Il y a celui qui vote à chaque élection, celui qui ne s’est pas pointé au bureau de vote depuis 2012, celle qui culpabilise de ne pas avoir pu voter au premier tour. Et celui qui s’est déplacé, mais n’était pas inscrit. Il reste une heure pour voter dans le 8ème bureau du canton sud-ouest de Compiègne dans l’Oise, où les électeurs du quartier du Clos des Roses sont venus en masse voter pour Xavier Bertrand (à Compiègne le candidat d’Union de la droite remporte 71,09% des suffrages).

Il est 17h00. Les derniers arrivés se pressent. Parmi eux, Soufiane, 25 ans. Du haut de son mètre quatre-vingt, il précise que c’était important de venir voter pour lui aujourd’hui. « On n’avait pas vraiment le choix. C’était soit la droite soit l’extrême droite. Ça ferait bizarre si c’est Marine qui passe, ça voudra dire qu’on est entouré de personnes qui pensent comme Marine. Ça fait flipper un peu. Espérons qu’elle ne passe pas. Moi je pense que c’est mort pour elle ».
Fouley, 36 ans, est venue avec sa fille quelques dizaines de minutes avant la fermeture du bureau de vote. « Je n’ai pas pu voter au premier tour. Et quand j’ai vu que Marine Le Pen était passée à 40 %, je me suis dit aujourd’hui on va tout faire pour aller voter. J’ai peur de ce qu’elle peut engendrer. » Fouley se pose beaucoup de questions sur un potentiel avenir sous Marine Le Pen. « Déjà la sortie de l’euro, est-ce que la France toute seule pourra s’en sortir ? Ce qu’elle veut faire aussi avec les immigrés, est-ce que la France peut s’en sortir sans les immigrés en sachant qu’ils contribuent à la France ? »
Vélaïd, 22 ans, rejoint Fouley sur l’aspect économique. Il est déjà venu voter, mais vient d’accompagner son ami Moussa. « Je pense qu’économiquement c’est impossible. Son plan de sortir de l’euro, tout ça. Un pays est obligé de faire du commerce avec les autres pour survivre. Aucun pays n’est autosuffisant ». Il ajoute que c’est important de contrer le FN. « C’est un vote important pour l’avenir. Ce sont les nouvelles régions, il faut bien choisir celui qui va les diriger ». Il termine l’explication de son vote pour Xavier Bertrand par un « Marine Le Pen, depuis qu’on est tout petit, on a appris à voter contre elle, contre ses idées, contre ses principes ».
Son ami Moussa, 21 ans, n’a pas pu voter. Il n’était pas inscrit sur les listes électorales. « Je suis venu tout à l’heure, on m’a dit qu’il fallait une pièce d’identité. Je suis rentré chez moi et revenu avec et là ils m’ont dit que je n’étais pas inscrit ». Pourtant, il avait vraiment envie de voter aujourd’hui. « Marine Le Pen a gagné le premier tour. Et j’aimerai bien qu’elle ne gagne pas le deuxième ».
Contrairement à Moussa, ce deuxième tour est un scrutin normal pour Nabil. Ce trentenaire vient tout juste de sortir du sport et passe illico au bureau de vote. Le vote est pour lui systématique : « ça reste toujours important de voter, tout le temps, c’est un automatisme, c’est normal, c’est mon devoir tout simplement ». Il ajoute toutefois d’un air désabusé : « Je le fais pour moi-même, je ne le fais même plus pour les politiques, j’ai arrêté avec eux. Je suis citoyen et je fais mon boulot ». Une mère de famille vient elle aussi d’accomplir son devoir électoral. « Mes enfants, je les ai envoyés ce matin. Moi je suis passée à la dernière minute, mais quand même, je l’ai fait ».
Son vote contre Marine Le Pen vient surtout de la peur qu’il y ait des discriminations : « On a peur pour notre communauté musulmane et pour tous les gens d’origine étrangère qui sont ici en France. Après on va dire : le travail pour les français, les personnes d’origine étrangère, ils n’ont pas le droit. Donc on peut être privé de plein de choses ».
Un quarantenaire, bonnet vissé sur la tête, explique son vote contre Marine Le Pen par une solidarité avec ses voisins. « Ce n’était pas un scrutin ordinaire. Il y a un risque avec l’extrême droite. Et pour moi le risque le plus important, c’est les amalgames qui sont déjà faits par les gens. J’ai des voisins musulmans, qui sont horrifiés par tout ce qu’il s’est passé [lors des attentats]. Et il y en a certains, on les regarde un peu de travers, et ça me choque énormément. Il faut que les gens se serrent les coudes. Même si je ne pense pas qu’ils soient élus, il faut faire très attention
Deux jeunes de 24 ans sont presque les derniers à se présenter au bureau de vote. L’un précise que c’est une journée un peu particulière. « On ne veut pas que l’extrême droite passe, on ne veut pas voir Marine Le Pen au pouvoir ». L’autre ajoute qu’« aujourd’hui on est venu, même si c’est un peu tard, mieux vaut tard que jamais ». Les deux amis sont abstentionnistes du premier tour. Le plus grand des deux, précise leur vote : « Nous, à la base on ne vote pas pour la droite, mais là on a voté pour eux parce qu’il fallait voter contre le FN, c’est tout. De toute façon, on n’est que des pions… »
18h00 arrive. Les assesseurs ferment le bureau de vote. Place aux scrutateurs qui, une heure et demie plus tard, ont le résultat de ce bureau vote du quartier du Clos des Roses : Sur les 1879 inscrits, il y a eu 978 votants. Dont 722 voix pour Xavier Bertrand et 206 pour Marine Le Pen. Bref, presque 74 % pour la droite et un peu plus de 21 % pour le Front national. De quoi rassurer la plupart de ceux qui ont fait le déplacement aux urnes.
Rouguyata Sall

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