L’ancien socialiste et écologiste fait depuis novembre 2013 cavalier seul, ou presque. Son parti d’inspiration largement rooseveltienne, Nouvelle Donne, a recueilli 3% des suffrages en Île-de-France aux dernières européennes. Interview.

Quelques jours après le remaniement ministériel, nous avons rendez-vous à 11 heures ce vendredi 29 août avec Pierre Larrouturou, coprésident de Nouvelle Donne, parti politique créé en novembre 2013. Récemment lancé, le mouvement a recueilli 3% des suffrages en Ile-de-France lors des dernières élections européennes. Nouvelle Donne s’inspire grandement du New Deal de Roosevelt, la majeure partie de ses adhérents sont d’anciens sympathisants socialistes, verts ou du Front de Gauche. A commencer par Pierre Larrouturou, ancien socialiste ayant fait un tour chez EELV en 2009.

Accueillant, il sait mettre son interlocuteur à l’aise et nous reçoit dans le QG du parti, situé à quelques pas de la Bastille, au passage Bullourde, dans le XI° arrondissement. Le local : un appartement parisien dans lequel les livres, les tracts et les feuilles volantes envahissent toutes les pièces, même la baignoire, côtoyant les restes des provisions de l’université d’été de Nouvelle Donne qui s’est tenue la semaine dernière, réunissant 950 personnes d’après les organisateurs. Pierre Larrouturou raconte avec le sourire, à propos de la cuisine : « Lors des élections européennes, c’était ici le centre névralgique des opérations ! Une vraie fourmilière : on était une quinzaine à bouger dans tous les sens ».

Ce vendredi, les locaux étaient quasiment vides. P. Larrouturou évoque une ambiance de travail, en générale, plutôt sympa et décontractée. La plupart des militants Nouvelle Donne semblent avoir la vingtaine : « nous comptons sur la jeunesse pour faire bouger les choses ! Lors de l’université d’été, la moyenne d’âge était de 23-24 ans ! Ca fait plaisir de constater que la jeunesse se sent impliquée : les salles de conférences étaient pleines et nos militants participaient à des débats jusqu’à 21h ! ».

Photo Larrouturou Serge Canasse LIBRE DE DROITPhoto Larrouturou Serge Canasse LIBRE DE DROITVêtu d’un gilet gris à capuche sur une chemise à carreau bleue, la démarche pressée, la parole franche, le mot pour rire et la voix forte, P. Larrouturou a souhaité réagir suite au remaniement ministériel du 25 août dernier, et ce malgré un portable qui sonne toutes les dix minutes. Particularité insolite : l’économiste a devant lui un tas de feuilles blanches. Pour chaque réponse chiffrée, il effectue un schéma ou un tableau plus ou moins lisible. Mais loin de s’égarer sur son papier, Pierre Larrouturou enchaîne et revient toujours à ses moutons, une qualité acquise grâce à une carrière politique de 26 ans.

Bondy Blog : Comment le chaos politique ambiant peut-il bénéficier à Nouvelle Donne?

Pierre Larrouturou : Les choix faits par François Hollande et Manuel Valls sont dramatiques et provoquent une crise sociale catastrophique. Ce mois-ci, c’est encore 40 000 chômeurs de plus et au moins 60 000 personnes qui ne sont plus comptées comme tels car elles sont tombées dans la pauvreté. Donc ce sont 100 000 familles dont le revenu a morflé. Et puis on a l’impression qu’on nous prend vraiment pour des cons et non pour des citoyens adultes, par exemple quand Michel Sapin nous annonce que tout va bien et que la croissance revient.

L’UMP est à poil aussi. L’autre jour, un de leurs dirigeants confiait que s’il y avait dissolution ils seraient mal puisqu’ils n’ont rien à proposer. Le bilan de Sarkozy au pouvoir, c’est quand même 1 million de chômeurs en plus en 5 ans ! C’est pas pour rien si on a voté Hollande. Et l’UMP depuis 2 ans n’a pas pris une heure pour réfléchir à l’origine de la crise et comment en sortir. Donc, s’il y a une dissolution dans quelques temps, ce qu’on peut pas exclure, l’UMP arriverait au pouvoir et au bout de trois mois le désarroi sera encore plus grand. On est dans une situation critique du point de vue social et politique, si la seule alternative qui apparaît c’est Marine Le Pen ! Quand je l’entends à la radio, je suis de plus en plus gêné car je suis souvent d’accord avec ce qu’elle dit, comme elle reste dans le constat.

Donc oui, le pays va très mal. Mon dernier bouquin s’appelle « La grande trahison » et je pense qu’on est nombreux à s’être sentis trahis par la classe politique des deux bords, et en particulier par la gauche. On espérait beaucoup, et notamment en matière de justice sociale, en matière de bien-vivre, de démocratie,… on espérait beaucoup moins pire de ce gouvernement.

Cela profite à Nouvelle Donne ?

Oui car il y a un vide et on est heureux de voir que toutes les semaines, dans ce champ de ruines, des personnes nous considèrent comme la bonne nouvelle. Nous avons obtenu 500 000 voix aux européennes, on compte plus de 10 300 adhérents en 10 mois et on attire surtout des jeunes, alors que dans beaucoup de partis, il n’y a plus que des vieux. C’est peut-être que notre message est plus clair et plus punchy.

Êtes-vous plutôt sur la gauche de Hollande ou sur celle de Montebourg ?

Être à gauche de Hollande, ce n’est pas compliqué je pense ! Moi, j’ai toujours voté à gauche, mais on voit que dans la crise actuelle, y a beaucoup de gens chez lesquels ça ne veut plus rien dire, car la gauche les a autant déçu que la droite. C’est pour ça que, quand on définit Nouvelle Donne, on ne met pas en avant le mot gauche, mais on dit qu’on réunit tous ceux qui veulent se battre pour le progrès social, qui ne se résignent pas au triomphe des inégalités. Ça nous fait toujours plaisir, par exemple, quand des gens du MoDem nous rejoignent.

Donc oui, on est à gauche de Hollande puisqu’il fait, hélas aujourd’hui, une politique de droite. Quant à Arnaud Montebourg, à nos yeux, c’est une vieille gauche qui pense qu’avec une politique industrielle et un peu de relance, on va retrouver la croissance. Hors ça ne marche pas. Mais il a raison de dénoncer l’austérité et le manque de démocratie. Quand il dit qu’il faut juste sortir de l’austérité et avoir une politique industrielle ambitieuse, c’est vrai mais c’est insuffisant. Le Japon, depuis 30 ans, a la politique industrielle la plus ambitieuse, avec des plans de relance pharaoniques. Mais ils ont un déficit de presque 7% par année, ne renouent pas avec la croissance et les inégalités se creusent.

Avec le gouvernement Valls II : le changement c’est maintenant ?

Le changement, oui, mais c’est encore pire. Maintenant, on ne fait même plus semblant de vouloir être fidèle aux promesses de campagne. Il y a véritablement un sentiment de trahison. C’est une politique qui nous mène droit dans le mur. 100 000 personnes qui morflent tous les mois, c’est catastrophique. La crise, ce n’est pas la faute de Valls ou de Hollande. Par contre c’est de leur faute si on met en place des politiques nulles qui aggravent la crise.

Michel Rocard et moi, le 8 avril 2013, avons passé deux heures à parler à Emmanuel Macron. Au bout de ces deux heures, il a dit : « J’ai l’impression qu’on fait une politique des années 80. Une politique qui aurait pu marcher il y a trente ans ». Donc ils le savent ! Pareil pour Jean-Marc Ayrault qui m’a confié qu’il déplorait l’inertie de Hollande ! Ces personnes ont demandé le pouvoir, se sont battus pour y parvenir, mais apparemment ils ne sont pas à la hauteur et appliquent des politiques dans lesquelles ils ne croient plus.

La nomination d’Emmanuel Macron au ministère de l’économie fait-elle partie de « la grande trahison » ?

Il ne s’agit pas de réduire quelqu’un à une étiquette ! Un banquier n’est pas forcément méchant. Mais objectivement, les politiques qu’Emmanuel Macron a aidé à mettre en place [ndrl : on le décrit parfois comme « le père » du pacte de responsabilité] depuis deux ans, et ses premières déclarations comme ministre sont troublantes [la remise en question des 35 heures]. Au sujet du temps de travail, par exemple, c’est ahurissant ! Il y a 20 ans, en 1995, le rapport Boissonat commandé par Balladur, qui n’était pourtant pas d’extrême gauche, préconisait qu’il fallait une réduction de 20 à 25% du temps de travail d’ici 2015. Donc même les gens de droite disaient « vu la productivité, il faut travailler beaucoup moins si on veut qu’il y ait moins de chômeurs ». Voir un ministre de gauche qui explique qu’il faut travailler plus et permettre aux entreprises de faire n’importe quoi en matière de temps de travail, c’est un effondrement intellectuel.

De même, François Hollande avait promis qu’il allait séparer les banques de dépôts et les banque d’affaires. C’est juste du bon sens, et visiblement il a laissé la main aux banquiers. Roosevelt, même vieux et paralysé, a mené le combat contre les instituts financiers et a gagné. Il a aussi créé un impôt sur les bénéfices de 30%. Pareil, on n’aurait pas besoin de bloquer les retraites et le budget de l’université si on luttait vraiment contre les paradis fiscaux. Obama, qui n’est pas à gauche, en a fait beaucoup plus qu’Hollande dans ce combat.

La question du temps de travail constitue le nerf de la guerre ?

10599607_10203782504115297_8504936909524584327_nC’est une question fondamentale. En jouant sur le temps de travail, en passant à la semaine de quatre jours, on peut créer plus d’un million d’emplois. Avec l’arrivée des machines, on produit deux fois plus, le besoin de travail a diminué, et on est plus nombreux pour le faire. Alors normalement, ça devrait être génial ! Mais aujourd’hui, en France le partage du temps de travail c’est n’importe quoi : d’après l’INSEE, pour quelqu’un qui travaille à plein temps, c’est 39,6 heures hebdomadaires en moyenne. Du coup soit vous êtes au chômage, soit vous êtes salarié et vous approchez les 40 heures. C’est pourquoi il faut passer à la semaine des 4 jours.

Il faut reprendre le mouvement historique : il y a un siècle on était à 7/7 jours, on est passé à 5 jours, on a mis des vacances… Donc, en gros, on a divisé le temps de travail par deux. Contrairement à ce que dit Sarkozy, le sens de l’histoire ce n’est pas « travailler plus pour gagner plus ». Il y a déjà 400 entreprises qui sont passées à la semaine de 4 jours, comme dans l’usine Mami Nova. Ils ont alors créé 130 emplois ce qui leur a permis d’arrêter de payer les cotisations chômage.

Est-ce ce virage à droite qui a éloigné l’électorat des quartiers populaires de François Hollande ?

Il y a un sentiment de trahison. C’est-à-dire qu’ils ne font même plus semblant d’être à gauche ! Aujourd’hui, l’impôt sur les bénéfices est de 25% en moyenne en Europe alors qu’il est de 40% aux Etats-Unis. C’est quand même le monde à l’envers ! Et il y a 5 jours, devant le Medef, Manuel Valls a annoncé qu’il allait encore baisser cet impôt, alors que la France est le seul pays d’Europe où on a +30% sur les dividendes en un an, tandis que dans le même temps, la croissance est à zéro ! A Nouvelle Donne, on propose d’aligner l’impôt sur les bénéfices avec les Etats-Unis.

Et je ne parle même pas de la Palestine ! La France n’a rien fait pour limiter l’horreur. [Dans un billet publié le 5 août dernier sur le site du Nouvel Obs, Pierre Larrouturou évoquait la possibilité de traîner Benyamin Netanyahou devant la Cour Pénale Internationale, d’envoyer des forces de maintien de la paix à Gaza, et boycotter les produits israéliens afin d’obtenir la paix]. Dans tous les domaines, ils sont totalement décevants. On ne sait même pas ce qu’Hollande veut faire. Donc je comprends la déception et que dans les quartiers populaires comme ailleurs, les gens se disent « les socialistes se sont foutus de nous », mais après est-ce que la bonne solution pour dire merde c’est voter FN ? Non, il faut réfléchir et débattre

Comment relancer l’emploi dans les quartiers alors que le chômage y avoisine parfois les 60% ?

On est le seul parti qui dit : « on peut créer 2,5 millions d’emploi ».On peut tout d’abord éviter les licenciements grâce à un système mis en place au Canada. Si votre chiffre d’affaire est en baisse, au lieu de licencier les salariés, on garde tout le monde, mais on baisse le temps de travail et le salaire, tout en maintenant 95% du revenu des employés. Et il y a un deuxième chèque qui vient de l’Etat pour compléter. On a calculé que ce serait rentable pour la société : moins de cotisation pour les chômeurs… En Allemagne, il y a 1,5 millions de salariés qui ont réduit de 31% leur temps de travail mais qui ont conservé 95% de leurs revenus. Si la France avait fait la même chose, on aurait eu 1 million de chômeurs en moins.

Deuxièmement, éviter que les chômeurs tombent dans la pauvreté. Nouvelle Donne propose un bouclier vital : l’état verserait de l’argent pour les personnes à la recherche d’un emploi. Ça coûterait un milliard mais ce sera de l’argent directement consommé. Ce n’est pas avec 600 ou 700 euros par mois qu’on cache de l’argent dans les paradis fiscaux ! Ça retourne donc immédiatement dans l’économie.

Pour créer de l’emploi, il faut sortir de l’austérité et éviter les coupes publiques. C’est par exemple financer la dette à 1%, ce qui nous ferait 20 milliards d’économie pour éviter de couper dans les dépenses publiques. Pour sauver les banques, on a prêté un milliard à un taux de 1%, on a trouvé ça normal. Par contre quand les Etats comme la France ou la Grèce empruntent, on a des taux d’intérêts de 2 à 10% !

Et pour la question du logement ?

On est le seul pays d’Europe qui a des loyers aussi cher. On est 30% plus cher que la moyenne européenne. Il faut donc construire des logements, car il en manque 800 000 en France. Une des solutions est d’utiliser le fond de réserve des retraites comme aux Pays-Bas, où ils ont réussi à construire un million d’habitations. On pourrait alors créer, grâce à ce décret, 200 000 emplois dans le bâtiment, et faire chuter les prix des loyers.

Si on vous avait proposé un poste dans un ministère, l’auriez-vous accepté ?

Jean-Marc Ayrault me l’avait proposé et s’il y avait eu un changement de politique, je l’aurais accepté, quitte à claquer la porte au bout de 3 mois. Je pense que face à la gravité de la situation, il faut tout faire pour agir.

Donc, si Manuel Valls vous l’avait proposé …

Non, car le fait de mettre Manuel Valls en premier ministre veut dire qu’on a choisi un cap et qu’il n’y a aucune ambiguïté. C’est ce qu’on a vu dans son discours au Medef. Par contre, quand Jean-Marc Ayrault me l’avait proposé il y a un an, c’était sur l’idée d’un changement politique ! Faire quelque chose pour le logement, pour le temps de travail… Mais François Hollande l’a bloqué.

Quelle est la position de Nouvelle Donne sur la création d’une VIème république ?

On voudrait effectivement repartir sur un nouveau contrat social et sur un nouveau contrat démocratique. Alors, soit on l’appelle la VIème république, soit on l’appelle la Première démocratie, mais en tout cas il faut un changement radical. On est le seul pays occidental où un ou deux hommes décident de tout ! On dit qu’Obama est l’homme le plus puissant du monde, mais il doit passer son temps à discuter avec le congrès !

Si un jour Nouvelle Donne est aux manettes, notre rêve c’est qu’il y ait le même jour, voté par référendum, un nouveau contrat social (qu’est-ce qu’on fait pour le logement, pour l’autonomie des jeunes, pour le chômage…) et en même temps un nouveau contrat démocratique incluant la loi d’initiative citoyenne, le non-cumul des mandats…

« Il faut faire comprendre aux citoyens que chacun de nous peut changer le monde ». Voici le leitmotiv de P. Larrouturou. « En 1989, ce sont des hommes et des femmes ‘sans importance’ qui ont fait tomber le mur de Berlin et changé le cours de l’histoire ! Si on avait attendu des accords entre diplomates, le mur serait encore debout aujourd’hui ! ». Nouvelle Donne, est-ce ce parti capable de faire tomber les obstacles économiques, sociaux et politiques ? La réponse en 2017 ?

Propos recueillis par Tom Lanneau

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