question. Sur la réduction des effectifs, par exemple : Macron ne propose de créer que 4 à 5 000 postes en 5 ans, contre 60 000 lors du précédent quinquennat. Dès lors, des postes promis au secondaire (collèges et lycées) devrait être finalement affectés au primaire. Ce qui va déplacer – sans effacer – les revendications. Sans compter que le favori de l’élection promet de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires. Ce qui n’est pas de nature à rassurer dans des quartiers où les services publics sont déjà réduits à la portion congrue.

Dire aux habitants des quartiers ce qu’ils veulent entendre ne suffit pas

C’est là résumée toute la difficulté du programme d’Emmanuel Macron. Nous avons écrit ici que Macron avait une fâcheuse tendance à dire à chacun ce qu’il voulait entendre en période électorale. Aux habitants des banlieues, il a donc dit ce qu’ils attendaient. Il veut lutter contre l’assignation à résidence des habitants des quartiers, veut favoriser leur mobilité et leur réussite, ambitionne de renforcer leur sécurité et souhaite faire de la lutte contre les discriminations une priorité…

Mais les chats échaudés de banlieue savent à quel point il faut craindre l’eau froide des vœux pieux de politiciens en campagne. Ce qu’ils attendent, ce sont des solutions, des chiffres, des moyens, des engagements concrets. Au sujet des quartiers populaires, ces éléments pourtant indispensables manquent dans le projet d’Emmanuel Macron. Au fond, rien dans son programme ne nous pousse franchement à croire qu’il a saisi la gravité des enjeux, la vigueur des discriminations, la violence des rapports socio-économiques que la société inflige aux habitants des quartiers.

Ilyes RAMDANI

Papier initialement paru le 3 mai 2017

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